Avignon, Opéra Grand Avignon, vendredi 17 octobre 2014
Avignon, façade de l'Opéra. Photo : (c) Bruno Serrou
Entre Paris et Avignon, la Russie
était à la fête, la semaine passée. En effet, au lendemain des deux concerts de
l’Orchestre de Paris Salle Pleyel sous la direction de Guennadi Rojdestvenski
et en soliste la pianiste Viktoria Postnikova dans un programme
Liadov/Glazounov/Chostakovitch (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2014/10/lorchestre-de-paris-se-donne-la-russie.html), l’Orchestre Régional Avignon Provence proposait sous la direction de son
Premier chef invité, Samuel Jean, et la participation du pianiste Bertrand
Chamayou un concert Scriabine/Rachmaninov/Tchaïkovski.
Samuel Jean et l'Orchestre Régional Avignon Provence. Photo : (c) Orchestre Régional Avignon Provence
Il s’agissait pour l’ORAP du
concert d’ouverture de la saison 2014-2015 qui aura réuni la foule des grands
soirs dans l’enceinte de l’Opéra Grand Avignon, dont les mille deux cents
fauteuils étaient chauffés à blanc par une chaleur accablante suscitée par un
soleil d’été indien qui aura écrasé toute la Provence en cette belle journée de
mi-octobre. Dans une acoustique particulièrement sèche, du moins l’orchestre
sur le plateau et non dans la fosse où il se produit également régulièrement,
cette formation au format « Mannheim » (quarante-trois musiciens)
deux fois centenaire - fondé en 1814, il est l’un des plus anciens orchestres
français en activité -, a attesté de sa volonté de démontrer ses qualités
intrinsèques, enrichi pour cette première soirée de la saison d’une douzaine de
musiciens complémentaires appelés en renfort pour un programme symphonique
nécessitant habituellement plus de quatre-vingt instrumentistes. Ce sont les
effectifs des cordes qui ont le plus souffert de leur nombre limité à trente-deux
musiciens au lieu de soixante, particulièrement les basses, avec seulement six
altos, six violoncelles et trois contrebasses, alors que bois et cuivres
avaient la quantité requise. Tant et si bien que le déséquilibre a été patent, même
si les pupitres d’archets ont démontré engagement et vaillance, et les instrumentistes
à vent se sont avérés à leur écoute et à la recherche constante du juste
équilibre. Les pupitres solistes ont démontré leurs aptitudes, particulièrement
le premier cor, mais aussi bois, cuivres et timbales solistes.
Samuel Jean et l'Orchestre Régional Avignon Provence dans Rêverie d'Alexandre Scriabine. Photo : (c) Orchestre Régional Avignon Provence
Après la brève mais chaleureuse Rêverie op. 24 composée par un Alexandre
Scriabine de 26 ans dont les textures soyeuses ont été soigneusement mises en
exergue par Samuel Jean malgré un tapis de cordes trop peu étoffé, l’Orchestre
Régional Avignon Provence a dialogué avec vigilance avec le piano ample et
charnel de Bertrand Chamayou, qui se produisait pour la première fois avec la
formation avignonnaise et son Premier chef invité, qui plus est dans une œuvre qu’il
n’a guère eu encore l’occasion de jouer en public, le virtuose Concerto pour piano et orchestre n° 2 en ut
mineur op. 18 de Serge Rachmaninov. Dès les sonneries de cloches graves égrenées
au tout début par le piano seul en une série d’accords profonds allant
crescendo, le public a eu le souffle coupé qui allait le maintenir en apnée
près de trente-cinq minutes de rang. Jouant avec un naturel et une retenue
confondante qui disent combien le jeune pianiste « en a sous le pied »,
comme disent les fans de course automobile,
Bertrand Chamayou, Samuel Jean et l'Orchestre Régional Avignon Provence. Photo : (c) Orchestre Régional Avignon Provence
Bertrand Chamayou s’est engagé avec
une joie non feinte dans cette œuvre populaire mais pleine de sève, véritable
juge de paix qu’il a interprété avec raffinement, donnant davantage dans l’onirisme
que dans le panache, ne se faisant jamais excessif, dans le pathos comme dans
la virtuosité, instillant presque un tour classique à une œuvre qui incite trop
souvent à la surcharge. Cette approche a été facilitée par les textures ténues de
l’orchestre avignonnais, le soliste n’ayant de ce fait pas à chercher à s’imposer
comme il aurait pu devoir le faire avec une phalange plus fournie. « En
tant que jeune pianiste, je me dois de me produire avec les orchestres en devenir,
convient Bertrand Chamayou. J’ai retrouvé ici des amis du conservatoire de
Toulouse, de jeunes musiciens qui en veulent et qui s’impliquent totalement dans
leur travail avec l’orchestre. Dans le cours des répétitions s’est développée
une collusion dans le mouvement lent entre clarinette et flûte solos et moi. Je
leur avais suggéré d’être plus solistes en les incitant à chanter comme si nous
faisions de la musique de chambre. » Il s’est de fait avéré que Bertrand Chamayou
a bel et bien obtenu ce qu’il voulait, avec la complicité de Samuel Jean, qui a
brillamment sollicité la virtuosité de ses pupitres solistes qui n’ont pas
failli bien qu’ils aient été poussés jusque dans leur retranchement.
Bertrand Chamayou. Photo : DR
Pour répondre aux sollicitations du public avignonnais, Bertrand Chamayou a donné deux longs bis, le lied Aus dem Wasser zu singen D. 774 de Franz Schubert arrangé pour piano seul par Franz Liszt, et la petite Kupelwieser Waltz tendrement mélancolique du même Schubert dont il n'existe aucune trace mais que Richard Strauss prétendait avoir sauvegardé de mémoire transmise par on ne sait qui...
Samuel Jean et l'Orchestre Régional Avignon Provence. Photo : (c) Orchestre Régional Avignon Provence
Autre œuvre célèbre mais encore plus
emplie de pathos que le concerto de Rachmaninov, la Symphonie n° 5 en mi mineur op. 64 de Piotr Ilyitch Tchaïkovski. Là,
davantage que dans la première partie du programme, la minceur de l’effectif
des cordes s’est avérée prégnante. Pourtant, les déséquilibres entre cordes et
instruments à vent ont été diligemment contenus par Samuel Jean, qui a fait le
maximum pour que les cuivres n’écrasent pas les autres pupitres tout en ne
retenant pas trop leur souffle. Donnant à l’œuvre une pulsation dynamique et
conquérante, tout en ménageant le caractère autobiographique et désespéré de
cette symphonie « du destin » au ton de douloureuse confession qui en
fait une œuvre programmatique, le jeune chef français a révélé de réelles
affinités avec Tchaïkovski, dont il a allégé l’emphase sans pour autant se faire
analytique ni excessivement distancié. La sécheresse de l’acoustique de l’Opéra
Grand Avignon n’a pas arrangé les textures trop étriquées des cordes, et
surtout du côté des basses, qui n’ont pas obtenu la rondeur et l’onctuosité nécessaire
pour suggérer la profondeur abyssale du fatum
dépeint par Tchaïkovski, cela dès l’introduction où les cordes s’expriment dans
leur registre grave. Il convient néanmoins de saluer la solidité des pupitres
solistes, de la violon solo super soliste Cordelia Palm à la timbalière
Marie-Françoise Antonini, en passant par le cor solo Eric Sombret, qui a notamment
exposé vaillamment la longue mélodie au noble pathétique de l’Andante, dialoguant dextrement avec le
hautbois de Frédérique Costantini, auquel la clarinette mélancolique de Didier
Breuque et le basson chaleureux d’Arnaud Coic n’ont rien eu à envier, tandis
que trompettes et trombones ont rehaussé l’orchestre de leur éclat fortement
coloré.
L'un des enregistrements de la collection de l'Orchestre Régional Avignon Provence consacrée à Sacha Guitry chez Actes Sud. Photo : DR
Ainsi, il apparaît évident que l’Orchestre
Régional Avignon Provence a fait des progrès colossaux depuis les années où je
l’entendais l’été venu dans le cadre du Centre Acanthes à l’époque où ce
dernier était organisé dans l’enceinte de la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon
où il se produisait sur l’invitation de Claude Samuel dans un répertoire exclusivement
contemporain dirigé le plus souvent par Sylvio Gualda. Le travail conjointement
mené par Philippe Grison, son directeur général et artistique, et Samuel Jean,
son premier chef invité, portent de toute évidence leurs fruits. Ce que les
mélomanes épris de découvertes peuvent d’ailleurs vérifier eux-mêmes, à défaut
de se rendre en Région PACA, en se procurant (ou en écoutant) des
enregistrements comme Docteur Miracle
de Georges Bizet et l’Amour masqué de
Sacha Guitry/André Messager (Actes Sud), Peter
Pan d’Olivier Penard (Le Sablier), en attendant la parution en mai 2015 chez
Naïve d’un disque réunissant des pages concertantes pour harpe et orchestre de
Théodore Dubois, Gabriel Fauré, Gabriel Pierné, Henriette Renié et Camille Saint-Saëns,
avec le harpiste Emmanuel Ceysson.
Bruno Serrou
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