Venise (Italie), Palazzetto Bru Zane et Scuola
Grande San Giovanni Evangelista, samedi 27 et dimanche 28 septembre 2014
Photo : (c) Bruno Serrou
Lancé
en janvier 2008 par Madame Nicole Bru, docteur en pharmacie ex-PDG du Groupe UPSA
et présidente de la Fondation Bru qu’elle a créé en Suisse en 2013, le Centre de
musique romantique française a ouvert ses portes en 2009 dans l’ancien casino
Zane, annexe du palazzo Zane érigé en 1695-1697 au cœur de Venise expressément pour la musique, à la demande de Marino Zane par
les architectes Antonio Gaspari et Domenico Rossi dans le quartier de San Stin
proche de la basilique dei Frari pour la famille Zane.
Palazzetto Bru Zane. Photo : (c) Bruno Serrou
Ce beau bâtiment baroque est désormais dénommé
Palazzetto Bru Zane (1). Après réhabilitation et restauration, les huit cents
mètres carrés de ce lieu chargé d’histoire distribués en trois niveaux a
retrouvé sa vocation première en devenant le Palazzetto Bru Zane - Centre de
musique romantique française. Au milieu de l’édifice, une grande salle qui se
déploie sur deux étages ouvrant sur un somptueux plafond voûté orné d’une
représentation d’Hercule accompagné de la Gloire et de la Vertu et de coquilles
peintes tandis que les angles sont occupés par des divinités de l’Olympe et que
le mur du grand escalier qui y conduit est paré de fresques.
Palazzetto Bru Zane. Le grand escalier. Photo : (c) Bruno Serrou
Animé
par une équipe de onze permanents dirigée par Florence Alibert, directeur
général, et Alexandre Dratwicki, directeur artistique, le Palazzetto est à la
fois un centre de recherche, d’expérimentation et de diffusion attaché à la
musique française des années 1780 à 1920, qu’il s’agisse d’œuvres de
compositeurs méconnus ou de partitions négligées de compositeurs célèbres. « Par
sa superficie aux modestes dimensions, la grande salle de concert du palais
vénitien s’avère idéale pour une programmation expérimentale, se félicite
Alexandre Dratwicki. C’est donc là que s’exprime la partie la plus originale de
l’activité de diffusion du Centre, la plus risquée aussi puisque les choix
peuvent s’avérer plus ou moins incertains. » Grâce à cette pièce en effet
et à sa petite centaine de places, les partitions redécouvertes peuvent sonner non pas dans la tête de leurs lecteurs ou de son inventeur mais de
façon concrète en étant jouées par des musiciens dans les conditions du
concert, public ou privé.
Palazetto Bru Zane. Le jardin. Photo : (c) Bruno Serrou
Afin de valoriser ses recherches et les œuvres
découvertes les plus convaincantes, le Palazzetto Bru Zane les diffuse par le
biais d’ouvrages musicologiques, de coéditions de disques, de coproductions de
concerts et spectacles, notamment avec le Festival Berlioz de La
Côte-Saint-André et l’Opéra-Comique de Paris, l’organisation de colloques et de
tournées internationales. Dans la continuité de ses festivals, à Venise et à
Paris, le Centre de musique romantique française s’engage toujours davantage
dans la production afin de maîtriser les projets qu’il initie, à la fois sur
les plans scientifique, artistique, technique et financier.
Affiche du festival Romantisme entre guerre et paix sur le mur d'entrée du Palazzetto Bru Zane. Photo : (c) Bruno Serrou
Pour
sa quatrième édition, le festival d’automne du Palazzetto Bru Zane (2)
s’attache jusqu’au 11 décembre de cette année au « Romantisme entre guerre
et paix » avec une série de dix concerts. En effet, la période à laquelle
le Centre de musique romantique française voue son activité a été le cadre de
la Révolution française et de nombreux conflits européens, de la bataille de
Valmy et des guerres napoléoniennes jusqu’à la Première Guerre mondiale, en
passant par celles de la Restauration, les Trois Glorieuses, la Révolution de
1848, les guerres de Napoléon III, de l’Italie jusqu’à la Crimée, les conquêtes
coloniales, la Guerre de 1870, la Commune de Paris…
Palazzetto Bru Zane. Photo : (c) Bruno Serrou
Ainsi,
après avoir coproduit l’ode-symphonie Christophe
Colomb ou la découverte du Nouveau Monde de Félicien David présentée en
août dernier au Festival Berlioz de La Côte-Saint-André (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2014/08/francois-xavier-roth-et-les-siecles.html),
le Palazzetto Bru Zane présente dans ses propres murs vénitiens et Scuola Grande
San Giovanni Evangelista fondée au XIVe siècle qui le jouxte dans le
quartier San Polo, une riche programmation festivalière autour de cette
thématique de guerre et paix confiée à des artistes avec qui le Centre
entretient des relations privilégiées, jeunes musiciens et artistes confirmés,
dans des programmes originaux constitués d’œuvres rares, certaines étant
oubliées depuis leur création voire inconnues parce qu’inaccessibles et, pour
certaines, inédites.
Palazzetto Bru Zane, salle de concert. Photo : (c) Bruno Serrou
Le concert
d’ouverture du festival a été confié par le célèbre Quatuor Mosaïques qui réunit
entre autres le violoniste hongrois Erich Höbarth, membre fondateur du Quatuor
Vegh, et le violoncelliste gambiste chef d’orchestre français Christophe Coin, directeur-fondateur
de l’Ensemble baroque de Limoges. Première pièce de ce programme allant crescendo, le Quatuor à cordes n° 2 en sol majeur de Rodolphe Kreutzer
(1766-1831), compositeur (il est l’auteur d’une quarantaine d’opéras),
professeur et premier violon solo du Théâtre-Italien puis de l’Opéra de Paris,
où il fut aussi chef d’orchestre puis directeur, à qui Beethoven a dédié sa Sonate « à Kreutzer » qui
allait inspirer le titre d'un roman de Léon Tolstoï qui allait inspirer à son
tour le Quatuor à cordes n° 1 de Leoš Janáček…
Publié à Leipzig en 1790, ce deuxième des « six quatuors concertants »
de Kreutzer est une œuvre aux courtes proportions en deux mouvements sans réelle
portée, pas même côté charme tant ces pages traînent en longueur et n’apporte
rien de neuf à un genre pourtant encore en plein essor à l’époque.
Palazzetto Bru Zane, plafond de la salle de concert. Photo : (c) Bruno Serrou
La deuxième
pièce est signée du violoniste compositeur pédagogue Pierre Baillot
(1771-1842), disciple de Viotti, Reicha et Cherubini, et professeur entre
autres de Habeneck et Ingres. Son Quatuor
op. 34 n° 1 de 1805 est une partition cyclique en quatre mouvements qui
permet au quatuor d’archets de chanter à loisir, ce que le Quatuor Mosaïque a
fait en toute liberté. Mais l’œuvre la plus intéressante aura été la dernière,
le Grand Quintette pour deux violons,
alto et deux violoncelles que Louis-Emmanuel Jadin (1768-1853) a dédié à la fin
des années 1820 à son ami Pierre Baillot. Prédominant sur l’ensemble d’archets,
le premier violoncelle donne un élan humain et généreux à l’œuvre entière par
sa chaleureuse expressivité, tandis que le premier violon s’impose par sa virtuose
musicalité, plus particulièrement dans le finale.
Palazzetto Bru Zane, Salle de concert, le Quatuor Mosaïques (Erich Hölbarth et Andrea Bischof (violons), Anita Mitterer (alto), Christophe Coin (violoncelle)) et Cristina Vidoni (violoncelle). Photo : (c) Palazzetto Bru Zane / Michele Crosera
L’interprétation engagée et expressive,
les sonorités moelleuse du Quatuor Mosaïques qui, enrichi de la violoncelliste
italienne Cristina Vidoni au second violoncelle, a admirablement servi cette
partition inconnue qui mériterait de s’imposer au répertoire.
Chapelle de la Scuola Grande San Giovanni Evangelista. Photo : (c) Bruno Serrou
Le second
concert du week-end d’ouverture du Festival Romantisme entre Guerre et Paix du
Palazzetto Bru Zane s’est déroulé dimanche après-midi dans le cadre somptueux
de l’église Renaissance de la Scuola Grande San Giovanni Evangelista. Devant un
public plus nombreux que la veille au soir en raison d’une jauge plus grande
(deux cents cinquante places au lieu d’une centaine), le programme a été entièrement
conçu par ses cinq interprètes autour de la thématique guerrière, allant
au-delà du concert puisque le concept se situait entre récital et spectacle.
Cette idée est née de la rencontre en 2011 dans le cadre du Palazzetto Bru Zane
de la mezzo-soprano Isabelle Druet et des quatre musiciens du Quatuor Giardini,
le pianiste David Violi, du violoniste Pascal Monlong, de l’altiste Caroline
Donin et de la violoncelliste Pauline Buet, ce qui en fait l’un des rares
quatuor avec piano constitué. Cet ensemble instrumental, qui a choisi de se
consacrer autant aux œuvres consacrées du quatuor pour piano et cordes, telles celles
de Mozart, Schumann, Brahms, Dvořák,
Fauré, et à un répertoire méconnu de compositeurs délaissés comme Félicien
David, Théodore Dubois, Marie Jaëll ou Mel Bonis, et la cantatrice
entretiennent des relations privilégiées avec le Centre de musique romantique française
qui les soutient à la fois dans leur quête de partitions et dans l’élaboration
de programmes, ainsi que dans la réalisation de tournées. C’est le cas cette
année avec le spectacle présenté dimanche intitulé « Au pays où se fait la
guerre » produit par le Palazzetto Bru Zane mais qui a été créé en juillet
dernier au Festival de Saintes et sera repris jusqu’en février prochain, à Rome
puis en tournée en France (3).
Scuola Grande San Giovanni Evangeslista. Plafond de la chapelle. Photo : (c) Bruno Serrou
Divisé en quatre parties à la façon d’une
symphonie, avec deux vivo (La partanza et Al fronte) suivis de deux lento
(le tragique La morte et le serein In
Paradiso), le spectacle se présente sous la forme d’un monodrame de
soixante-quinze minutes, la chanteuse revêtant successivement plusieurs
costumes, de la va-t-en-guerre à la femme en deuil. Chaque mouvement se
subdivise à son tour en quatre parties, soit un total de seize numéros
constitués de partitions originales pour voix et quatuor avec piano ou pour
quatuor seul et d’arrangements de pages plus ou moins célèbres de douze
compositeurs français. Les découvertes les plus captivantes sont les œuvres signées
par des femmes : le finale du Quatuor
avec piano n° 1 op. 69 de Mel Bonis (1858-1937), compositrice qui
mériterait une attention soutenue de la part des musiciens-interprètes, la douloureuse
mélodie Exil de Cécile Chaminade (1857-1944)
sur un poème de René Niverd et la charmante Elégie
de Nadia Boulanger (1887-1979) sur des vers d’Albert Samain. Aux côtés de
chefs-d’œuvre incontestés de Gabriel Fauré (Quatuor
avec piano opp. 15 et 45), Henri
Duparc (Au pays où se fait la guerre
et Elégie), Claude Debussy (Recueillement extrait des Cinq Poèmes de Charles Baudelaire), et
de festifs Gaetano Donizetti (la Fille du
régiment) et Jacques Offenbach (la Grande Duchesse de Gerolstein et la Vie parisienne), ce spectacle révèle des
pages peu courues comme l’étonnant Andante
du Quatuor avec piano de Reynaldo
Hahn (1874-1947), le touchant les Larmes
de Benjamin Godard (1849-1895) sur un poème de Paul Harel, et les moins
significatifs En Paradis extrait des Chansons de Marjolie néanmoins non dénué
de charme, et le premier des Petits Rêves
d’enfants sans grand intérêt, deux pages de Théodore Dubois (1837-1914).
Scuola Grande San Giovani Evangelista, Isabelle Druet et le Quatuor Giardini (David Violi (piano), Pascal Monlong (violon), Caroline Donin (alto), Pauline Buet (violoncelle)). Photo : (c) Palazzetto Bru Zane / Michele Crosera
Voix
fruitée et ferme, d’une présence scénique conquérante mais sans excès, Isabelle
Druet interprète les mélodies avec goût et une expression naturelle enrichie
par la brillante musicalité du Quatuor Giardini (4), qui dialogue et concerte
avec une homogénéité de couleurs et de ton qui est l’apanage des seuls
ensembles constitués.
Bruno Serrou
1) Palazzetto
Bru Zane. Centre de musique romantique française. San Polo 2368, 30125 Venezia –
Italia. Tél : +39 041.52.11.005. www.bru-zane.com
2) Le
Palazzetto Bru Zane organise un second festival de neuf concerts au printemps
prochain, du 11 avril au 21 mai 2015, consacré au compositeur George Onslow
(1784-1853)
3)
Rome (Villa Medici, 15/10), Festival de Laon (Hôtel de Ville, 6/11), Guebwiller
(Dominicains, 7/11), Château d’Hardelot (Music and Cup of Tea, 9/11), Paris
(Hôtel des Invalides, 14/11), Metz (Arsenal, 15/11), Poitiers (Auditorium,
14/12), Aix-en-Provence (Grand Théâtre, 20/01/15), Entraigues-sur-la-Sorgue (La
Courroie, 22/01), Arles (Le Méjan, 25/01), Sinfonia en Périgord (Périgueux,
5/02)
4) A
paraître en novembre le premier CD du Quatuor Giardini consacré à Gabriel Fauré
(Quatuor avec piano n° 1 op. 15) et Mel Bonis (Quatuor avec piano n° 1 op. 69). 1CD Evidence EVCD0004
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