Paris, Opéra national de
Paris Bastille. Vendredi 10 octobre 2014
Née en 1994, reprise à l'envi jusqu’en 2012, la
production de Tosca de Giacomo
Puccini de Werner Schroeter avait assurément fait son temps. Il était donc
temps de remettre sur le métier le chef-d’œuvre du maître de Lucques, même si,
jusqu’à sa mort en 2010 le réalisateur-metteur en scène allemand s’est fait un
devoir de remettre sur le métier son spectacle à chacune de ses reprises. Cet
opéra, qui compte parmi les plus populaires du répertoire, n’accepte guère les
actualisations, comme l’ont confirmés de multiples adaptations présentées ces
dernières années par de nombreux théâtres lyriques.
Giacomo Puccini (1858-1924), Tosca. Acte I. Martina Serafin (Floria Tosca), Marcelo Alvarez (Mario Cavaradossi). Photo : (c) Opéra de Paris
Avec
un opéra au contexte historique comme Tosca, placé sous le signe de
Bonaparte cité à plusieurs reprises, il est difficile de faire abstraction de l’embrasement
de l’Europe dû aux conquêtes napoléoniennes. D’autant que, dans cet ouvrage,
l’ombre du « grand homme » se déploie d’un bout à l’autre. Il y est
aussi beaucoup question de la Rome pontificale qui, menacée par les Jacobins,
appelle à la rescousse la reine de Naples… Certes est-il surtout question dans Tosca
de préoccupations de portée universelle (dictature, liberté, art, amour,
sacrifice, sabre, goupillon, torture, etc.), mais le livret est là, et il est
bien improbable de s’en abstraire. Pierre Audi, directeur artistique de l’Opéra
national d’Amsterdam, a choisi, à l’instar de Schroeter, de cantonner l’action
de sa mise en scène dans l’époque définie par Victorien Sardou pour sa pièce
éponyme à laquelle Puccini s’est lui-même conformé pour l’opéra qu’il en a tiré
avec la collaboration de ses deux librettistes, Giuseppe Giacosa et Luigi
Illica.
Giacomo Puccini (1858-1924), Tosca. Acte I. Martina Serafin (Floria Tosca), Marcelo Alvarez (Mario Cavaradossi). Photo : (c) Opéra de Paris
Pourtant,
le metteur en scène d’origine libanaise a pu prendre une liberté de bon aloi
envers un texte dont il a judicieusement respecté l’esprit, plus que la lettre,
avec raison. Les costumes de l’époque
napoléonienne et les uniformes des soldats de l’armée autrichienne que l’on
voit sur les tableaux illustrant la bataille d'Austerlitz adaptés ici par Robby
Duiveman participent de ce contexte librement inspiré de l’Histoire. Mais
l’approche d’Audi s’avère plus chargée et alambiquée que celle de son aîné
allemand, qui, malgré son approche inachevée et suscitant des réserves, était
plus lisible et directe. Chez Audi, la croix est
omniprésente, davantage que Rome-même. A commencer par une croix gigantesque en
granit noir qui domine les décors de Christof Hetzer qui symbolise l’oppression
de l’Eglise romaine soumise elle-même à la terreur exercée par le politique en
général et par le baron Scarpia en particulier à laquelle elle adhère et qu’elle
amplifie du fait de sa soumission-même.
Giacomo Puccini (1858-1924), Tosca. Acte I, finale. Photo : (c) Opéra de Paris
Au premier acte, la croix plantée longitudinalement
sur le plateau tient lieu d’église-bunker dont l’un des murs supporte à fresque
le tableau en cours d’exécution du peintre Mario Cavaradossi qui s’avère être
un amoncèlement de nus féminins enchevêtrés et alanguis digne des temples païens
de l’empire romain que l’Eglise condamnerait à coup sûr, même de nos jours. Au
deuxième acte, le bureau de Scarpia est d’un rouge digne d’une maison close agrémenté
de mille accessoires (globe terrestre, microscope et autres instruments
astrologiques, grande table ronde, crucifix, etc.) écrasé par une croix géante servant
de plafond.
Giacomo Puccini (1858-1924), Tosca. Acte II. Ludovic Tézier (Scarpia), Marcelo Alvarez (Mario Cavaradossi), Martina Serafin (Floria Tosca), Photo : (c) Opéra de Paris
Trois grands dégagements qui donnent sur la chambre de torture et perdent
les bourreaux et leur victime, Mario Cavaradossi, ainsi que Scarpia lui-même,
qui ne sait plus où porter son regard lorsque parviennent à ses oreilles les
cris du peintre et surgissent ses sbires et son bourreau, ce dernier immanquablement
affublé d’un costume ajouré type SM. L’acte III ne se déroule plus sur la
terrasse du château Saint-Ange mais au milieu d’un terrain vague apparemment
proche des murs de la cité papale, puisque l’on entend les cloches des églises
de Rome depuis un champ fauché par les bombes (celles de Bonaparte ?) avec, côté
jardin, une tente de campagne militaire éclairée de l’intérieur où il ne se
passe strictement rien. Une gigantesque croix de béton accrochée aux cintres écrase
le tout, menaçant les personnages telle une comète. Du coup, avec ce grand
espace envahi par une végétation malingre, Tosca ne peut plus se jeter dans le
vide pour mourir mais ne peut que s’éloigner, hypnotisée par une lumière grise
et crue qui pourrait être celle de la rédemption.
Giacomo Puccini (1858-1924), Tosca. Acte II, finale. Ludovic Tézier (Scarpia), Martina Serafin (Floria Tosca), Photo : (c) Opéra de Paris
Avec un tel amoncèlement de croix et de crucifix en
tous genres parant les trois actes ce cette Tosca,
les vendeurs de bondieuseries du quartier latin environnant la place Saint-Sulpice
ont dû être à la fête lorsque les accessoiristes de l’Opéra de Paris ce sont
enquis de cette emblème chrétienne. Parmi les curiosités de la conception d’Audi,
le sacristain qui promu ici vicaire... Seul le finale de l’acte initial, avec
ces monsignori et enfants de chœur directement
sortis du défilé de mode du film Fellini-Roma,
s'avère une belle image, même si l’idée de ce clin d’œil n’est pas nouvelle. La
direction d’acteur d’Audi est réduite au strict minimum, tant les pauses sont
télégraphiées. Il manque donc le vrai théâtre à cette production, le comble
chez Puccini, surtout après la vie et l’authenticité dramatique qu’avait
insufflé Werner Schroeter.
Giacomo Puccini (1858-1924), Tosca. Acte III. Martina Serafin (Floria Tosca), Marcelo Alvarez (Mario Cavaradossi). Photo : (c) Opéra de Paris
Laissés à eux-mêmes par une mise en scène plus proche
de la mise en place que de la direction d’acteur, les chanteurs sont engoncés
dans une gestique plus ou moins télégraphiée. Ce qui s’impose dans toute son
évidence avec Marcelo Alvarez, qui, en Mario Cavaradossi, en fait scéniquement
des tonnes, prenant la pause, adoptant des postures ampoulées, se déplaçant
pesamment. Il affronte en outre un problème de voile des cordes vocales lorsque
la voix se situe dans les nuances p
et pp et dans certaines notes aiguës,
particulièrement au deuxième acte où il est contraint d’user du falcetto. En Floria Tosca, Martina
Serafin, que l’on avait déjà pu entendre à Bastille dans ce même rôle, est
habitée par son personnage. Il émane de sa voix nuances, puissance et grain,
mais elle est parfois fâchée avec la justesse, surtout dans l’aigu, inégal. Elle
aussi cherche ses marques côté théâtre, surtout lorsqu’elle chante seule le
fameux Vissi d’arte comme si elle
essayait de se convaincre elle-même de sa candeur tandis que Scarpia, sans
doute parti s’enquérir de l’avancée de l’interrogatoire de son amant
Cavaradossi, se fiche comme d’une guigne des états d’âme de celle qu’il entend
posséder par tous les moyens. En fait, c’est le baron Scarpia de Ludovic Tézier
qui convainc le plus. Quoiqu’annoncé souffrant, il est finalement le plus égal de
voix et le meilleur acteur du trio central. Ampleur, timbre, prestance,
présence, jeu, même si l’on sent qu’il cherche parfois ses marques dans l’espace
et le mouvement, et que son état de santé l’oblige à de rares et passagères faiblesses
dans le deuxième acte, où il a failli choir sur son séant en ratant le fauteuil
en s’asseyant, le premier le voyant impérieux. Les seconds rôles sont tous très
bien tenus, y compris le jeune pâtre du début du troisième acte, confié à la
voix fragile mais authentique d’un garçon de la Maîtrise des Hauts-de-Seine.
Giacomo Puccini (1858-1924), Tosca. Acte III, finale. Martina Serafin (Floria Tosca). Photo : (c) Opéra de Paris
Dans la fosse, l’orchestre se montre moins nuancé que
de coutume, Daniel Oren, entendu plus inspiré à Toulouse dix jours plus tôt
dans Un ballo in maschera de Verdi (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2014/10/un-bal-masque-de-verdi-dune-grande.html) et
pourtant familier du lieu, se limitant à trois échelles,
sforzando-forte-fortissimo, sans
jamais baisser la garde tout en s’avérant attentif aux chanteurs, qu’il guide
et soutient avec attention. Belles prestations solistes, surtout du violoncelle
et des deux premières clarinettes, ainsi que des cuivres, qui font un
sans-faute mais se font parfois trop stridents et manquent de fondu.
Bruno
Serrou
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