Lyon, Opéra national de Lyon, samedi 11 octobre
2014
Richard Wagner (1813-1883), Der fliegende Holländer. Photo : (c) Jean-Louis Fernandez
Quatrième opéra de Richard Wagner, Der fliegende Holländer (le
Hollandais volant, 1843), connu en France sous le titre le Vaisseau fantôme, ouvrage que son
auteur destinait à l’Opéra de Paris qui le lui refusa tout en lui achetant les
droits du livret pour en confier la musique au compositeur français
Pierre-Louis Dietsch (1808-1865), est le premier des dix opéras jugés dignes
par les descendants du maître saxon de la scène du Festspielhaus de Bayreuth. Sa
durée, comparable au seul prologue du Ring,
Das Rheingold (l’Or du
Rhin) dans la production wagnérienne lui
aussi donné sans entracte, et sa structure traditionnelle où perce déjà la révolution formelle wagnérienne, ainsi que certains de
ses grands thèmes, l’errance, le sacrifice, la rédemption par l’amour, en font
à la fois l’œuvre la plus accessible de Wagner et une œuvre-synthèse quoique
située en aval dans le devenir du musicien dramaturge.
Richard Wagner (1813-1883), Acte I. Der fliegende Holländer. Photo : (c) Jean-Louis Fernandez
Dans la
continuité de sa collaboration avec la Fura dels Baus, plus particulièrement
avec Àlex Ollé, l’un des six
directeurs artistiques de la structure catalane, l’Opéra national de Lyon,
cette fois en coproduction avec l’Opéra de Lille, présente une nouvelle
production du Vaisseau fantôme de
Richard Wagner qui fera date. Trois ans après leur inoubliable Tristan und Isolde en ce même théâtre somptueusement dirigé par Kirill
Petrenko, l’équipe catalane propose du premier chef-d’œuvre du compositeur allemand
une lecture impressionnante mêlant intimement théâtre lyrique vivant et cinémascope. Avec Ollé
et ses collaborateurs, point d’adaptation absurde et de contresens rédhibitoire
mais une actualisation réfléchie et sensible qui tire la quintessence du quatrième
opéra de Wagner dont l’action se déploie dans un grand port industriel du
Moyen-Orient dont on ne verra la silhouette que dans le deuxième des trois
actes donnés en continu. Seul paradoxe, la kalachnikov dont ne se dépare pas Erik,
qui, portant les cartouches à la ceinture, passe ainsi du statut de simple
chasseur de gibier à celui de terroriste ou de milicien.
Richard Wagner (1813-1883), Der fliegende Holländer. Acte II. Au sol, Magdalena Anna Hofmann (Senta) et Tomislav Muzek (Erik). Photo : (c) Jean-Louis Fernandez
Avec la direction
d’acteur au cordeau d’Ollé, ce spectacle magnifiquement mis en image par Alfons
Florès au décors, Josep Abril aux costumes, le tout supérieurement éclairé par Urs
Schönebaum et efficacement animé par Franc Aleu à la vidéo, est d’une beauté plastique si singulière
qu’elle porte le spectateur au cœur-même des tempêtes fomentées par le
compositeur-dramaturge allemand. Mais cette scénographie n’est pas sans risques
pour les chanteurs, qui doivent veiller à ne pas riper sur les excroissances du
plateau couvert de sable qui provoquent des chutes de chacun des protagonistes. La direction d’acteur et la tension qu’engendre la
scénographie périlleuse participent à la mise en abîme des protagonistes.
Richard Wagner (1813-1883), Der fliegende Holländer. Acte II. Photo : (c) Jean-Louis Fernandez
Sur le
plateau, côté jardin, une gigantesque proue de cargo rongée et secouée par
l’écume grondante qui, après l’ouverture jouée dans la fosse à rideau levé sur
une houleuse tempête en haute-mer, dévoile sur le pont avant du navire la
silhouette du pilote et des marins de Daland. Une très longue échelle tombant
des cintres permet au pilote de descendre du navire sur une plage déserte, suivi
de Daland. Peu après, une ancre géante descend à son tour des cintres à cour, ombre
du vaisseau du Hollandais. Le navigateur errant apparaît tel un zombie, manteau
noir mité par la poussière et par des toiles d’araignée laiteuses.
Richard Wagner (1813-1883), Der fliegende Holländer. Acte II. Au sol, Simon Neal (le Hollandais) et Magdalena Anna Hofmann (Senta). Photo : (c) Jean-Louis Fernandez
En lieu et
place des fileuses, les ouvrières compagnes de Senta pique-niquent sur une
plage non loin du port et s’activent autour de paniers d’osier, avant que Senta,
plantée sous un parasol, découvre à la fin de son évocation de la légende du Hollandais
volant, le banni dont elle vient de chanter la triste destinée, et échange avec
lui des regards foudroyants qui les pétrifie tous deux, tandis que des ouvriers
du chantier naval voisin démembrent le navire de Daland. Au troisième acte, les
diverses masses chorales sont traitées de superbe façon, tandis que les ombres
des marins du Hollandais hantent le vaisseau fantôme puis l’espace entier
tandis que le navire disparaît avant que le Hollandais s’enfonce dans les flots
où le rejoint Senta en un final saisissant de beauté.
Richard Wagner (1813-1883), Der fliegende Holländer. Acte III. Marins et leurs épouses, et membres de l'équipage du Vaisseau fantôme. Photo : (c) Jean-Louis Fernandez
La
distribution est parfaitement cohérente, avec d’excellents seconds rôles, comme
l’Erik de Timoslav Muzek dont la voix s’échauffe peu à peu pour s’épanouir pleinement
dans son dernier air, d’une chaleur et d’un velours rayonnant, à l’instar du solide
Pilote de Luc Robert. La Senta de Magdalena Anna Hofmann a le timbre brillant
et frais mais le vibrato trop large. Le Daland de Falk Struckmann est entier et
franc, mais son manque de graves est trop évident. Simon Neal Hollandais touche
en Hollandais par sa présence et les légères failles de sa voix dont la
fragilité contribue à l’humanité déchirante du personnage, et le timbre est
séduisant.
Richard Wagner (1813-1883), Der fliegende Holländer. Acte III. Tomislav Muzek (Erik), Magdalena Anna Hofmann (Senta). Photo : (c) Jean-Louis Fernandez
Mais ce sont les chœurs, magistraux, qui emportent la palme de la
soirée. En revanche, l’Orchestre de l’Opéra national de Lyon est apparu samedi
moins sûr qu’en d’autres circonstances, surtout côté cuivres, qui se sont avérés
trop peu fiables. La direction de Kazushi Ono s’est avérée moins nuancée que de
coutume, notamment lors de Parsifal qu’il
a dirigé en mars 2012 dans ce même Opéra de Lyon dont il est le directeur musical.
Bruno
Serrou
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