Née le 4 décembre 1977 à Izmir (Smyrne), en
Turquie, Zeynep Gedizlioğlu a commencé ses études musicales par le hautbois, à l’Université
Mimar Sinan à Istanbul, où elle a également entrepris l’étude de la
composition avec Cengiz Tanç, puis le contrepoint, la fugue, l’harmonie et la composition
au Conservatoire d’Istanbul. En 2001, elle se rend en Allemagne pour suivre les
cours de composition de Theo Brandmüller à Saarbrücken, ainsi que ceux de Wolfgang
Rihm à Karlsruhe et d’Ivan Fedele à Strasbourg, tout en s’initiant à la musique
électronique avec Daniel Teruggi et François Donato au GRM à Paris. Elle participe
également aux cours d’été de Darmstadt et reçoit de nombreuses bourses,
notamment dans le cadre de sa participation au cours de composition et d’informatique
musicale de l’IRCAM et au Centre Acanthes, au sein de l’atelier de composition du
Quatuor Arditti, qui lui commande son deuxième quatuor à cordes en 2007. Pour
le théâtre, elle compose la musique de pièces comme Olly’s Prison d’Edward Bond et Act
without Word II de Samuel Beckett.
Photo : (c) Manu Theobald, DR
Après avoir vécu plusieurs années en France, Zeynep
Gedizlioğlu vit désormais entre l’Allemagne et la Turquie. Elle vient de se voir
attribuer la plus haute distinction qu’un compositeur puisse recevoir, le Prix
Ernst von Siemens 2012, considéré comme le « Prix Nobel de Musique ».
L’alternance entre l’impulsion et l’écho est l’un des principes formels
et dramaturgiques fondamentaux de la création de la compositrice turque. Quant à l’auditeur, il est
confronté à un geste d’une puissance saisissante, une attaque du son souvent singulièrement physique, tandis qu'un vaste espace s’ouvre à l’ombre
de ces événements dans lequel pressions
et strates sont préparées par des
entrées décalées qui alternent tension extrême et détente.
Photo : DR
Le CD que
lui consacre Col legno présente les multiples aspects de la création de cette
remarquable artiste à travers huit pièces pour diverses formations. Susma (Ne pas
se taire, 2007) qui ouvre le programme est le
second quatuor à cordes de Zeynep
Gedizlioğlu, fruit d’une commande du Quatuor Arditti, qui l’interprète ici. Cette
partition de moins de sept minutes est due autant à
la volonté de la compositrice de faire
acte de témoignage politique et humaniste, la pièce
étant dédiée à la mémoire du journaliste
arménien Firat Hrant Dink assassiné à Istanbul en 2007,
et à la résonance créatrice
d’un tel drame, entre le geste violent
et le statisme suscité par l’horreur d’un
tel drame. Conçu en 2005, et donné en 2007 au Festival Musica de Strasbourg, Yol (le Chemin) pour clarinette, vibraphone,
piano, violon et violoncelle ouvre un bel espace de résonance à l’intérieur
duquel la compositrice tisse progressivement un réseau de lignes selon un processus
continu aboutissant à la densification de la matière sonore. Les
titres de pièces telles que
Ungleiche Gleichungen
(Equations inégales)
composé en 2006 pour clarinette et
violoncelle relève du jeu de non-identités, qui définit également des œuvres comme In Akdenizli (La Méditerranée) pour violon, alto et piano de 2007, et les variations
rythmiques et ornementales d’un même motif dans le quatuor Susma
superposées les unes sur les autres, produisant ainsi une hétérophonie,
qui peut s’inspirer de formes traditionnelles, mais qui en brouille
les contours. Cette accumulation ne se limite pas à l’horizontalité temporelle
et rythmique, comme le démontre Kesik
(Coupé) pour 12 instruments (2010), où
des lignes mélodiques entières sont reproduites
de façon verticale, liées à une structure concertante qui fait contraster registres, groupes instrumentaux et lignes solistes. Ce qui en résulte est
singulièrement frappant, avec ces approximations des assemblages pourtant précisément
articulées, une précision sans contraintes, une polyphonie sans diffusion.
Un disque passionnant pour découvrir la profondeur et la richesse de la pensée
et la diversité du talent d’une compositrice de tout premier plan, à connaître
absolument.
Bruno Serrou
1) Zeynep Gedizlioğlu, Kesik. Col legno WWE 1CD 40405
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