Paris, Espace Cardin, samedi 29 décembre 2012
C’est avec le seul opéra Hänsel und Gretel qu’Engelbert Humperdinck
(1854-1921) - qui en signa pourtant sept autres, dont Königskinder exhumé à Montpellier par René Koering en 2005 (1) -,
est passé à la postérité. Le conte éponyme des frères Grimm qui s’inspire du Petit Poucet de Charles Perrault mis en
musique par Humperdinck réjouit tous les publics, petits et grands, de tous les
théâtres germaniques depuis plus d’un siècle, surtout au moment des fêtes de
Noël. Richard Strauss, qui en dirigea la création au Théâtre de Weimar le 23
décembre 1893 avec sa future épouse, Pauline de Ahna, dans le rôle de Gretel,
adorait cet ouvrage qu’il jugeait « original, nouveau et vraiment allemand ».
Le critique viennois Eduard Hanslick, ennemi juré de Richard Wagner, concéda pourtant
qu’il s’agissait-là de l’opéra allemand le plus significatif depuis Parsifal, créé onze ans plus tôt. Ce qui
n’est d’ailleurs pas sans raisons, lorsque l’on sait que Humperdinck a été l’assistant
de Wagner dans la genèse et pour la création à Bayreuth de son ultime ouvrage, en
1882, et qu’il vouait une totale vénération au maître saxon rencontré en 1879. Longtemps
connu par l’emprunt de son nom qu’en a fait une pop’ star britannique surtout célèbre
dans les années 1960-1970, Engelbert Humperdinck est l’auteur d’une œuvre qui reste
relativement confidentielle, du moins en France, où il a longtemps été considéré
comme un simple épigone de Wagner. Si bien qu’il a dû attendre novembre 1997
pour que sa partition la plus connue, Hänsel und Gretel, soit donnée
dans sa version originale. Cela se passait au Théâtre du Châtelet sous la
direction de Christoph von Dohnanyi et dans une mise en scène de Yannis Kokkos.
Cette production allait être reprise trois ans plus tard avec une distribution
légèrement modifiée (Philippe Jordan étant cette fois au pupitre), avant de
disparaître pendant douze ans. Aussi, convient-il de s’étonner que deux
productions nouvelles soient présentées à Paris à quatre mois de distance en
cette saison 2012-2013, l’Opéra de Paris l’inscrivant enfin à son répertoire en
avril prochain…
Engelbert Humperdinck (1854-1921). Photo : DR
Composé à Francfort-sur-le-Main en
1891 sur un livret de la sœur du compositeur, Adelheid Wette, qui le destinait
à ses propres enfants après l’avoir adapté d’un conte des frères Grimm, Hänsel
und Gretel combine brillamment des chants traditionnels allemands à une
orchestration et à des leitmotive d’essence wagnérienne qui évoquent surtout le Crépuscule des dieux et Parsifal. Le travail de Wette gomme l’aspect
subversif du conte original. Ainsi, là où chez les Grimm la mère décidait de
perdre les enfants qu’elle jugeait impossibles dans la forêt pour se
débarrasser de deux bouches à nourrir, ceux-ci s’y égayent dans l’opéra de leur
propre chef en quête de quelques fraises des bois. Dans la version originale, utilisant
la technique du Petit Poucet, Hänsel semait tout d’abord des cailloux blancs
pour retrouver le chemin de la maison, et c’est à la seconde tentative d’abandon
de la mère que réussit Hänsel, qui n'avait pourtant trouvé que des miettes de pain
à semer que des oiseaux allaient bien évidemment dévorer avidement. Dans la version de Humperdinck, les
personnages sont tous charmants. Les enfants sont un peu turbulents et légèrement
capricieux, plus gourmands qu’affamés. Malgré leur jeune âge, fille et garçon
sont déjà fondus dans leur rôle social, Gretel en coquette, Hänsel en héros,
tous deux presque plus réfléchis qu’indociles. Les parents sont justes et sages, et ils ne
s’irritent que lorsque leurs enfants font des bêtises, et regrettent vite les
dangers qu’ils sont amenés à leur faire courir…
Dans une scénographie qui puise son
inspiration dans le pop’art façon Jean-Michel Basquiat (1960-1988) renchéri par
des contorsions chorégraphiques façon hip-hop désormais enseignées dans les
conservatoires, Mireille Larroche a situé le conte dans une cité de quelque
banlieue parisienne désœuvrée contemporaine. Si le fond du décor constitué d’HLM
joliment éclairés de l’intérieur laissent augurer pendant l’ouverture un spectacle au
climat fantastique, l’installation soudaine par des machinistes de la masure
familiale côté jardin engloutit rapidement le rêve. Surtout envahi par une
montagne d’accessoires, dont un réfrigérateur rouillé et un matelas rapiécé qui
occupent l’espace et fait trop cliché. Les couettes années 1950 et le casque de
lecteur MP3 années 2010 arborés par Gretel font hiatus, à l’instar de la
casquette portée à l'envers par Hänsel façon rappeur. Mais en vérité l’apparition
d’un bois bordé par les tours bétonnées encombré de détritus n’a rien d’improbable,
me rappelant quelque cueillette en forêt non loin de Paris de morilles dodues
jonchant le sol au milieu d’immondices de provenances douteuses. L’apparition d’un
Marchand de sable de science fiction (radieuse Claire Lairy) avec tours de
passe-passe électronique et la séquence de la sorcière au pain d’épice au
troisième acte transformée en numéro de vidéo-gag autour d’une tenancière de
fast-food campée par un rutilant Artavazd Sargsyan, sont délectables.
Alternant deux distributions et
les versions en langue originale allemande, entendue samedi, et l’adaptation en
français, la production de la Péniche Opéra vue Espace Pierre Cardin, dont la
salle est étrangement délabrée côté public, est musicalement très homogène.
Takénori Némoto, qui dirige un excellent ensemble de huit musiciens, signe une
réduction qui prive certes l’œuvre de la richesse harmonique et des flamboyances
du grand orchestre mais qui souligne les aspérités de la partition et met en
exergue le tour populaire des mélodies qui font clairement de Humperdinck un
chaînon manquant entre Wagner et Mahler. Jennifer Whennen et Yolanda Fresedo
forment une charmante fratrie, chantant et jouant avec justesse, tandis qu’Anne Rodier et Vikrant Subramanian
sont des parents un peu effacés. Les enfants de la Maîtrise des Hauts-de-Seine,
qui avait déjà participé voilà quinze ans à la production du Châtelet, participent
gaiement à la réussite globale de ce spectacle.
Bruno Serrou
Photos : (c) La Péniche Opéra (sauf Engelbert Humperdinck, DR)
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