Pianiste
impressionnant d’habileté et de panache, pilier du remarquable ensemble belge
de musique contemporaine Ictus dont il est l’un des membres fondateurs,
Jean-Luc Fafchamps est l’un des compositeurs belges les plus représentatifs. Né
à Bruxelles en 1960, professeur d’analyse musicale au Conservatoire royal de
Mons, il a consacré ses premières œuvres aux petits ensembles
où le piano tient
une place centrale, avant de se tourner vers des
formations plus larges lui permettant de déployer son intérêt
pour les harmonies non tempérées
et les polyphonies de timbres. Il s’attache
désormais aux grandes formations dans lesquelles son goût pour les constructions paradoxales et son sens de la synthèse peuvent s’épanouir.
Depuis 1999,
Jean-Luc Fafchamps travaille sur un vaste cycle « ouvert » qui
puise son inspiration dans la symbolique mystique des vingt-huit lettres de l’alphabet
Soufi et de l’incantation de la Da’Wah. Le compositeur en est aujourd’hui à treize lettres. Il lui en reste donc quinze, comme il se plaît à en convenir…
Conformément à la charte soufie qui attribue des
caractéristiques propres aux différentes lettres,
Fafchamps est en train de réaliser une véritable
ode à chacune des composantes de l’alphabet arabe.
Le compositeur, lors d’exécutions de ses pièces en
concert, les agence de façon aléatoire avec pour finalité la formation d'un mot. Ce « work
in progress » a déjà donné lieu à un certain nombre de concerts, et six de ces pièces font l’objet du présent disque. Etrange
univers où se tissent d’incroyables jeux de correspondances et de rébus… Cet enregistrement réalisé au cours d’un concert
donné le 16 mars 2006 au Palais des
Beaux-Arts de Bruxelles lors du Festival Ars Musica réunit six lettres arrangées pour former le mot KDGhZ2SA. « J’ai abordé les lettres comme des
oracles ouverts », convient Fafchamps, qui a
conçu un oracle tel des paramètres symboliques
propres aux lettres.
K (Kàf)
et A, qui ouvrent et concluent respectivement
le disque sont les premières pièces pour grand orchestre écrites par
Fafchamps, qui atteste d’entrée d’un incontestable talent de symphoniste. Loin
de tout sectarisme intellectuel et musical comme de toute complaisance
néo-tonale, à l’instar de l’ensemble dont il est membre qui le conduit à fréquenter
assidûment toute la musique de notre temps, Fafchamps démontre une puissance d’inspiration
et une maîtrise des masses instrumentales extraordinaires, un souffle épique
mêlé d’un raffinement de timbres et d’harmonies stupéfiant. K (2005-2006) est une pièce d’une
douzaine de minutes au mouvement luxuriant, aux sonorités opulentes, denses et nacrées,
ponctuée de gestes orchestraux décalés, inattendus, porteuse d’une sensualité exubérante.
Créé en mars 2006 dans le cadre du Festival Ars Musica de Bruxelles, A associe Ictus et l’Orchestre National
de Lille en un enchaînement de péripéties rutilantes qui conduit à une singulière
cadence métronomique des cordes de l’orchestre sur fond de solo de caisse
claire. Créé dans le cadre du Festival Musica de Bruxelles en mars 2006, Z2 (Z2Dàd)
est un virevoltant concerto de huit minutes pour hautbois et ensemble (flûte,
clarinette, piano, percussion et quintette à cordes) se présentant tel un intermède
au milieu de ses voisines plus graves ou plus imposantes. Chaque pièce impose
une ambiance propre, les pages pour ensemble faisant alterner des atmosphères
très tranchées, du répétitif D (Dàl) pour clarinette, percussion, piano
et trio à cordes (2002) à la force envoûtante de S (2000) en passant par le lent et obsédant Gh (Ghain) pour flûte,
hautbois, clarinette, saxophone, cor, deux percussions et quintette à cordes, page
la plus développée du CD (16mn) créée en 2004.
Tandis que ces deux œuvres gorgées
d’inventions plus spectaculaires les unes que les autres qui les placent dans la
continuité de Varèse et de Xenakis sont habilement interprétées par l’Orchestre
National de Lille dirigé avec vigueur et conviction par Peter Rundel, les
quatre autres pages, pour effectifs plus concis, sont magistralement défendues
par l’Ensemble Ictus, actuellement en résidence à Lille.
Soixante-dix minutes de pure joie
musicale, avec six merveilles sonores et d'onirisme agrégeant frénésie symphonique et intimité
chambriste qui imposent un maître du temps et du timbre digne d’un peintre
magnifiant une palette infinie et luxuriante qu’il agence avec un art singulier dont
seul est capable un artiste de haut rang.
Bruno Serrou
Photos : DR
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