Paris, Salle Pleyel, mardi 9 janvier 2013
Valeri Gergiev. Photo : DR
C’est devant une salle archicomble
qu’a été donné le second concert en deux jours de la première vague des
symphonies et concertos de Dimitri Chostakovitch dont la Salle Pleyel a confié
l’intégrale à l’Orchestre du Théâtre Mariinski et à son directeur musical
Valeri Gergiev et qui s’échelonnera jusqu’en février 2014. Certes, le Mariinski,
ex-Kirov, qui a créé les opéras de Chostakovitch, n’est pas le Philharmonique
de Saint-Pétersbourg, ex-Leningrad, qui a créé pour sa part plusieurs
symphonies du compositeur sous la direction de son légendaire directeur, Evgeni
Mravinski... Quelques semaines après le London Symphony Orchestra pour l'intégrale des symphonies du Polonais Szymanowski et de l'Allemand Brahms, Gergiev a donc retrouvé Pleyel avec l'Orchestre du Théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg pour illustrer la musique de son compatriote Dimitri Chostakovitch.
Orchestre du Théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg. Photo : DR
Mais avant d’évoquer ce
concert, manifestons notre agacement provoqué par l’incapacité du public
parisien à se concentrer sur l’écoute des œuvres qui lui sont proposées,
surtout dans les moments les plus intimistes, ne craignant pas de rompre
l’enchantement des mesures finales d’une œuvre concluant le concert entier
annihilé de ce fait par des grattements de gorge bruyants, des toux
non-contenues tandis que l'orchestre s’éteint dans de célestes pianississimi…
Dimitri Chostakovitch (1906-1975). Photo : DR
Le concert de mardi s’est
ouvert sur la Symphonie n° 3 en mi bémol majeur op. 20 « Le Premier
Mai ». Composée en 1929, cette partition d’une trentaine de minutes
est l’une des plus pompières et académiques de Chostakovitch, et son nuancier est
circonscrit du début à la fin entre mezzo forte et fortississimo, tandis que le chœur
mixte chante un hymne belliqueux et niais glorifiant la révolution des
travailleurs... Il apparaît de ce fait aisément compréhensible que Staline ait pu
aimer cette musique et attendait tant de Chostakovitch par la suite… et combien
il ne pouvait être que déçu en découvrant la Quatrième Symphonie et Lady
Macbeth du district de Mtsensk...
Homogénéité et puissance (excessive) de l’orchestre, qui a effectué un sans
faute, ont néanmoins maintenu l’intérêt. S’en est ensuivi le Concerto n° 2 pour violoncelle et orchestre op. 126 que Chostakovitch a
composé en 1966 pour son ami Mstislav Rostropovitch, qui en a donné la création
à Moscou le 25 septembre de la même année avec l’Orchestre Symphonique de l’URSS
dirigé par Evgeni Svetlanov.
De forme cyclique, les mêmes mesures ouvrant et concluant l’œuvre, ce concerto touche par la profondeur qui émane de l’instrument soliste, qui évoque la solitude du compositeur, malgré les honneurs et la gloire qui entourent Chostakovitch au moment où il conçoit son concerto et qui émane de l’orchestre. Le violoncelliste italien Mario Brunello, vainqueur du Concours Tchaïkovski 1986 qui joue aujourd’hui sur le Maggini du XVIIe siècle qui a appartenu à Franco Rossi, violoncelliste du Quartetto Italiano, en a donné une lecture intense, jouant avec une aisance et dextérité telle qu’il en a restitué l’intensité humaine, après un début pas très juste, lorsque l’on sait combien le micro intervalle était loin de l'univers de Chostakovitch. Le soliste a donné en bis un émouvant chant hébraïque harmonisé par Chostakovitch pour violoncelle solo et deux violoncelles jouant cordes à vide en bourdon suivi de l’introduction du Concerto pour violoncelle.
Mario Brunello. Photo : DR
De forme cyclique, les mêmes mesures ouvrant et concluant l’œuvre, ce concerto touche par la profondeur qui émane de l’instrument soliste, qui évoque la solitude du compositeur, malgré les honneurs et la gloire qui entourent Chostakovitch au moment où il conçoit son concerto et qui émane de l’orchestre. Le violoncelliste italien Mario Brunello, vainqueur du Concours Tchaïkovski 1986 qui joue aujourd’hui sur le Maggini du XVIIe siècle qui a appartenu à Franco Rossi, violoncelliste du Quartetto Italiano, en a donné une lecture intense, jouant avec une aisance et dextérité telle qu’il en a restitué l’intensité humaine, après un début pas très juste, lorsque l’on sait combien le micro intervalle était loin de l'univers de Chostakovitch. Le soliste a donné en bis un émouvant chant hébraïque harmonisé par Chostakovitch pour violoncelle solo et deux violoncelles jouant cordes à vide en bourdon suivi de l’introduction du Concerto pour violoncelle.
Evgeni Evtouchenko (né en 1933). Photo : DR
Après avoir dirigé cette
première partie de concert sans baguette, Gergiev retrouvait son fameux « cure-dent » pour le « plat de résistance », la Symphonie n° 13 pour basse, chœur de basses et orchestre en si bémol mineur op. 113 « Babi Yar ».
Cette grande partition d’une heure qui dénonce le fléau qu'est l’antisémitisme,
créée à Moscou le 18 décembre 1962 par Vitali Gromadski, le Chœur d’hommes de l’Etat
soviétique, le Chœur de l’Institut Gnessin, l’Orchestre Philharmonique de
Moscou dirigés par Kirill Kondrachine, dans des conditions
rocambolesques (les deux basses contactées successivement - le second le jour-même - ayant été priées de ne
pas l'interpréter et Evgeni Mravinski, pourtant proche du
compositeur, ayant refusé de la diriger, cédant aux pressions politiques. Le
régime soviétique trouvait les poèmes d'Evgeni Evtouchenko (né en 1933) choisis par Chostakovitch trop crus et trop « juifs », au point de demander une révision de la symphonie à Chostakovitch. La partition originale a été mise à l’index jusqu’à la mort du compositeur mais une version « autocensurée »
par Evtouchenko a néanmoins été enregistrée par Kondrachine en 1967 à Moscou pour
le compte de Melodya (1). Cette œuvre tient en
fait davantage de la cantate que de la symphonie puisque chacun de ses
mouvements fait appel à la voix, omniprésente, et illustre sur cinq poèmes d’Evgeni
Evtouchenko (né en 1933), qui a été l’un des premiers humanistes à s’être élevés
en Union Soviétique contre le système pour la défense de la liberté d’expression,
tandis qu’il continue à se battre aujourd’hui contre les exactions russes en
Tchétchénie.
Le ravin de Babi Yar (Kiev), en 1944. Photo : DR
Chostakovitch s’est attaché tout d’abord à son poème Babi Yar publié en 1961 dans la Literatournaïa Gazeta où le poète
dénonce les atrocités nazies de Babi Yar (2). Ce poème ouvre la symphonie et lui
donne son titre, et les quatre mouvements suivants se fondent sur autant de
sonnets d’Evtouchenko, le caustique Humour,
la louange aux femmes russes le Magasin,
les Terreurs quotidiennes suscitées
par les totalitarismes et l’apologie du courage de ceux qui crient et
persistent dans l’expression de leurs opinions, dans la Carrière. Ces cinq parties forment un véritable cycle unifiées
qu'elles sont par un même matériau thématique et traitant de l’histoire, du quotidien et de
la mentalité soviétiques. Valeri Gergiev en a donné une interprétation magistrale. Impressionnante de grandeur et de
retenue, humble et sensible, avec un
orchestre assez magique. Gergiev tout en nuances et profondeur, marquant chaque
intonation, suscitant au cordeau le moindre départ, démultipliant sa battue et
ses regards en direction des divers pupitres de sa phalange pétersbourgeoise,
du Chœur du Théâtre Mariinski, majestueux, debout sans podium derrière les
percussions, et de la basse, le solide Mikhail Petrenko, membre du Théâtre
Mariinski, placé devant les seconds violons, côté cour. Tension, émotion du finale
qui s'éteint sur une douce mélopée du violon solo dialoguant délicatement avec son alter ego des
altos, ont hélas été gâché par les raclements de gorge de goujats disséminés
dans la salle.
Bruno Serrou
1) La commémoration juive de Babi Yar a été
interdite en URSS jusqu’en 1987, et l’enregistrement de la création de la Symphonie n° 13 de Chostakovitch n’a été
publié au disque pour la première fois qu’en 1997.
2) Le massacre de Babi Yar est la plus grande tuerie de la Shoah par balles menée par les Einsatzgruppen nazis en Ukraine : 33.771 personnes, principalement des Juifs, mais aussi des prisonniers de guerre soviétiques, des communistes, des Roms, des nationalistes ukrainiens et des otages civils, ont été assassinées par les nazis et leurs collaborateurs locaux, principalement les 29 et 30 septembre 1941, aux abords du ravin de Babi Yar dans la proche banlieue de Kiev.
2) Le massacre de Babi Yar est la plus grande tuerie de la Shoah par balles menée par les Einsatzgruppen nazis en Ukraine : 33.771 personnes, principalement des Juifs, mais aussi des prisonniers de guerre soviétiques, des communistes, des Roms, des nationalistes ukrainiens et des otages civils, ont été assassinées par les nazis et leurs collaborateurs locaux, principalement les 29 et 30 septembre 1941, aux abords du ravin de Babi Yar dans la proche banlieue de Kiev.
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