Né à Saint-Sébastien en 1968 et formé au Conservatoire de sa ville natale par le compositeur basque Francisco Escudero (1912-2002), puis à Paris, où il vit désormais, après y avoir étudié la composition avec Alain Bancquart et Gérard Grisey au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, d’où il sort en 1990, titulaire d'un DEA de Musicologie à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales de Paris, Ramón Lazkano fait en 1988, la rencontre, brève mais fulgurante et décisive dans sa carrière, de Helmut Lachenmann. Une rencontre qui ira bien au-delà d’une simple influence sur son parcours de créateur car elle allait aussi le marquer dans ses préoccupations sociales et politiques. Se pose alors dans sa composition une idée qu’il affermit dans les années 1990, le concept de l’érosion, l'intertextualité, la saturation, le silence et l’expérience du son et du temps sur lesquels il a l’occasion de réfléchir longuement pendant son séjour à la Villa Médicis de Rome en 2000-2002.
Jorge Oteiza (1912-2002)
La découverte des sculptures de
Jorge Oteiza (1908-2003) en 2000 dans le Laboratoire expérimental
ou Laboratorio de Tizas (Laboratoire des craies) fondé n 1954
par le plasticien basque, homme de conviction, polémiste redouté, travailleur
infatigable de la pierre et du fer qui a fait du carré et de la sphère les
outils de sa réflexion sur la relation du volume et de l’espace et qui refusait
la notion de musée à laquelle il préférait celle de laboratoire, a donné à
Lazkano l’idée de creuser davantage
encore ces principes dans le domaine musical, plus particulièrement celui de l’érosion.
En effet, pour Oteiza, l’expression du vide, l’occupation active de l’espace
est à construire et cette construction passe par la fusion d’unités formelles
légères, dynamiques et ouvertes. Chez le compositeur, il s’agit d’érosion des
matériaux de l’orchestre jusqu’au silence, d’érosion de la vie, qui chemine inévitablement
vers la mort, notion qui gouverne la pensée d'un autre compositeur, l’Italien Francesco Filidei (voir le portrait de ce dernier sur ce
même blog en date du 16 janvier 2013).
Ramón Lazkano (né en 1968).
Implanté à
Alzuza, en Navarre, le Laboratoire expérimental
d’Oteiza, plus connu sous le nom de Laboratorio
de Tizas, réunit une riche collection de quelques quatre mille petites
sculptures de craie, de laiton, de plâtre, de papier, de bois et de liège
fruits de l’activité expérimentale du sculpteur basque. « Là, se souvient
Lazkano, j’ai retrouvé le Laboratorio de Tizas, d’abord de loin, par l’intermédiaire d’écrans qui peuvent évoquer un musée anthropologique,
mais qui, de près, révèlent une myriade d’objets entassés de façon
imprévisible. J’ai alors été fasciné par la
notion d'expérience chez Oteiza, d’essai dans une phase de questionnement de ses matériaux, sans projet
spécifique ou attente préétablie quant à l’issue. » Mention a souvent été faite du côté architectonique de Lazkano, de son intérêt pour l’espace et la physique du son, le compositeur allant jusqu’à parler de
«son sculpté » pour ce qui concerne sa mise en forme dans un espace invisible mais
déterminé par le contexte physique des vibrations
sonores décrit comme « une forme d’émanation spatiale partagée
entre sculpture et musique ».
Le Laboratoire des Craies de Jorge Oteiza à Alzuza, Navarre. Photo : DR
Igeltsoen Laborategia (Laboratoire
des craies en basque) est un cycle de pièces de musique de chambre à
géométrie variable que le compositeur élabore au quotidien avec l’objectif d’en
peaufiner une par an, quitte à y revenir dessus comme il l’a fait pour Egan-1. « Ce sont
des laps de temps, des extraits de temps, il n’y a pas une finitude, assure
Lazkano. Le déroulement hypothétique de ce morceau se passe ailleurs. Un peu
comme nous d’ailleurs. Parce qu’on naît, on meurt, d’accord, mais comment s’inscrit-on
là ? »
Oteiza, la Milanaise. Photo : DR
A partir des dispositions
sonores et instrumentales de ce matériau extrêmement
fragile et facile à transporter qu’est la craie, est venue à Lazkano l’idée d’écrire une collection de pièces regroupées
en plusieurs cycles qu’il a commencée à concevoir en 2001 et qui reste encore à
l’état de « Work in Progress ». Suscitées par le
travail d’Oteiza, la série débute avec deux Hatsik en 2001 et 2002, suivis d’un Laiotz en 2003, d’un Hatsik-3 en 2004, et de quatre Wintersonnenwende (Solstice d’Hiver) pour
trio à cordes et célesta en 2005, pour piano et violoncelle en 2007, pour
violon, violoncelle, piano et percussion en 2009 et pour violon et piano 2010,
puis la série Egan, le premier pour
flûte, clarinette, cor, trompette, percussion et trio à cordes en 2006/2009,
les deux suivants en 2007 - l’un pour flûte, clarinette, percussion, piano et
violoncelle, l’autre pour clarinette basse, accordéon, percussion, piano,
violon, alto, violoncelle et contrebasse -, et deux Errobi en 2008, le premier pour flûte et piano, le second pour
flûte basse, clarinette basse et piano. Ces courtes pièces, à l’instar d’un
Webern, d’un Berio, voire de certaines pages de Lachenmann, forment l’ossature
de ce CD où figurent les quatre magnifiques
Wintersonnenwende qui se présentent dans
l’ordre 3-1-2-4 ponctués des deux Errobi (2 et 1) et d’Ergan-2, composés en 2006-2009, moment décisif dans le
développement créatif du compositeur. Les extraordinaires musiciens de l’Ensemble
Recherche donnent à cette musique envoutante une puissance et une beauté
plastique extrême, en magnifiant les aspérités, les sonorités et même les silences,
et lui instillant une tension et une force vitale et dramatique singulièrement
communicative, ce qui conduit parfois l’auditeur à la limite du vertige (Wintersonnenwende-3).
Bruno
Serrou
Ramón Lazkano, Laboratorio de Tizas - Chalk Laboratory.
Ensemble Recherche. 1CD Verso - Fundación BBVA. VRS 2127
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