Paris, Athénée Théâtre Louis Jouvet, jeudi 20 décembre 2012
Croquefer, ou le dernier des paladins. De gauche à droite : Emmanuelle Goizé
(Boutefeu), Flannan Obé (Croquefer), Olivier Hernandez
(Ramasse-ta-tête), Lara Naumann (Fleur-de-soufre) et Loïc Boissier
(Mousse-à-mort). Photo : (c) Claire Besse
Cette année encore, la Compagnie Les
Brigands n’a pas manqué son rendez-vous parisien de fin d’année, attirant à
l’Athénée Théâtre Louis Jouvet une foule d’amateurs épris d’ouvrages rares et
de joyeuses études de mœurs musicales. C’est
en effet un spectacle particulièrement festif comme de coutume à pareille époque que
propose la Compagnie Les Brigands. Cette fois, elle retrouve son compositeur favori, Jacques
Offenbach, dont elle exhume deux petits ouvrages qui ont fait le bonheur du
Second Empire et la gloire du « Petit Mozart des Champs-Elysées ».
Jean-Philippe Salério a porté de fait son
dévolu sur deux opéras-bouffes en un acte et neuf numéros composés à onze ans
de distance pour le même Théâtre des Bouffes Parisiens qui sont autant d’études
de mœurs de tous les temps. Jouant de miroirs conçus par le décorateur Thibaut Fack,
le metteur en scène réalise un spectacle leste et drôle mais sans vulgarité,
fait si rare aujourd’hui qu’il convient de le souligner.
Croquefer, ou le dernier des paladins. Lara Naumann (Fleur-de-soufre) et Oliver Hernandez (Ramasse-ta-tête). Photo : (c) Claire Besse
La soirée s’ouvre sur Croquefer, ou le dernier des paladins
sur un livret d’Adolphe Jaime et Etienne Tréfeu créé le 12 février 1857. Dans ce délire médiéval qui a pour cadre la plateforme d’un château-fort
à Charenton (célèbre de 1641 à 1973 pour son asile psychiatrique, désormais sur
le territoire de la commune de Saint-Maurice sous le nom d’hôpital Esquirol) où
guerroient un chevalier incomplet, un paladin sans morale, un gentilhomme prénommé
Ramasse-ta-tête et une infortunée princesse qui « pince du luth comme
Paganini et se résigne à devenir assassin », les auteurs
défient la censure qui interdisait
les pièces chantées par plus de quatre
personnages hors des maisons d’opéra, en rendant de l’un d’eux
muet, suite à des supplices de sarrasins. Dans le duo « Comment c’est vous, un gentilhomme », Offenbach moque l’Opéra de Paris, citant Meyerbeer, Donizetti et Halévy. Façon
fabliau médiéval, Offenbach raille les comportements humains à travers le
conflit de deux hobereaux qui lui permet de se gausser de la rudesse des
mentalités du moyen-âge qui perdurent encore, des ravages du port des armes sur
les corps, du courage et de son contraire, la lâcheté.
L'Ile de Tulipatan. Flonnan Obé (Hermosa) et François Rougier (Romboïdal). Photo : (c) Claire Besse
Sur un livret d’Henri Chivot et Alfred
Duru, créé le 30 septembre 1868, L’île de
Tulipatan est des plus actuels. Cette comédie de quiproquos à cinq
personnages se déroulant dans un isolement total - à 25 000 km de Nanterre
et 473 ans avant l’invention du crachoir, sous le règne de Cacatois XXII -,
permet en effet d’explorer sans retenue la confusion des genres et la revanche
de la nature sur les éducations manquées, le féminin l’emportant haut-la-main sur
le masculin : le roi souhaite devenir père d’un garçon pour
assurer sa descendance. Pendant qu’il guerroie, son épouse met au monde une
fille, qu’elle fait passer pour un fils prénommé Alexis, afin de sauver la
monarchie. De son côté, Théodorine, l’épouse du grand sénéchal Romboïdal, fait
la démarche inverse. Par crainte de le perdre un jour à la guerre, elle prétend
que le garçon qui vient de naître est une fille qui répond au prénom d’Hermosa.
Jean-Philippe Salério donne à ces
deux farces la dimension d’œuvres de portée universelle, et évite non sans tact
la grivoiserie, même dans les scènes les plus scabreuses, comme celle du
laxatif de Croquefer ou avec les
travestis de Tulipatan. Les artistes se
livrent dans les deux pièces sans retenue, si bien que la salle se laisse
volontiers porter par ce spectacle burlesque au rythme enragé. Le
quintette de chanteurs, qui sont autant de comédiens-danseurs, s’en donne à
cœur joie, et l’on rit de bonne grâce avec eux des situations les plus loufoques.
Flannan Obé brille autant en châtelain névrosé qu’en garçon manqué, et
Emmanuelle Goizé excelle successivement en écuyer omnipotent et en fille
manquée. A leurs côtés, Lara Neumann est une ineffable écervelée, François
Rougier un délectable insouciant, et Loïc Boissier un déjanté guilleret. Dans
la fosse, Christophe Grapperon dirige avec vitalité un ensemble coloré réduit à
neuf musiciens par Thibault Perrine, fidèle arrangeur des Brigands. Au sein de
cet ensemble instrumental, se distingue le contrebassiste des Ensembles
Intercontemporain et Multilatéral Nicolas Crosse, venu s’encanailler un temps avec
Offenbach.
Bruno Serrou
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