Paris, Cité de la musique, Grande Salle, samedi 8
décembre 2012
Radio-Sinfonie-Orchester Frankfurt. Photo : DR
L’ultime concert du Festival
d’Automne à Paris 2012 aura sans doute constitué le rendez-vous majeur de cette
édition. Tout d’abord par la présence de l’une des grandes phalanges des radios
allemandes, l’Orchestre Symphonique de la Radio de Francfort, mais aussi par la
qualité du programme, la présence de l’un des grands pianistes de la jeune
génération, le français Alexandre Tharaud, et, surtout, la création française
attendue d’une œuvre concertante de l’un des compositeurs les plus raffinés de
la riche génération de 1958, Gérard Pesson. Autres merveilles, deux courtes
pièces de Maurice Ravel, dont l’une orchestrée par l’un de ses plus fidèles
admirateurs et interprètes, Pierre Boulez.
Gérard Pesson (né en 1958). Photo : (c) Daguet/Editions Henry Lemoine. DR
Intitulé Future is a faded song (le Futur est une chanson fanée), fruit d’une
commande de l’Orchestre de la Tonnhalle de Zurich, qui en a donné la création
mondiale le 9 novembre 2012 à Zurich sous la direction de Pierre-André Valade,
avec Alexandre Tharaud en soliste, de l’Orchestre Symphonique de la Radio de
Francfort et du Festival d’Automne à Paris, le concerto pour piano et orchestre
de Gérard Pesson est remarquable de délicatesse, d’élégance, de bruissements, d’alliages
de timbres d’une beauté exaltante. Trois notes exposées par l’instrument soliste
d’une seule main (sol, mi, ré) ouvrent et gouvernent les vingt-cinq minutes de
la partition entière. Cette formule tout d’abord maintes fois répétée se
propage à travers l’orchestre et ses multiples solistes qui jouent avec le
piano sur des résonances dont les timbres de chaque pupitre deviennent ceux du
piano qui deviennent aussi ceux de l’orchestre de solistes où les tutti sont rarissimes et extrêmement
brefs. Ainsi le piano se fait hyper-piano à travers la trompette, qui se fait à
son tour piano, à l’instar des autres pupitres, basson, clarinette, violon,
cor, trombone, tuba, contrebasse, flûte, clarinette, la percussion (jusqu’au « cri
du lion » !), et ainsi de suite. Construite en un mouvement
unique, l’œuvre se présente néanmoins clairement en trois parties enchaînant
vif-lent-vif. Le geste est aussi au cœur du propos de Pesson, depuis le jeu muet
du pianiste auquel l’orchestre fait merveilleusement écho jusqu’à la fin avec
ce mouvement théâtral du soliste qui claque violemment le couvercle du piano
avant de le marteler avec les points puis de jouer avec les pieds la seule
résonance des cordes à partir du pédalier. Autres sonorités impressionnantes,
les clusters. Un passage du mouvement lent plonge chez Maurice Ravel, dont il
cite le beau motif central du Frontispice
entendu à l’orchestre cinquante-cinq minutes plus tôt, au tout début du
concert. Gérard Pesson obtient avec les seuls moyens acoustiques des sonorités
et des répons comparables à ceux de l’électronique en temps réel, diversifiant à
l’infini les effets et l’espace en démultipliant le piano, notamment dans le
piano « double » dissimulé au sein de l’orchestre.
Alexandre Tharaud. Photo : DR
Alexandre Tharaud
rayonnant devant son clavier, joue certes avec partition mais maîtrisant le
propos comme s’il était lui-même à la source de l’œuvre, tant il semble avoir
revêtu avec cette partition un costume taillé sur mesure, ce que confirme le
compositeur qui écrit que « cette musique est conçue (…) à partir du son
et du geste si particuliers d’Alexandre Tharaud que j’ai étudiés pour former un
timbre, une matière, et peut-être même un esprit qui nous soient communs ».
Le tout a été suprêmement restitué, bien sûr par le soliste, mais aussi par l’orchestre
de la Hesse, finement dirigé par le jeune chef milanais Tito Ceccherini, les
pupitres jouant avec la même minutieuse précision que l’écriture de Pesson, bourdonnant
avec ductilité, suscitant un plaisir de l’écoute continu. Cette grande
partition est pure merveille.
Tito Ceccherini. Photo : DR
Autres purs joyaux, les deux courtes pièces de Maurice Ravel avec lesquelles l’Orchestre Symphonique
de la Radio de Francfort a introduit chacune des parties du concert. Ici aussi, maintes perles instrumentales ornent ces miniatures, notamment
dans les quinze mesures du Frontispice
pour deux pianos (cinq mains) d’après le poème Sonate pour un jet d’eau de
Ricciotto Canudo orchestrées par Pierre Boulez, d’abord pour ensemble en 1987 puis
pour orchestre en 2007, qui, à l’instar de Ravel dans la seconde pièce, la Fanfare pour l’Eventail de Jeanne, joue
de sonorités ductiles et scintillantes qui bondissent et se propagent à travers
un orchestre fourni, comme autant d’instruments solistes qui se font écho.
Mais de joyaux, il en a été
question la soirée entière, chacune des œuvres programmées en étant emplies. A
commencer par les deux grandes et rares œuvres d’Igor Stravinski, en premier
lieu la musique pour le ballet sans intrigue Agon composée pour George Balanchine, qui l’a créée le 17 juin 1957
à Los Angeles. Une œuvre dans la mouvance de Webern et de la technique
dodécaphonique impressionnante de virtuosité qu’a excellemment servi l’orchestre.
Mais aussi le poème symphonique de 1917 le
Chant du Rossignol tiré de l’opéra Rossignol
empli de réminiscences de Petrouchka
et du Sacre du printemps qui a permis de goûter un orchestre d’une homogénéité, d’une
diversité de timbres et de couleurs sans limites. Seul Im Sommerwind (Dans le vent d’été) d’Anton Webern s’est avéré un peu sec et manquant
d’expressivité, Tito Ceccherini faisant de ce poème symphonique composé en 1904
empreint de Gustav Mahler et de Richard Strauss une œuvre d’essence plus
pré-webernienne que postromantique.
Donné devant une salle
comble extrêmement concentrée, à l’exception de quelques bavards invétérés toussotant qui plus est,
ce concert restera le plus accompli du Festival d’Automne à Paris 2012 auxquels
j’ai assisté cette année.
Bruno Serrou
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