Paris, Cité de la Musique, Amphithéâtre du Musée de la musique, lundi 17 décembre 2012
John Cage (1912-1992). Photo : DR
Au terme de cette année du centenaire de la
naissance de John Cage et du vingtième anniversaire de sa mort, la Cité de la
Musique a pris l’excellente initiative d’inviter le Quatuor Arditti à consacrer
une soirée aux quatuors à cordes du compositeur new-yorkais dont il a gravé l’intégrale
entre 1989 et 1992 (1). Il s’agissait hier soir donc d’un concert-référence auquel
les cagiens se devaient d’assister. D’ailleurs, convié dans l’amphithéâtre du
Musée de la Musique, le public est venu en nombre et l’écoute s’est avérée
particulièrement attentive, malgré quelques toux vers la fin.
Quatuor Arditti (de gauche à droite : Ralf Ehlers, Lucas Fels, Ashot Sarkissjan et Irvine Arditti). Photo : Astrid Karger, DR
Ce court concert (quatre-vingt minutes avec entracte)
s’est ouvert sur le quatuor à cordes Music
for Four, que John Cage
(1912-1992) à composé en 1987-1988 et dédié au Quatuor Arditti, qui l’a créé en
1988 à l’Université de Wesleyan à Middletown, dans le Connecticut. Pour son exécution, les membres du Quatuor Arditti
se sont dispersés à travers la salle afin que, conformément à l’exigence du
compositeur, les quatre parties apparaissent comme autant d’individualités
indépendantes. Ainsi, l’auditeur peut-il diriger à sa guise son attention sur l’un
ou l’autre instrument et vers l’un des quatre points cardinaux de la salle. Ainsi,
seul Lucas Fels (violoncelle) était assis sur le plateau, au fond, légèrement
décalé côté cour, Irvine Arditti (premier violon) au pied du plateau, à jardin,
Ashot Sarkissjan (second violon) mi-salle à cour, et Ralf Ehlers (alto) au centre derrière
le public. A l’instar de la série des Music
for… conçue entre 1984 et 1987 - le chiffre qui complète le titre correspondant
au nombre de musiciens requis pour jouer l’œuvre -, et constituée de « pièces »
et d’« interludes », Music for
Four se fonde sur la technique dite « time
brackets », tranches de temps ou segments temporels flexibles d’une
durée indiquée en secondes au sein de laquelle le musicien peut choisir à sa
guise le moment où il cesse de jouer et qui doit rester dans le silence. Œuvre
lente, voire très lente, pointilliste avec instruments se répondant ou se
reprenant les uns après les autres sur de courtes phrases, ou plutôt des bribes de phrases, voire une ou deux notes. Le côté itératif, loin cependant du répétitif minimaliste, invite à la rêverie et à la nonchalance, voire à fumer la
moquette…
Cage, String Quartet in Four Parts, extrait (1950)
Le String Quartet in Four Parts (Quatuor
à cordes en quatre
parties) date de 1949-1950. Il est l’une des dernières œuvres de Cage à ne pas être entièrement aléatoire. Comme les Sonates et Interludes pour piano préparé (1946-1948) et le ballet Les Saisons (1947), cet ouvrage explore les idées de la
philosophie hindoue. Cage a entrepris le quatuor en 1949 à Paris. Avant de commencer à travailler sur la pièce, il dit à ses parents qu'il voulait composer une œuvre qui loue le silence,
sans réellement l'utiliser. Après avoir achevé le premier mouvement, il en fut si fasciné par sa nouvelle façon de travailler qu'il a écrivit à ses parents : « Cette pièce se
présente comme l’ouverture d’une
autre porte, et les possibilités
implicites sont illimitées ». Achevé
à New York, le quatuor est dédiée à Lou Harrison, et a été créé
le 12 août 1950 au Black Mountain College.
L’œuvre illustre le concept indien des saisons qui veut
que printemps, été, automne et hiver sont chacun associés
à une idée spécifique, la création, la préservation, la destruction et la
quiétude. Cage ajoute, pour deux des mouvements, un
lieu, la France pour le premier et l’Amérique pour le dernier. Chaque partie
occupe deux pages de partition. Trois des quatre mouvements ont des tempi plutôt lents. La partition plonge dans la
musique renaissance avec un matériau musical chantant librement mais un chant brisé
par des grincements qui rendent cette musique amère. La main gauche du
violoncelliste gratte les cordes à vide qui donnent à l’instrument à archet un
côté hyper-luth avec ses résonances de cordes sympathiques. Les trois premières parties
ont des tempi lents, la troisième étant lentissime,
tandis que le quatrième mouvement a le tour de danses anciennes, rigaudon ou gigue.
Un concert étonnant, voire dérangeant, typique de
John Cage, dont la présence spirituelle était indubitable.
Bruno Serrou
1) 2CD Mode 17 et 27
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire