Bruxelles, Centre Flagey, jeudi 6 décembre 2012
Ensemble Musiques Nouvelles et Jean-Paul Dessy
Alors que malgré la grisaille et
les menaces de neige, Bruxelles scintillait de milliers de couleurs en ce jour
de saint Nicolas de Myre ou Sinterklaas,
qui débarque chaque année sur un cheval
blanc d'un bateau en provenance d’Espagne chargé de cadeaux pour les enfants, un
anniversaire attirait en nombre les mélomanes belges épris de création Centre
Flagey. Couramment dénommé le Paquebot, ce lieu est le siège historique de la
Radio Télévision belge (RTBF/VRT) construit en 1935-1938 par l’architecte Joseph
Diongre, fort heureusement sauvegardé en devenant centre culturel en 1974, avant d'être
entièrement rénové en 2008. C’est en effet là que, à l’occasion d’un concert
organisé par l’Institut national de la radiodiffusion belge (ancêtre de la
RTBF) dans le célèbre Studio 1, salle de bois en forme de boîte à chaussure à
l’acoustique exceptionnelle, que le 6 décembre 1962 l’ensemble Musiques
Nouvelles a donné son premier concert, sous l’impulsion de deux compositeurs,
Henri Pousseur (1929-2009) et Pierre Bartholomée, alors respectivement âgés de 33
et 25 ans. Quelques musiciens parmi lesquels les frères Kuijken, Robert Kohnen et Francette
Bartholomée, se rassemblèrent pour l’occasion autour de Pierre Bartholomée, marquant ainsi les
débuts d’une grande aventure musicale. Au programme du concert inaugural, Répons de Pousseur et la Sonate n° 2 pour piano de Pierre Boulez.
Aujourd’hui âgé de 75 ans, Bartholomée est, avec Philippe Boesmans et Bernard
Foccroulle, l’une des figures majeures de la musique belge contemporaine. C’est
d’ailleurs lui qui a ouvert la soirée-jubilée, en évoquant un brin de nostalgie
dans la voix le contexte de la fondation de Musiques Nouvelles et brossant un
bref historique de l’ensemble et de son action en faveur de la musique
contemporaine, rappelant quelques moments phares avant de conclure en
souhaitant aux musiciens, au public et à lui-même une soirée plus belle encore
pour les soixante ans…
Le Centre Flagey, Bruxelles
Fondé voilà un demi-siècle,
Musiques Nouvelles est ainsi le doyen des ensembles en activité, précédent de quelques mois la naissance à Paris de l’Ensemble Ars Nova de Marius Constant,
tandis que le grand aîné, le Domaine musical, fondé par Pierre Boulez en 1954
allait être dissout par Gilbert Amy en 1973. Après Bruxelles, puis Liège et de
nouveau Bruxelles, l’ensemble est désormais implanté à Mons, au sein du Centre
Culturel Transfrontalier « Le Manège Mons » dont il est depuis 2002
pôle de création et de production musicale. Ouvert sur les compositeurs du
monde, Musiques Nouvelles se consacre principalement à ceux de la Fédération
Wallonie-Bruxelles d’une diversité insoupçonnée vus de France. A ce titre,
l’ensemble organise la diffusion de concerts et manifestations artistiques en
Belgique et dans le monde, et accueille en résidence des compositeurs étrangers
ainsi que des vidéastes dans le cadre de projets pluridisciplinaires. Virtuoses
et inventifs, ses musiciens sont en effet soucieux d’investir la musique d’une
présence riche de sens et participent au
développement du répertoire de notre temps. Présentant des compositeurs qui
n’appartiennent pas toujours aux courants dominants de la musique
contemporaine, l’ensemble invente une forme de concert qui tend à renouveler
les pratiques d’écoute. Musiques Nouvelles donne chaque saison une cinquantaine
de concerts et de performances transdisciplinaires (vidéo, danse, littérature,
arts électroniques, installations, extensions du corps sonores, conférences…),
dont une vingtaine d’œuvres nouvelles, et publie plusieurs disques ainsi qu’une
revue périodique.
Pierre Bartholomée (né en 1937)
Cinq chefs se sont succédé à sa
tête en cinquante ans, Pierre Bartholomée de 1962 à 1978, Georges-Elie Octors
de 1976 à 1988 (aujourd’hui chef de l’ensemble Ictus), Jean-Pierre Peuvion de
1989 à 1993, Patrick Davin de 1993 à 1997, et, depuis quinze ans, le
compositeur violoncelliste Jean-Paul Dessy. Ce dernier est en outre l’initiateur
du European Contemporary Orchestra ou
EOC dont les musiciens sont issus de trois ensembles contemporains,
l’Ensemble Télémaque de Marseille,
dirigé par Raoul Lay, l’Orkest De Ereprijs d’Apeldoorn aux Pays-Bas, dirigé par Wim Boerman, et Musiques Nouvelles. Trente-trois musiciens
qui se sont réunis pour
former un outil de dimension et d’audience européennes. Exclusivement voué à la
création contemporaine, l’ECO « propose
un nouveau standard musical qui combine dimension symphonique et
nouvelles technologies, voix et lutherie électronique, force de frappe
d’un orchestre et ductilité d'un ensemble ». Cette
formation dont chaque ensemble fournit un tiers des effectifs, s’affranchit
de la tradition symphonique et chambriste avec dix instruments à vent, une
percussion fournie, deux guitares amplifiées, des performeurs son et les cordes
en proportion.
Jean-Paul Dessy
Donné devant un parterre de
compositeurs, de musiciens, de critiques et d'auditeurs fidèles, le concert a
réuni ces deux formations, dont les prestations se sont succédées l’une après l’autre.
Jean-Paul Dessy a entièrement dirigé celui de Musiques Nouvelles, qui, en toute
logique, a ouvert la soirée qui lui était en fait consacrée. A tout seigneur
tout honneur, c’est une œuvre du fondateur de l’ensemble qui a introduit le
programme, Opus 60 de Pierre
Batholomée (né en 1937). Commande de Musiques
Nouvelles pour ses cinquante ans, cette partition compte trois parties
respectivement intitulées Glockenspiel,
Tambour à cordes et Sigh (Soupir), qui constituent autant de mouvements de concerto grosso
(chaconne, scherzo e trio, ostinato). Les dix instruments requis donnent à chacune
des parties sa couleur propre, la résonance métallique (glockenspiel), la friction (tambour
à corde ou « cri du lion ») et le souffle. Opus 60, précise son auteur, évoque la naissance naturelle de l’écrit
et l’énigme de l’unité. Ces concepts abstraits n’empêchent pas cette pièce d’exhaler
énergie et mystère, atmosphères et couleurs chatoyantes, polychromies mordantes
et oniriques. Autre fidèle de Musiques Nouvelles, Philippe Boesmans (né en
1936), dont Chambres d’à côté a conclu
ce premier concert. Cette œuvre créée le 11 septembre 2010 au Théâtre de la
Monnaie de Bruxelles par Musiques Nouvelles est caractéristique du Boesmans de
ces dernières années, à la fois théâtrale, emplie de clins d’œil au passé et d’une
inventivité luxuriante, ce qui suscite un vrai plaisir pour les oreilles et
pour le corps - cette œuvre appelle indubitablement une chorégraphie -, qui
jouent à décrypter la source du son projeté par des instruments purement
acoustiques comme s’il s’agissait d’une musique avec informatique en temps
réel.
Henri Pousseur (1929-2009)
Entre ces deux œuvres de deux
proches de l’ensemble wallon, une partition collective en vingt parties
intitulée 20 Créations éclairs, 50 Secondes
pour 50 Ans. Cette œuvre-anniversaire a réuni autour de Jean-Paul Dessy dix-neuf
compositeurs belges ayant plus ou moins franchi le cap de la cinquantaine. Excellente opportunité pour
eux de concevoir des alla breve
pouvant déboucher sur des œuvres de plus large envergure. Chacun des compositeurs
a contribué avec talent à ce projet, faisant preuve d’originalité et de
singularité, avec un effectif constant réunissant flûte, clarinette, cor,
trompette, trombone, trois percussionnistes, piano, clavier électronique, deux
guitares amplifiées et quintette à cordes avec contrebasse. La pièce la plus
impressionnante a été Ex Abrupto de
Jean-Luc Fafchamps, par ailleurs membre de l’autre remarquable ensemble belge Ictus,
actuellement en résidence à l’Opéra de Lille, œuvre d’une mobilité et d’une puissance
ensorcelante supérieurement orchestrée. Les autres contributions ont été tout
aussi instructives quant à la dynamique et à l’excellente santé de la création
musicale belge, de Denis Bosse, dont l’humoristique HBTY ouvre l’œuvre, à Hao-Fu Zhang, qui concluait avec 5 Bougies pour 50 Ans, bougies allumées
et soufflées par Jean-Paul Dessy, en passant par Fabrizio Cassol (String Quartet), Pascal Charpentier (I was born in 1962), Stéphane Collin (Musique Nouvelle), Jean-Yves Colmant (L - cinquante en chiffre romain), Beaudoin
de Jaer (Doux comme le hautbois, vert
comme les prairies), Renaud De Potter (Jet
Lag, page la moins significative du lot), Jean-Paul Dessy (Chronique Chromatique), Jean-Paul
Deleuze (Sonance), Jean-Luc Fafchamps
déjà cité, Michel Fourgon (L’Orée à l’aube),
Gilles Gobert (Pièce pour piano sur
des accords répétés d’une densité conquérante), Gaëlle Hyernaux, dont le violent
Moloch, Whose Breast is a Cannibal Dynamo
constitue l’un des volets d’un cycle de courtes pièces consacrées au dieu Moloch
auquel les Carthaginois sacrifiaient leurs enfants premiers nés, Victor Kissine
(Si en Sy), Claude Ledoux (Les Oubliés), Anne Martin (L’Air de Rien), Benoît Meunier (Cependant), Jean-Marie Rens (Zouf) et André Eistic (Environ50). Un bon moment de musique
pour un bel hommage à ce remarquable ensemble, homogène, virtuose, précis, aux
sonorités envoûtantes, ce qui en fait assurément l’une des meilleures
formations d’Europe vouées à la musique contemporaine.
Raoul Lay
Moins convainquant en revanche a été
le concert de l’European Contemporary Orchestra codirigé par Jean-Paul Dessy et
Raoul Lay. Non pas à cause de l’orchestre, où j’ai eu plaisir à retrouver
Nicolas Miribel au poste de premier violon, mais à cause des œuvres de sept à
huit minutes données en création mondiale défendues certes dans d’excellentes
conditions par des interprètes aguerris, mais sans intérêt réel quant au fond
intitulé Orchestral Manœuvre in the Sound. A l’exception de Raison d’être du Belge Benoît Chantry, œuvre
onirique appelant la danse, et du burlesque Hop
du Hollandais Martijn Padding, les autres pièces (signées du Belge Gwenaël
Grisi, de l’Etats-unien Ted Haerne, du Roumain Alin Gherman, de la Brésilienne Tatiana
Catanzano et du Français François Narboni) sont apparues vides de substance,
sans contrastes puisque s’enchaînant les unes aux autres comme s’il s’agissait
d’une même pièce répétée par autant de compositeurs à l’imaginaire stratifié
par un même instrumentarium classique associé à deux saxophones, deux pianos, accordéon,
guitare électrique (mal utilisée par les compositeurs) et trois voix de femmes chantant
continument la même mélopée sur les mêmes voyelles, tandis qu’un dj nommé Gauthier Keyaerts répétait
indéfiniment le même geste en guise d’interlude entre chaque morceau, jouant de
ses platines à force de contorsions et de grimaces, donnant à l’ensemble un tour
d’jeun’s totalement incongrus. Est-ce
vraiment ainsi que l’on espère attirer le jeune public à la musique
contemporaine au sein de l’Union Européenne ? Est-ce pour répondre aux
attentes des pouvoirs publics ? Est-ce le fruit de la volonté des
institutions de musique contemporaine ? Est-ce en mélangeant les genres
que l’on entend élargir l’audience de la création musicale savante ?...
Pochette du coffret anniversaire de 6CD paru chez Cyprès
Ce premier demi siècle de Musiques
Nouvelles est également l’occasion pour la belle maison belge de disques Cyprès
de la publication d’un élégant coffret anniversaire de six CD (1) présentant un
large éventail du travail accompli par l’ensemble en cinquante ans d’existence,
avec des œuvres qui ont marqué l’histoire de la musique des années 1960 à nos
jours. Sont en effet réunies des partitions de Pierre Bartholomée, Philippe
Boesmans, avec Chambres d’à côté
donné dans le cadre du concert de jeudi, Denis Bosse, Stéphane Collin,
Jean-Pierre Deleuze, Baudouin de Jaer, Renaud De Putter, Jean-Paul Dessy,
Jean-Luc Fafchamps, Bernard Foccroulle, Jacqueline Fontyn, Michel Fourgon,
Gilles Gobert, Victor Kissine, Claude Ledoux, Jacques Leduc, Philippe Libois,
Anne Martin, Benoît Mernier, Paul-Benoît Michel, Denis Pousseur, Jean-Marie
Rens, Todor Todoroff, Hao-Fu Zhang et Henri Pousseur, à qui un cd entier est
consacré.
Organisant régulièrement des
rencontres consacrées aux enjeux musicaux d’aujourd’hui, Musiques Nouvelles a profité
de l’occasion que lui offrait cette journée-anniversaire pour accueillir le 6 décembre
le rendez-vous annuel du réseau français de création musicale Futurs Composés
fondé en 2009. Le thème choisi a été la mutualisation des moyens, l’échange des
pratiques et des stratégies, le partage des expertises au sein de réseaux
permettant le lobbying auprès des institutions européennes et la mise en commun
des outils nécessaires à la création et à la diffusion en Europe et dans le
monde. Deux tables rondes ont été organisées. La première, intitulée Les
réseaux face aux nouveaux enjeux économiques et artistiques, s’est avérée plus théorique et institutionnelle
que pratique et concrète, avec le réseau Ulysse émanant de l’IRCAM, l’European
Music Office basé à Bruxelles, et l’IEFM créé en Italie en 1981. Une table
ronde sans débat et peu claire quant à la finalité des objectifs, avec des
propos plus ou moins soporifiques car exposés sur un ton monocorde et de façon
entendue, chacun restant sur son quant-à-soi. La seconde table ronde, 50 ans
pour un ensemble... qu'impliquent toutes ces années d'existence ?, s’est
avérée plus intéressante, car plus concrète et pragmatique, même si elle n’a donné
lieu à aucun débat, chacun y allant à tour de rôle de son expérience sans que
personne n’intervienne, en dehors de l’animateur. Après une courte intervention
de Jean-Paul Dessy pour Musiques Nouvelles et de Raoul Lay pour l’Ensemble
Télémaque de Marseille, tout deux pressés par les répétitions du concert du
soir, sont intervenus un représentant du jeune ensemble belge Sturm und Klang
qui couvre un large répertoire, du XVIIIe siècle à nos jours, l’ensemble
français L’Instant Donné, qui célèbre ses vingt ans et dont la particularité
est de travailler de façon suivie avec les compositeurs et de se produire sans
chef (voir ce même blog en date du 5 juin 2012), la secrétaire générale de la Févis,
association qui réunit les ensembles français indépendants couvrant dix siècles
de répertoire, dont le ton vindicatif a jeté un froid dans l’assistance vite
réchauffée par les propos plus consensuels qu’annoncé, et une représentante du
ministère français de la Culture, qui a insisté sur l’activité de groupes de
réflexions réunis sous l’égide du ministère pour tenter de pérenniser l’avenir
de la musique savante. Aussi bizarre que cela puisse paraître, les
organisateurs de cette journée pourtant ordonnancée à Bruxelles dans le cadre du
cinquantenaire d’un ensemble wallon n’avaient pas songé à inviter le moindre
représentant des pouvoirs publics belges. Fort heureusement, le Directeur des
affaires culturelles de la Communauté francophone belge était présent dans la
salle. Alors qu’il intervenait à la fin depuis un fauteuil au milieu du public,
il a fini par être convié à se rendre sur le plateau afin de s’exprimer face à
l’auditoire. Il a expliqué que la Belgique a au fond « la chance » d’avoir
six ministres de la Culture, car cela permet aux artistes de contacter les uns
et les autres sitôt qu’ils reçoivent une fin de non-recevoir ou pour cumuler
les subsides, la proximité des pouvoirs publics permettant plus de dialogues qu’en
France. Il a également fait le triste constat d’une Union Européenne qui n’est
pas encore compétente en matière culturelle, tout en convenant que penser la création
de façon univoque est « un regard du XIXe siècle ».
Bruno Serrou
1) Coffret Cyprès de 6 CD « 2012
50 ans Musiques Nouvelles » 5CYP4650
Photos : DR
Photos : DR
Informations totalement agressive vous partagiez Ici, je suis tellement inspiré ici de garder poursuivre le partage.
RépondreSupprimerMerci
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