Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Lundi 11 mars 2024
Concert impressionnant du peu couru
sous nos latitudes, le Sveriges Radios Sympfoniorkester ou Orchestre Symphonique de
la Radio Suédoise, créé en 1965 par Sergiu Celibidache, brillamment dirigé par Daniel Harding, son directeur musical
depuis 2007. Une œuvre postromantique du Suédois Hugo Alfvén, suivie d’une
intense interprétation des Rückert-Lieder de Gustav Mahler par l’impressionnant
baryton allemand Christian Gerhaher, puis un épique Ainsi parlait Zarathoustra de Richard Strauss. Un orchestre splendide riche de remarquables solistes, mais où la mythique blondeur suédoise a clairement du plomb dans l’aile…
Moins connu que l’Orchestre Symphonique de Göteborg, qui est à la tête d’une importante discographie notamment avec Charles Dutoit et surtout Neeme Järvi, que l’Orchestre Philharmonique Royal de Stockholm, qui eut pour patrons des chefs comme le tchèque Vaclav Talich, les allemands Fritz Busch et Hans Schmidt-Isserstedt, le hongrois Antal Dorati, le russe Guennadi Rojdestvenski, l'estonien Paavo Berglund ou l'étatsunien Alan Gilbert, l’Orchestre Symphonique de la Radio Suédoise est le cadet des orchestres de Suède. Basé à Stockholm, il a été fondé en 1965, suite à la fusion des Radioorkestern (Orchestre de la Radio) et de l’Underhallningsorkestern (Orchestre de Divertissement), il est tout d’abord confié au chef roumain Sergiu Celibidache qui en est le premier chef principal jusqu’en 1971. En 1977, le chef suédois Herbert Blomstedt lui succède jusqu’en 1982, puis le finlandais Esa-Pekka Salonen (1984-1995), le russe Evgeny Svetlanov (1997-1999), l’autrichien Manfred Honeck (2000-2006). Depuis 2007, le britannique Daniel Harding en est le directeur musical.
C’est à l’époque de Stig Westerberg (1918-1999), qui en a été le chef titulaire pendant un quart de siècle (1958-1983) que la phalange a créé une grande quantité d’œuvres de compositeurs suédois, comme Allan Pettersson (1911-1980), Kurt Atterberg (1887-1974) ou Hugo Alfvén (1872-1960). Violoniste de formation, ce dernier a étudié l’instrument au Conservatoire royal de Bruxelles de 1896 à 1899 avec César Thomson (1857-1931), tout en composant parallèlement sa Symphonie n° 1, qui lui permet d’obtenir des bourses pour étudier en Europe, notamment la direction d’orchestre à Dresde. En 1910, il est directeur de la musique à l’Université d’Uppsala, où il crée le festival de la ville. Son œuvre compte plus d’une centaine de partitions, dont cinq symphonies, trois Rhapsodies suédoises, des pièces pour chœur et orchestre, de la musique de chambre et pour piano, ainsi que des musiques de film, notamment pour Christian-Jacque (Singoalla, 1949), son œuvre la plus connue étant Midsommarvaka (La Nuit de la Saint-Jean) op. 19 fondée sur des thèmes traditionnels suédois. L’œuvre proposée lundi date de 1904. Il s’est agi du poème symphonique très évocateur aux élans postromantiques En skärgardssägen (Une légende de l’archipel) op. 20 est le pendant automnal de ce nocturne célébrant le solstice d’été. Alfvén compose ici une œuvre mélancolique bercée par les convulsions de l’océan, le mouvement des vagues. Malgré son charme et une instrumentation valorisante pour l’orchestre, l’œuvre est oubliée sitôt l’exécution terminée. Surtout considérant ce qui allait suivre, le déchirant ensemble de cinq lieder de Gustav Mahler (1860-1911), les Rückert-Lieder composés en 1901-1902. Comme leur titre générique l’indique, ces pages bouleversantes se fondent sur des vers du poète allemand Friedrich Rückert (1788-1866), qui a inspiré au compositeur autrichien au même moment les cinq Kindertotenlieder (1901-1904). Avec une simplicité directe d’une vibrante humanité, le baryton allemand Christian Gerhaher, de sa voix souple, claire et tranchée, a donné à ces pages introspectives une force dramatique exceptionnellement intériorisée, jamais distanciée, une humanité partagée avec un public tétanisé par la force de son interprétation, chaque mot exposé clairement comme s’il s’agissait d’une intime confidence. Cette interprétation d’une force intense a concerté avec un orchestre d’une grande souplesse, d’une expressivité et d’une précision remarquables, où chaque pupitre s’est imposé tour à tour ou de concert avec une cohésion exemplaire, notamment le cor anglais (Sofi Berner).
En seconde partie, une fabuleuse exécution du poème symphonique Also sprach Zarathustra op. 30 inspiré en 1896 de l’œuvre éponyme de Friedrich Nietzsche à l’autre grand compositeur germanique du tournant des XIXe et XXe siècles, le grand rival et collègue de Gustav Mahler, Richard Strauss (1864-1949). Tirant brillamment parti de son orchestre scandinave, Daniel Harding a dégagé les lignes de forces de ce vaste poème symphonique, œuvre parmi les plus célèbres de son auteur, cela dès la grandiose introduction symbolisant l’Univers dominé par l’orgue et les trois trompettes, ces dernières d’une beauté, d’une puissance et d’une assurance éblouissantes. Le chef et l’orchestre ont tenu en haleine la salle entière trente-cinq minutes durant, rivalisant de virtuosité et d’onirisme, exaltant une polyphonie foisonnante et la somptueuse orchestration straussienne de leurs sonorités de braise, la précision de leurs attaques, la fluidité de leurs textures. C’est le souffle coupé que le public a écouté les dernières mesures du Chant du voyageur dans la nuit qui parachève l’œuvre pianissimo. Cette fois aussi, les pupitres suédois ont eu maintes fois l’occasion de s’illustrer, bois, cuivres, percussion, cordes, particulièrement altos, violoncelles et contrebasses jouant souvent divisi, sous la conduite de la brillante premier violon Malin Broman.
Bruno Serrou
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire