Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Dimanche 10 mars 2024
Les sonorités fluides, fines, scintillantes du London Symphony Orchestra dirigé par son ex-directeur musical Sir Simon Rattle ont éclairé de l’intérieur la symphonie la plus novatrice de Dimitri Chostakovitch, la Quatrième en ut mineur op. 43 qui valut tant de problèmes à son auteur de la part de la censure stalinienne. Ces particularités contrastant avec celles plus charnues et sombres du Gewandhausorchester entendu la semaine dernière dans Tchaikovski, ont sublimé le violon lumineux et aérien d’Isabelle Faust dans un Concerto de Johannes Brahms d’une radieuse beauté, particulièrement l’Adagio d’une ineffable poésie.
Venu le week-end dernier à la Philharmonie de Paris pour deux concerts aux programmes différents, le London Symphony Orchestra a associé dimanche l'Allemand Johannes Brahms et le Russe Dimitri Chostakovitch. A l’instar de la Première Symphonie composée trois ans auparavant, le Concerto pour violon et orchestre en ré majeur op. 77 est pour Johannes Brahms (1833-1897) un enfant de douleur. Cette partition procura en effet au compositeur maints désagréments, notamment de la part de son dédicataire, Joseph Joachim, qui le trouva injouable, obligeant son auteur à des modifications techniques, tandis que l’œuvre eut du mal à s’imposer. Il n’en émane pas moins un sentiment de plénitude, ponctuée de moments plus méditatifs, comme le mouvement lent. Pourtant, il ne s’y trouve rien de tragique et surtout pas une once de pathos, mais au contraire de l’héroïsme romantique et une radieuse sérénité. Jouant avec une maîtrise de son et d’archet impressionnante qui paraît incroyablement naturelle, Isabelle Faust a magnifié en toute liberté les ineffables beautés, nourries de soleil et d’allégresse. Simon Rattle et le London Symphony Orchestra se sont faits davantage que des partenaires du soliste, d’authentiques compagnons enveloppant de leurs timbres solaires un violon enchanteur pour brosser de concert une chatoyante symphonie concertante. Jouant de son magnifique Stradivarius de 1704 « La Belle au bois dormant », Isabelle Faust sert admirablement le chef-d’œuvre de Brahms de sonorités délicates et fluides exaltées par un jeu ample et serein au vibrato délié exaltant les longues phrases aux amples respirations de Brahms qui fusionnent magnifiquement avec les sonorités brillantes et claires du LSO. Difficile d’imaginer après une œuvre aussi exigeante et développée un quelconque bis...
Pourtant, le public de la Philharmonie n’a pas eu à insister longuement pour en obtenir un d’Isabelle Faust, que rien ne semble devoir fatiguer. Elle a choisi pour complément un Caprice de Charles-Auguste de Bériot (1802-1870), qui a conclu la première partie du concert dans un climat souriant de bon aloi.
Conçue en 1935-1936 avec la terreur stalinienne en toile de fond et la dénonciation dans la Pravda de son opéra Lady Macbeth du district de Mtsensk, la Symphonie n° 4 en ut mineur op. 43, l’une des plus longues nées de l’esprit de Dimitri Chostakovitch, est mue par une teneur autobiographique si prégnante que son auteur préféra la retirer prudemment de l’affiche, alors qu’elle en était déjà au stade des répétitions. Cette partition ne devait être sortie des tiroirs qu’un quart de siècle plus tard, Chostakovitch en confiant alors la création à l’Orchestre de la Philharmonie de Moscou dirigé par Kirill Kondrachine le 30 décembre 1961. De toutes les symphonies du compositeur russe, cette Quatrième est sans doute la plus conflictuelle et hallucinée, celle qui doit le plus à Gustav Mahler. Surtout l’ample finale, qui, aussi développé que le premier des trois - et non pas quatre - qui constituent la symphonie, contient en fait plusieurs mouvements en un seul, ouvert par une marche funèbre de caractère grotesque, avant de passer quasi sans transition à une valse sarcastique puis à un galop, pour s’effondrer enfin dans une atmosphère de désespoir extrême sur l’un des accords d’ut mineur les plus longuement tenus de l’histoire de la musique. Le LSO et Rattle ont brossé une Quatrième impressionnante de puissance et d’objectivité, humble et sensible, à la tête d’un orchestre virtuose, tout en nuances et en rutilances, marquant chaque intonation.
Bruno Serrou
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