Paris. Théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet. Vendredi 8 mars 2024
Musique attrayante, savamment orchestrée d’opérette fort datée, Gosse de Riche de Maurice Yvain avec des allusions drôlissimes au folklore breton
mais hélas au texte et au sujet de Jacques Bousquet et Henri Falk sans
originalité d’amours croisées incompréhensibles et au ras des pâquerettes. Vu
la moitié du spectacle placé de trois quart derrière un spectateur de deux cent
dix centimètres minimum bougeant sans arrêt sa tête au troisième balcon
vertigineux du Théâtre de l’Athénée
Maurice Yvain (1891-1965), fils d’un trompettiste et d’une modiste, s’est imposé avec des chansons interprétées entre autres par Mistinguett, pour qui il écrivit Mon homme et La Java, et Maurice Chevalier. Il reste aussi pour ses musiques de films pour Anatole Litvak, Julien Duvivier et Henri-Georges Clouzot. En 1922, il se lançait dans l’opérette avec Ta bouche, qui restera comme son œuvre majeure en ce domaine. L’année suivante il donnait Là-haut sur une intrigue d’Yves Mirande et Gustave Quinson. Cinq plus tard, il composait en un mois Yes!, sur un livret de Pierre Soulaine et René Pujol avec le concours d’Albert Willemetz qui est créé le 26 janvier 1928 Théâtre des Capucines. Moins de quatre après avoir présenté ce dernier ouvrage avec la complicité du collectif Les Brigands (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2019/12/embleme-petillant-du-paris-des-annees.html), le Théâtre de l’Athénée propose une production nouvelle avec Les Frivolités Parisienne de l’opérette Gosse de Riche créée deux après Yes!, le 2 mai 1924, au Théâtre Daunou sur un livret de Jacques Bousquet et Henri Falk. Elle ne tint l’affiche que soixante-seize jours, ce qui est fort peu après les cinq cent quatre vingt deux jours de Ta bouche et les deux cent soixante jours de Là-haut.
La musique de Maurice Yvain est pleine de mélodies charmantes adroitement instrumentées, ce que mettent parfaitement en valeur les musiciens de l’Orchestre Les Frivolités Parisienne de Christophe Mirambeau qui jouent sans chef. La partition de deux cent huit pages fait en effet appel à un orchestre réduit, la fosse d’orchestre du Théâtre Daunou qui accueillit la création étant petite, et c’est sous cette forme que l’œuvre à l’Athénée. « Porté par le sujet, M. Yvain a écrit une partition qu’on peut considérer comme le meilleur de sa production, écrira André Messager, compositeur de Véronique dans sa critique parue dans Le Figaro du 4 mai 1924. M. Yvain est particulièrement bien doué. Peu à peu sa personnalité se dégage, il semble avoir renoncé (pas encore complètement) aux rythmes américains. Il consent à être lui-même et il s’apercevra bien vite qu’il a tout intérêt à ne plus rien emprunter à des musiques qui ne sont pas de chez nous, alors que son propre fonds est suffisamment riche pour suffire à toutes les demandes. Il y a quantité de morceaux des mieux venus que je ne puis guère citer de mémoire ; tous, fantaisie ou sentiment, sont soigneusement et élégamment écrits et dénotent un métier sûr. Ii y a au premier acte un trio et au deuxième un septuor qui nous reportent aux traditions de l’opérette la meilleure. »
Cette Gosse de Riche est assez datée. L’intrigue est celle d’une pièce du théâtre de boulevard le plus éculé, faite de filets aux ficelles grosses comme s’il s’agissait de capturer des baleines bleues, une galerie de personnages et de situations absurdes mais drôles. Nouveaux riches parvenus, artistes qu’ils commanditent, profiteurs qui font leur fortune sur la bêtise humaine, l’œuvre croque la bourgeoisie et son rapport ridicule à l’art contemporain avec une ironie parfois cruelle que l’on s’amuse à plaquer au temps présent, une société en déliquescence avec cette galerie de maris infidèles, de maîtresses cupides et de cocus plus ou moins complaisants. Quel tombeur, ce peintre pour mondains André Sartène au look plutôt ordinaire au faciès de chauve à la frêle silhouette que se dispute la gente féminine. Jusqu’à ce qu’il finisse par s’amouracher sans le savoir de la fille Colette de l’amant de l’une de ses maîtresses (Nane), le nouveau millionnaire Achille Patarin, marié à Suzanne, venu lui payer un portrait qu’il lui a commandé par l’intermédiaire de la baronne Skatinkolowitz. Tout ce beau monde finit se retrouver en Bretagne, invité en villégiature estivale par la baronne.
Avec pareille intrigue saturée d’imbroglio et au happy end, il est impératif que les interprètes croient à ce qu’ils disent et font pour se donner pleinement, ou qu’ils soient vivement motivés par le metteur en scène. Au sein d’une scénographie sobre et resserrée de Camille Duchemin, également auteur d’éclairages astucieux, Paul Neyron a de toute évidence réussi cette gageure, tant les comédiens-chanteurs qu’il a réunis autour de lui s’investissent avec souplesse et conviction. Le metteur en scène annihile en effet les clichés les plus éculés, évitant le graveleux tout en soulignant l’humour, s’appuyant il est vrai sur un brillant septuor vocal de chanteurs-acteurs qui passent avec grand naturel du parlé au chanté. De sa voix colorée et puissante, Philippe Brocard campe un Achille Patarin à la fois suffisant et hautain, Lara Neumann sa femme Suzanne joue bien les ingénues avant de se déniaiser dans l’acte final, Aurélien Gasse, est un André Sartène endurant, Amélie Tatti dont la voix manque de grain brosse une touchante et vive gosse de riche tête à claques Colette Patarin, Julie Mossay est une Nane d’une inénarrable vénalité, Marie Lenormand est une ineffable baronne, Charles Mesrine un Léon Mézaire impeccablement à côté de ses pompes…
Tout cela fait d’autant plus regretter un placement au dernier rang du pénultième étage du Théâtre de l’Athénée disposé à l’italienne, derrière un molosse qui devait mesurer dans les deux cent dix centimètres pour une centaine de kilos qui de plus n’arrêtait pas de balancer sa tête en tous sens, telle une girouette montée sur ressorts…
Bruno Serrou
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