Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Mercredi 13 mars 2024
Quel chef, Tugan Sokhiev ! Quelle phalange, l’Orchestre national d
Capitole de Toulouse, sous sa direction ! Une Symphonie n° 7 « Leningrad » de Dimitri Chostakovitch dantesque, d’une
puissance hallucinante, virtuose et flatteuse sur le plan sonore, sans
vulgarité ni excès, mais saisissante et étonnante parfois par une écriture
variée (pizz. Bartók des contrebasses par exemple). Le mouvement mécanique qui
rappelle plus ou moins le Bolero de Maurice Ravel est époustouflant, l'Adagio touche par son objectivité. Le son est onctueux, pétri à mains
nues par le chef russe qui chante ici dans son jardin qui devient sous sa
direction celui de l’orchestre occitan…
C’est toujours un plaisir de
retrouver à la Philharmonie l’Orchestre national du Capitole de Toulouse et Tugan
Sokhiev, qui, successeur de Michel Plasson, aura été pendant quatorze ans son
directeur musical, jusqu’à ce qu’une campagne éhontée menée par quelques
politiques locaux en mal de « popularité » l’acculent à la
démission dès le début de l’invasion russe de l’Ukraine, tandis que le chef
nord-ossète démissionnait de son propre choix de la direction du Théâtre
Bolchoï de Moscou… Leurs programmes parisiens
sont toujours ambitieux et passionnants.
Cette fois, se plaçant dans la continuité de la programmation à dominante russe de ce début d’année 2024 de la Philharmonie de Paris, c’est avec la symphonie la plus longue et la plus populaire de Dimitri Chostakovitch, la Septième en ut majeur op. 60 « Leningrad », que s’est illustré le couple franco-russe. Cette partition de quatre-vingt minutes en quatre mouvements pour cent quinze musiciens doit sans doute son renom au succès fulgurant qu’elle connut aux Etats-Unis, où elle a été donnée pour la première fois le 19 juillet 1942 sous la direction d’Arturo Toscanini et diffusée en direct sur les ondes de la NBC. Conçue par Chostakovitch en juillet 1941 sous forme de poème symphonique, elle a été achevée pendant le siège par l’armée allemande de la ville de Leningrad où vivait le compositeur et où l’activité culturelle continuait de s’épanouir malgré les bombes et la famine, constituant ainsi un support moral aux habitants. C’est ainsi que cette partition prit la dimension de symbole de la résistance soviétique contre le nazisme. L’Allegretto initial est d’ailleurs la traduction sonore d’une invasion guerrière avec ce rythme de marche qui broie tout sur son passage, y compris le thème initial qui semble carrément passer au laminoir. Néanmoins, dans ses Mémoires, Chostakovitch précise que l’œuvre ne serait pas dédiée au Leningrad de la guerre mais à celui des purges staliniennes qui ont précédé. Plus badin, le deuxième mouvement marque une pause au milieu de la tempête, avec son caractère lyrique et suave, et ses nombreux solos instrumentaux qui semblent se délecter d’une polyphonie sautillante façon Bolero de Ravel avec l’omniprésente caisse claire menant la danse des solistes, d’où sourdent des relents de bataille avec quelques fanfares belliqueuses. Ouvert sur un choral qui fait songer à Bach et à Stravinski, l’Adagio est une sorte de prière plus ou moins laconique entrecoupée de menaces de l’envahisseur jusqu’au retour vers la sérénité qui débouche sur le choral du début. Lancé par un thème hésitant ébauché aux cordes, le finale a d’abord le caractère sombre d’une marche funèbre ramenant au climat du premier mouvement et qui conduit à l’apothéose triomphale qui aura longtemps hésité à s’imposer.
Tugan Sokhiev tend cette œuvre tel un arc, construisant ses crescendi de façon magistrale, du pianissimo aux limites de l’audible au fortissimo le plus tellurique, assuré que son orchestre tiendra quoi qu’il arrive, sans faiblesse, du son le plus ténu jusqu’au plus puissant. Tous les pupitres sont remarquables, du violon solo, le franco-albanais Kristi Gjezi, jusqu’au batteur, en passant par l’alto (Bruno Dubarry), le violoncelle (Pierre Gil), la contrebasse (Damien-Loup Vergne), la flûte (Sandrine Tilly), le hautbois (Louis Seguin), le cor anglais (Gabrielle Zaneboni), la clarinette (David Minetti), la clarinette basse (Victor Guemy), le basson (Estelle Richard), le contrebasson (Marion Lefort), le cor (Eloy Schneegans), la trompette (René-Gilles Rousselot), le trombone (David Locqueneux), le tuba (Sylvain Picard), le timbalier (Jean-Sébastien Borsarello), le piano (Inessa Lecourt), les deux harpistes et les sept percussionnistes. Vigoureuse, colorée, onctueuse, concentrée, la lecture de Tugan Sokhiev s’est avérée d’une tension dramatique quasi théâtrale, galvanisant l’Orchestre national du Capitole de Toulouse qui se donne avec une maîtrise digne des grandes phalanges mondiales, ne laissant poindre aucun écart de justesse ni défaut de cohésion, un orchestre rutilant et souple qui suit le chef dans la moindre de ses intentions avec une énergie et un lyrisme à fleur de peau.
Bruno Serrou
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