Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Mercredi 13 décembre 2023
Pour son dernier concert de l’année 2023, l’Orchestre de Paris et son directeur musical Klaus Mäkelä ont proposé un programme passionnant couvrant quatre siècles d’histoire de la musique qu’ils ont organisé dans un ordre décroissant, commençant chacune des deux parties par l’œuvre la moins ancienne, XXIe/XVIIIe, XXe/XIXe siècles.
Comme le veut la coutume, chaque
partie était introduite par la partition la plus courte. Néanmoins, en dépit de
leur brièveté, ces deux œuvres confinent aux chefs-d’œuvre. Tel est assurément
le cas du concis (cinq minutes) mais magistral Subito con forza (Immédiatement
avec force) pour orchestre, brillant
hommage à Ludwig van Beethoven pour son deux cent cinquantième anniversaire créé le 24 septembre 2020 à Amsterdam par l'Orchestre du Concertgebouw et Klaus Mäkelä dans
lequel Unsuk Chin ne cite pas le maître de Bonn mais en adopte énergie, force, gestes, tournures, couleurs et contrastes, et effectifs
(bois par deux, deux cors, deux trompettes, timbales, douze premiers et dix
seconds violons, huit altos, six violoncelles, quatre contrebasses) tout en
faisant œuvre singulièrement originale avec un matériau sonore étincelant, clair
et résonant grâce notamment à l'apport d’un piano et d’une riche percussion.
Cette pièce préludait à la sublime cantate pour voix soliste et orchestre (hautbois/hautbois
da caccia, deux violons, alto, orgue positif et basse continue solo) Ich habe
genug (Je suis comblé) BWV 82 composée
en 1727 par Johann Sebastian Bach pour la fête de la Purification de la Vierge
Marie. Comptant deux récitatifs et trois arie,
l’œuvre commence par une sombre aspiration à la mort et se termine dans la joie
d’une mort rédemptrice, le tout encadrant une magnifique aria centrale « Schlummert
ein, ihr matten Augen » (Endormez-vous,
mes yeux si las) connue sous le nom de Schlummeraria
(Air du sommeil). La partie
soliste était confiée à l’excellent baryton suédois Peter Mattei, brillant Amfortas
dans Parsifal de Richard Wagner, davantage
dans la beauté plastique du chant, magnétique, que dans l’intensité dramatique,
dialoguant de son timbre aux couleurs minérales en parfaite concordance avec le
chaleureux hautbois solo de l’Orchestre de Paris, Alexandre Gattet.
En ouverture de seconde partie de la soirée, un ultime hommage en cette année de son centenaire de naissance, a été donné à György Ligeti avec son extraordinaire Atmosphères. Partition de moins de dix minutes qui illustre une part de la pensée créatrice du compositeur qui consiste à suspendre l’harmonie au profit de son soutenus. L’œuvre, qui se présente comme une étude sur la perméabilité des structures musicales que Ligeti avait précédemment évoquée dans son essai Métamorphoses de la Forme Musicale s’ouvre sur un groupe en total chromatisme couvrant plus de cinq octaves, délicatement tenu par cordes et bois d’où se détachent divers groupes d’instruments suivis d’une multitude de « brins de tissu sonores » réintégrant la composition avec des changements de timbres et de durées qui font cheminer la pièce. Trois semaine après l’Orchestre National de France dirigé par François-Xavier Roth (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2023/11/festival-ligeti-1-francois-xavier-roth.html), l’Orchestre de Paris a fait sonner à son tour avec souplesse les alliages serrés qui, avec la plastique enveloppante et souple de la phalange et sous l’impulsion de Klaus Mäkelä, a sonné avec à-propos de façon particulièrement analytique. Profitons de l’évocation de ces deux exécutions rapprochée d’une même œuvre de Ligeti pour regretter l’absence à Paris, dans le cadre de ces hommages à l’un des plus grands compositeurs du XXe siècle, d’œuvres aussi marquantes que le Requiem, Ramifications pour double orchestre à cordes, Apparitions, Melodien et San Francisco Polyphony ou le Concerto hambourgeois… La tragique Symphonie n° 4 en mi mineur op. 98 de Johannes Brahms qui concluait la soirée a été moins convaincante que le reste du programme, la vision de Klaus Mäkelä manquant de liant, de cohésion, de profondeur, de mélancolie, de tensions internes, trop découpée en plans-séquences, le jeune chef finlandais s’attachant à tirer des pupitres de l’Orchestre de Paris des sonorités trop brillantes et lustrées, au détriment des basses grondantes et des résonances sépulcrales typiques du maître hambourgeois dont l’écriture caractéristique est celle d’un compositeur ayant la tête dans les timbales.
Bruno Serrou
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