Paris. Théâtre des Champs-Elysées. Vendredi 8 décembre 2023
Belle mais frustrante exécution Théâtre des Champs-Elysées de l’Oratorio de Noël
de Johann Sebastian Bach par l’Orchestra of the Age of Enlightenment &
Choir dirigé par l’éminent spécialiste japonais du cantor de Leipzig Masaaki Suzuki
avec une excellente distribution sans diva dont un brillant contre-ténor, Hugh Cutting. Mais que de frustration, puisqu’il
aura manqué rien moins que la moitié de l’œuvre, le concert ne donnant à
entendre que la seule partie consacrée au temps de Noël.
Parmi l’énorme quantité de partitions d’inspiration religieuse conçues par Johann Sebastian Bach entre mai 1723, année du début de son contrat de Thomaskantor à Leipzig, et 1740, année où il renonce à ses activités de Cantor, le compositeur saxon a composé cantates, chorals, messes, motets, passions, oratorios pour tous les temps liturgiques du calendrier chrétien. Parmi ses trois oratorios pour le temps liturgique, le Weihnachtsoratorium (Oratorio de Noël) BWV 248 - les deux autres étant pour Pâques et pour l’Ascension -, partition constituée en fait de six cantates composées en 1734 pour les trois jours de Noël de cette année-là (La naissance, L’annonce aux bergers, L’adoration des bergers), le Nouvel An (La Circoncision et le nom de Jésus), le premier dimanche de l’année (Le voyage des Rois mages) et l’Epiphanie (L’adoration des Rois mages) 1735. A sa création, l’œuvre n’a donc pas été jouée en une fois, mais durant les six jours correspondant au temps de Noël jusqu'à l’Epiphanie, les 25, 26, 27 décembre, 1er janvier, le premier dimanche qui suit et le 6 janvier.
Bach reprend dans ce recueil quantité d’éléments d’œuvres antérieures, chœurs et arie, adaptés aux circonstances, avec changements de textes d’origine essentiellement profane, de tonalités et d’effectifs. Introduisant l’ensemble par une sinfonia, seul moment purement instrumental de l’oratorio, pour lui donner une structure en soixante-quatre numéros, chiffre symbolique de la perfection, il fractionne ses six cantates en deux groupes de trois en fonction de la teneur du texte, les parties I, III et VI forment un bloc de la même tonalité de ré majeur, un effectif comparable avec trompettes et timbales virevoltantes. Pastorale pour instruments à vent sans chœur introductif, la partie II est fondée sur la totalité de sol majeur (sous-dominante de ré majeur), la partie IV est en fa majeur (la relative de ré mineur) orchestrée avec des cors, les deux dernières parties retournant à la tonalité originelle en passant par la dominante la majeur, l’ultime cantate reprenant le même effectif que la première et la mélodie du même choral dans le chœur final, choral que Bach avait utilisé cinq fois dans sa Passion selon saint Matthieu. Quant au texte, il puise dans les Evangiles selon saint Luc et selon saint Matthieu contant la naissance, la circoncision et les rois mages venant d’Orient, et d’auteurs divers parmi lesquels Martin Luther, Johann Rist, Paul Gerhardt et Picander, ce dernier étant un proche collaborateur du cantor pour qui et avec qui il a réalisé les livrets de plusieurs cantates et des passions.
L’orchestre requis par Bach est constitué de trois trompettes, d’une paire de timbales, de deux flûtes traversières, deux hautbois, deux hautbois d’amour/hautbois da caccia, deux violons, alto et d’un continuo comprenant un orgue et deux violoncelles, soit un total de seize instrumentistes, tandis que l’effectif vocal compte un chœur de seize voix mixtes d’où émergent quatre solistes (soprano, contralto ou contreténor, ténor, basse). Fondateur en 1990 de l’ensemble Bach Collegium Japan dont il est toujours le directeur musical et avec lequel il a enregistré l’intégrale des cantates du cantor de 1995 à 2014, Masaaki Suzuki est une autorité incontestée dans les domaines de la connaissance et de l’interprétation de la musique de Jean-Sébastien Bach, dont il porte la création partout dans le monde, jusqu’au Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg.
L’absence des trois dernières cantates est d’autant plus regrettable que le public du Théâtre des Champs-Elysées ne s’est pas trompé sur l’attrait de l’affiche, puisqu’il est venu en nombre assister à cet Oratorio de Noël en pleine période de l’Avent, écoutant son exécution dans un silence absolu, une ambiance quasi religieuse. Il est vrai que ce que le chef japonais a donné à entendre à la tête d’une formation qui n’est pas la sienne mais qu’il connaît bien, l’Orchestra of the Age of Enlightenment et son chœur de chanteurs professionnels, solistes pour la plupart, formations plus que trentenaire qui a eu pour « artistes principaux » des chefs comme Mark Elder, Simon Rattle, Vladimir Jurowski, Ivan Fischer et John Butt, a été d’une profondeur, d’une sensibilité, d’une spiritualité proprement mystique, le tout étant servi par une pureté vocale et instrumentale pénétrante, les couleurs sombres et feutrées des instruments, toujours justes mais manquant parfois de brillance, carence légère néanmoins justifiée dans le cas de l’accompagnement dépouillé du violon solo (Kati Debretzeni) dans l’aria Schliesse, mein Herze, dies delige Wunder (Garde, mon cœur, ce bienheureux miracle) pour alto (ici contreténor) à la tonalité grave et nostalgique, mais que l’on eût souhaité un rien plus chatoyant dans sa seconde partie, tandis que le chœur s’est avéré vivant, coloré, parfaitement intelligible. Sortant du chœur et y retournant, les quatre jeunes solistes (la soprano galloise Jessica Cale, le contreténor Hugh Cutting, son frère ténor Guy Cutting, et le baryton-basse allemand Florian Störtz) se sont imposés par la perfection de leur chant, le velours de leurs timbres qui se mêlaient au chœur avec infiniment de naturel. D’autant plus frustrant, car, n’en doutons pas, les trois dernières cantates de l’Oratorio de Noël auraient plané sur les mêmes cimes... Cette même équipe reviendra-t-elle à Paris en janvier pour donner la suite de l’œuvre ?...
Bruno Serrou
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire