Paris. Festival d’Automne à Paris. Radio France, Maison de la Radio. Auditorium. Vendredi 1er décembre 2023
Concert prometteur sur le papier mais frustrant quant au résultat dans le
cadre du Festival d’Automne à Paris de l’Orchestre Philharmonique de Radio
France dirigé de façon plus ou moins relâchée par Pablo Heras-Casado, avec une
création attendue de Salvatore Sciarrino, en sa présence, Love & Fury d’après Stradella à l’écriture pointilliste
donnant à l’orchestre les couleurs et la façon de la Klangfarbenmelodie d’Arnold Schönberg avec une Barbara
Hannigan en relative méforme.
Depuis son édition de 2000 au cours
de laquelle il consacra sept concerts et spectacles, le Festival d’Automne à
Paris programme chaque année au moins une œuvre de Salvatore Sciarrino. A 76
ans, le compositeur sicilien se fait un peu moins productif, et c’est avec
impatience que l’on attendait pour la France une nouvelle partition. C’est ce
que vient de présenter le Festival d’Automne et Radio France, dans une œuvre dont
ils sont les commanditaires pour la cantatrice britannique Barbara Hannigan, sa
dédicataire. Admiratif de la Renaissance italienne, le compositeur sicilien,
dans la continuité de ses pièces rendant hommage au prince Carlo Gesualdo de
Venosa, dont il a mis en musique la part la plus noire de la biographie dans
son opéra Luci mie traditrici (Ô mes yeux traîtres) en 1998, et, la
même année Le voci Sottovetro (Les voix sous verre) pour mezzo-soprano
et ensemble, suivis l’année suivante pour le théâtre de marionnettes La terribile e spaventosa storia del Pincipe
di Venosa e della bella Maria (L’effrayante
et terrible histoire du Prince de Venosa et de la belle Marie). Ces
dernières années, Sciarrino s’est tourné vers un maitre du baroque italien, le
Bolonais Alessandro Stradella (1639-1682), au destin aussi tragique, puisqu’il
est mort assassiné à l’âge de 43 ans. En 2016, à l’instar de Gesualdo,
Stradella a inspiré à Sciarrino un opéra, Ti
vedo, ti sento mi prdo. Un attesa di Stradella (Je te vois, je t’entends, je te perds. Une attente de Stradella). « Stradella
est l’une des voix puissantes de nos racines, écrit Sciarrino en tête de sa
partition. Comme je voudrais mettre en évidence l’unicité de sa musique, j’ai
travaillé sur elle à plusieurs reprises, en essayant de l’assimiler à notre
monde, ainsi que je l’avais fait précédemment Gesualdo. […] Le titre de la
présente anthologie est presque un instantané de ce qu’elle contient, bien que
pour nous, Italiens, ‘’fury’’ sonne davantage comme ‘’furie’’ que comme ‘’haine’’.
Il y a deux sources principales : l’opéra Il Moro per amore (Le Maure
pour l’amour, 1681) etc. l’oratorio San
Giovanni Battista (Saint Jean
Baptiste, 1675). Love & Fury comprend
également deux canzonettas isolées. » En fait, comme l’ont fait et
continuent à la faire les compositeurs de tous les temps, Sciarrino, à l’instar
par exemple d’un Anton Webern avec l’Offrande
Musicale de Jean-Sébastien Bach, l’Italien non seulement harmonise et
instrumente les mélodies de Stradella, mais les recompose plus ou moins. Le
pointillisme et l’économie de moyens caractéristiques du compositeur sicilien,
obtenant une mélodie de timbres dans l’esprit de Schönberg et la Klangfarbenmelodie (mélodie de timbres) dans
la troisième des Cinq Pièces pour
orchestre op. 16 en 1909. La réalisation de Sciarrino permet aux divers
pupitres de l’orchestre de briller, grâce à une écriture virtuose et limpide
emplie de la chaude lumière solaire caractéristique à l’Italie, qui plonge dans
le travail d’un Luciano Berio lorsqu’il puisait dans le répertoire traditionnel
et dans l’œuvre de ses aînés (Schubert, Mahler, Puccini, entre autres), tandis
que Barbara Hannigan, à qui l’œuvre est donc dédiée, n’a plus les aigus, ni la
solidité de la texture vocale d’antan, elle n’a pas pu donner toute la
dimension de la ligne de chant de l’œuvre qui exige une souplesse radieuse
propre à la musique du seicento italien.
La création de Salvatore Sciarrino
était encadrée par deux chefs-d’œuvre d’Igor Stravinski de ses deux époques extrêmes.
Le prologue du concert était de la dernière période, celle des années 1950-1971,
le temps où le monde redécouvrait, ébloui et enthousiaste, l’œuvre de Carlo
Gesualdo (1566-1613) à la suite de l’édition de l’œuvre entier du prince-compositeur-assassin
de Venosa dans les années 1950. Plus encore que Sciarrino avec Stradella (après
avoir beaucoup travaillé sur Gesualdo), Stravinski recompose tout en les
respectant les trois madrigaux qu’il a sélectionnés et qu’il assemble sans
interruption, Asciugate i begli occhi (Séchez vos beaux yeux) extrait du Livre
V, Ma tu, cagion di quella atroce pena (Mais toi, la cause de cette douleur atroce)
également puisé dans le Livre V, et Belta
toi che t’assenti (Ô Beauté, puisque
tu t’absentes) tiré du Livre VI, dont Stravinski n’utilise que la ligne
mélodique puisqu’il en évacue le chant pour le confier aux seuls instruments de
l’orchestre constitué de deux hautbois, deux bassons, quatre cors (que Stravinsky
qualifie dans la troisième pièce d’hermaphrodites, deux trompettes et cordes. C’est
Salvatore Sciarrino qui a choisi ces pages en préluder à sa propre œuvre en création,
« les artifices de l’écriture stravinskienne donnant le frisson, souvent, de
façon imprévue ; ils font l’effet d’un insecte que l’on découvre en
retournant une pierre ». L’écriture polyphonique virtuose de Stravinski,
qui a su rendre à travers les musiciens de l’orchestre, les entrelacs, la
plastique et la souplesse de la voix, a permis aux pupitres de l’Orchestre
Philharmonique de Radio France de briller, tant par les textures instrumentale
que par leur précision et la fusion de leurs timbres.
Ce qui a moins été le cas dans la seconde partie du concert, entièrement consacrée au premier des trois grands ballets qu’Igor Stravinski, encore empli de la création de son maître, Nikolaï Rimski-Korsakov, mais aussi de l’influence de Claude Debussy, voire de Jacques Ibert, a composé pour les Ballets Russes de Serge Diaghilev, L’Oiseau de feu, donnée dans sa version originale de 1910 - et non pas sa révision de 1919 -, qui a été créée avec un vif succès à l’Opéra de Paris-Garnier le 25 juin 1910 sous la direction de Gabriel Pierné et avec une chorégraphie de Michel Fokine. Claude Debussy, qui y décela certainement quelques traces de son propre style, sera le premier à féliciter son jeune confrère. Et de Claude Debussy, il n’en a été aucunement question dans ce qu’a donné à entendre Pablo Heras-Casado, qui n’a pas su ou voulu rendre les couleurs immatérielle et l’impressionnisme qui imprègne l’œuvre. Le chef andalou, oubliant tout ce que la partition doit à Debussy, autant qu’à Rimski-Korsakov, a en effet trop systématiquement découpé cette première grande partition du compositeur russe en plans-séquences, comme si le volatile avait du plomb dans l’aile, au point d’annihiler unité et progression dramatique. Une conception peu évocatrice, décousue au point d’égarer parfois l’orchestre, qui en a oublié son moelleux, ses rondeurs et son fondu habituels, tandis que les cuivres ont semblé perdre leurs repères en plusieurs occasions, sans pour autant démériter.
Bruno Serrou
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