Lars Vogt est de ces immenses artistes fauchés à la fleur de l’âge, la cinquantaine à peine franchie. Après dix-huit mois de valeureux combat contre un cancer inopérable diagnostiqué en février 2021, il nous a quittés le 5 septembre 2022 non loin de Nuremberg où il vivait, quelques jours avant son cinquante-deuxième anniversaire. Il laisse heureusement un legs discographique assez considérable, que l’un de ses éditeurs, Warner Classics, peu avant Noël de cette année 2023.
Du mal qui le rongeait, il n’en
avait pas fait mystère, évoquant publiquement son évolution sur son compte ex-Twitter.
Le public mélomane parisien connaissait bien cette attachante personnalité
grâce à ses splendides prestations à la tête de l’Orchestre de Chambre de Paris
dont il était le directeur musical pendant deux courtes saisons mais denses et florissantes,
de septembre 2019 jusqu’à sa mort, dirigeant du piano ses deux derniers
concerts en juillet 2022 dans le cadre du Festival de La Roque d’Anthéron. Né
le 8 septembre 1970 à Düren, non loin de Cologne, il remportait le deuxième
Prix du Concours de Leeds en 1990, où il fit la connaissance de Sir Simon Rattle,
avec qui il allait tisser des liens autant professionnels qu’amicaux, puisque
le chef britannique l’accompagnera dans le cours de son évolution, comme
pianiste et comme chef d’orchestre.
Autres concertos, l’inévitable couplage des Concertos pour piano en la mineur d’Edouard Grieg et de Robert Schumann dans une approche particulièrement nuancée et expressive, de nouveau avec le CBSO et Simon Rattle enregistrés en 1992, et la rare Kammermusik n° 2 op. 36/1 pour piano obligé et douze instruments solistes de Paul Hindemith (1895-1963) avec l’Orchestre Philharmonique de Berlin dirigé par Claudio Abbado et couplé avec une interprétation remarquable du Quatuor pour la fin du temps d’Olivier Messiaen (1908-1992) avec Isabelle van Keulen (violon), Michael Collins (clarinette) et Alban Gerhardt (violoncelle).
Brahms à qui six CD complets sont consacrés avec des œuvres pour piano seul, de vigoureuses interprétations des trois Sonates pour piano opp. 1, 2 et 5 du début et des Intermezzi et Pièces pour piano opp. 117, 118 et 119 de la fin, ainsi que les Quatre Ballades op. 10 auxquels s’ajoutent des pages de musique de chambre, le premier CD avec Boris Pergamenchtchikov, les deux Sonates pour violoncelle et piano en mi mineur op. 38 et en fa majeur op. 99 et un arrangement pour violoncelle et piano du lied Wie Melodien zieht es mir op. 105/1 le tout en résonance avec des partitions du mentor de Brahms, Robert Schumann (1810-1856) et ses 3 Romances op. 94 et sa Fantasiestücke op. 73 dans une version pour violoncelle et piano, le second CD réunissant les trois Sonates pour violon et piano op. 108 et le Scherzo de la Sonate « F-A-E » WoO 2 avec Christian Tetzlaff. Le Trio pour violon, violoncelle et piano en si majeur op. 8 en partenariat avec la fratrie Christian et Tanja Tetzlaff résonne avec le Trio pour flûte, violoncelle et piano en sol majeur Hob. XV:15 de Joseph Haydn (1732-1809), Lars Vogt dialoguant avec Kornelia Brandkamp et Tania Tetzlaff. Deux CD sont voués aux trois Quatuors pour violon, alto, violoncelle et piano en sol mineur op. 25, avec Julia Fischer, Tatjana Masurenko et Gustav Rivinius, en la majeur op. 26 avec Christian Tetzlaff, Hartmut Rohde et Heinrich Schiff, et en ut mineur op. 60 avec Antje Weithass, Kim Kashkashian et Boris Pergamenchtchikov, le troisième quatuor étant couplé avec Le Carnaval des animaux de Camille Saint-Saëns (1835-1921) et une équipe flamboyante réunissant sous la houlette de Lars Vogt Anette Behr-König et Isabelle Faust (violons), Stefan Fehlandt (alto), Christian Poltéra (violoncelle), Peter Riegelbauer (contrebasse), Andrea Lieberknecht (flûte), Sharon Kam (clarinette), Tatjana Komarova (glockenspiel) et Gregor Bühl (xylophone), ainsi que la suite pour deux pianos Scaramouche op. 165b de Darius Milhaud (1892-1974) où Vogt concerte avec bonheur avec Mihaela Ursuleasa. Ce que Brahms doit à Schumann, Antonin Dvorak (1841-1904) le doit à Brahms, et du compositeur tchèque Lars Vogt offre quatre grandes partitions de musique de chambre, commençant avec la Sonatine pour violon et piano en sol majeur op. 100 « Lamentation indienne » avec Antje Weithass, couplé avec le Trio en la mineur op. 50 « A la mémoire d’un grand artiste » de Piotr Ilyich Tchaïkovski où les duettistes sont rejoints par le violoncelliste Claudio Bohorquez, le Trio n° 3 pour violon, violoncelle et piano en fa mineur op. 65 avec Christian Tetzlaff et Boris Pergamenchtchikov associé au Trio n° 3 pour violon, violoncelle et piano en mi mineur op. 67 de Dimitri Chostakovitch où Antje Weithaas se substitue à Christian Tetzlaff capté en 2000 pendant le Festival de Heimbach, à l’instar des Quatuor pour violon, alto, violoncelle et piano op. 87 avec Isabelle Faust, Diemut Poppen et Tanja Tetzlaff et du Quintette n° 2 pour deux violons, alto, violoncelle et piano op. 81 avec Christian Tetzlaff, Antje Weithaas, Kim Kashkashian et Boris Pergamenchtchikov, deux œuvres entre lesquelles s’intercale le court Trio que Tatjana Komarova a composé en 1991.
Trois CDs sont consacrés à la création de Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) avec laquelle Lars Vogt entretenait une relation privilégiée, deux volumes de pièces pour piano seul déjà évoqués, le premier disque regroupant les trois Sonates pour piano les plus célèbres, KV 330, 331 « alla Turca » et 332, le second CD deux Fantaisies (KV 397 et KV 75), deux Rondos (KV 485 et KV 511), les 9 Variations sur un Menuet de Duport et l’Adagio en si mineur KV 540, le troisième volume réunit le Quatuor avec piano n° 1 en sol mineur KV 478 avec Isabelle Faust, Stefan Fehlanbdt et Nathalie Clein, le Trio avec piano en si bémol majeur KV 502 avec Christian Tetzlaff et Gustav Rivinius, et le Quintette pour piano, hautbois, clarinette, cor et basson en mi bémol majeur KV 452 où Lars Vogt s’est adjoint Ulrich König, Diemut Schneider, Jochen Ubbelohde et Daniel Jemisson. Autre classique, Joseph Haydn (1732-1809) à qui un disque de Sonates pour clavier est consacré, les n° 15 en mi majeur, 33 en ut mineur, 36 en ut majeur, 50 en ré majeur et 60 en ut majeur auxquelles s’ajoute le Trio pour violon, violoncelle et clavier en ut majeur Hob. XV-27 avec Antje Weithaas et Alban Gerhardt. Une seule œuvre de Franz Schubert (1797-1828) figure dans cette somme, la Sonate en sol majeur op. 78 D. 894 « Fantaisie » à laquelle il convient d’associer, à l’instar du disque, l’hommage que l’Allemand Helmut Lachenmann (né en 1935) a rendu à l’Autrichien dans ses Cinq Variations sur un Thème de Franz Schubert. Un seul enregistrement complet d’œuvres de Robert Schumann (1810-1856), avec deux recueils somptueusement interprétés et contrastés tels des livres d’images, les Kreisleriana op. 16 et les Bunte Blätter op. 99 gravés en 1994. Outre le Concerto déjà évoqué, d’autres pages de Schumann ponctuent d’autres programmes de récitals, l’Adagio & Allegro en la bémol majeur op. 70, les Fantasiestücke op. 73 et les Trois Romances op. 94.
Outre Tchaïkovski, la musique russe est représentée par la Sonate pour violoncelle et piano en ut majeur op. 119 de Serge Prokofiev et la Suite italienne d’Igor Stravinski dont la partie pour violon a été transcrite pour le violoncelle avec le concours de Gregor Piatigorsky, et Dimitri Chostakovitch déjà évoqué, mais cette fois avec sa Sonate pour violoncelle et piano en ré mineur op. 40, trois œuvres pour lesquelles Lars Vogt s’est associé à Truls Mørk, et deux versions des Tableaux d’une Exposition de Modest Moussorgski (1839-1881), la première dans la version traditionnelle de l’œuvre enregistrée en 1991, la seconde captée en concert en 2001 dans la version « Urtext » de 1874 ponctuée par des interventions d’un narrateur (ici Konrad Beikircher) disant des extraits littéraires (Platon, Walkenstein, Dante, Heine, Kafka, Hugo, entre autres) correspondant aux atmosphères et descriptions des tableaux illustrés par le compositeur. Outre Scaramouche de Darius Milhaud évoqué plus haut, la musique française est représentée par un unique disque, un recueil de trois sonates qui réunit une admirable Sonate pour violon et piano en la majeur de César Franck (1822-1890), la première en ré mineur op. 75 de Camille Saint-Saëns (1835-1921) et celle de Maurice Ravel (1875-1937), seul témoignage de Lars Vogt dans la création ravélienne.
Une véritable somme en vingt-sept CDs à connaître absolument présentant quatorze ans de vie artistique d’un musicien captivant de musicalité et d’intégrité, qui savait s’effacer pour se mettre entièrement au service du compositeur et de son œuvre comme l’attestent ces témoignages réalisés pour moitié en studio et pour moitié en live dans le cadre du Festival de musique de chambre Spannungen à Heimbach, un parcours en quatre vingt quatre œuvres de vingt-trois compositeurs de quatre siècles (XVIIIe-XXIe) d’histoire de la musique.
27 CD Warner Classics 5054197604904. Enregistrements : 1991-2005.
Durée : 31h 40mn. DDD. Œuvres de Beethoven, Berg, Brahms,
Chostakovitch, Dvorak, Franck, Grieg, Haydn, Hindemith, Kirchner, Komarova,
Lachenmann, Messiaen, Milhaud, Moussorgski, Mozart, Prokofiev, Ravel,
Saint-Saëns, Schubert, Schumann, Stravinski, Tchaïkovski
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