vendredi 31 mars 2023

Livre : Le délicieux petit guide du Paris d’Hector Berlioz par Christian Wasselin

« Si Balzac fit de Paris un texte, Berlioz en a fait un instrument de musique », écrit Christian Wasselin à la fin de la quatre vingt unième page de son Paris de Berlioz, phrase qui aurait pu figurer en exergue de ce petit livre exquis (1). 

Né le 11 décembre 1803 à La Côte-Saint-André, bourg de la plaine du Dauphiné dans le département de l’Isère où a lieu chaque fin août un festival qui lui est dédié, Hector Berlioz a vécu de l’âge de 17 ans, début novembre 1820 jusqu’à sa mort à 65 ans, le 8 mars 1869, dans le centre de Paris alors en pleine transformation selon les plans du très Parisien baron Haussmann (1809-1891). Berlioz, de son vivant, fut pourtant plus largement célébré à l’étranger qu’en France, plus particulièrement Paris, où il eut le plus grand mal à imposer sa musique. 

Pourtant, Berlioz refusera toujours les postes en vue que lui offriront les capitales étrangères, Paris étant pour lui « le centrum gravitatis du monde musical et de tous les possibles ». Compositeur, chef d’orchestre, critique musical, écrivain, voyageur au long cours, parcourant l’Europe de Londres à Moscou, de Rome à Hambourg, Berlioz l’a également été au cœur de Paris, ne cessant de déménager au gré de la vie, particulièrement de ses amours, des chantiers de rénovation de la ville et du montant de ses loyers. Venu à Paris pour y faire des études de médecine, obéissant à la volonté de son père lui-même médecin qui souhaitait le voir prendre sa succession, Hector Berlioz s’installe naturellement à son arrivée Quartier latin, rue Saint-Jacques, d’abord au 104, puis un an plus tard au 71, enfin deux nouvelles années plus tard au 79.

Fin connaisseur d’Hector Berlioz, à qui il a déjà consacré trois ouvrages et quantité de textes, Christian Wasselin accompagne son héros au gré de ses déménagements, des épidémies et des révolutions dont l’artiste est témoin, faisant l’historique des arrondissements, quartiers, immeubles qui ont été les cadres successifs de sa vie et de son activité de musicien, ainsi que ceux de ses amis et des cimetières où sont enterrés sa première femme, Harriet Smithson, puis son fils, Louis, enfin Hector lui-même. L’auteur rappelle ainsi où se situaient Conservatoire de Paris, théâtres - notamment Opéra, Opéra-Comique, Odéon, Nouveautés, Italien, Salle Sainte-Cécile, Salle du Vauxhall -, églises, cimetières et tous les endroits aptes à recevoir des concerts, y compris en plein air comme les Champs-Elysées, faisant de Paris un « immense atelier sonore » comme l’écrit Wasselin… Les lieux où vécut Berlioz, après la rue Saint-Jacques, l’angle de la rue Harlay et du quai des Orfèvres, la rue de Richelieu (96), la rue de la Harpe (58), la rue du Conservatoire (2bis) où il avait son bureau de conservateur adjoint de la bibliothèque dans le même bâtiment que la Salle où il dirige la création de sa Symphonie fantastique en 1830 et celle de Roméo et Juliette en 1838, la rue Saint-Marc, la rue du Mont-Cenis, la rue Saint-Vincent, la Nouvelle-Athènes de la rue de Londres (35 puis 31), le boulevard Poissonnière, la rue Blanche (43), la rue de Provence (41), la rue de La Rochefoucauld (15), la rue Boursault (19), la rue de Vintimille (17), la rue de Calais (4), où Berlioz s’éteindra le 8 mars 1869. Il y croisait et côtoyait Victor Hugo, George Sand, Alfred de Vigny, Prosper Mérimée, Alphonse de Lamartine, Théophile Gautier, Chateaubriand, Mme de Girardin, Honoré de Balzac, Alfred Musset, Henri Heine, Sainte-Beuve, Marie d’Agoult, Victor Schoelcher, Eugène Delacroix, Paul Nadar, Alexandre Dumas, espérant quelque concours des puissants, comme le fils aîné de Louis Philippe ou celui du patron du Journal des débats auquel le compositeur collaborait, le ministre de l’Intérieur comte Gasperin, qui lui commanda la Grande Messe des morts et la Symphonie funèbre et triomphale… « L’une des caractéristiques de la vie de Berlioz à Paris, écrit le musicologue britannique David Cairn cité par l’auteur, est sa capacité à faire sienne l’amitié d’individus même lorsqu’ils font partie d’organismes qui lui sont hostiles. »

Le Paris de Berlioz de Christian Wasselin est un livre de gourmet délicieusement écrit qui donne envie au lecteur de marcher à son tour sur les pas de Berlioz dans Paris, de redécouvrir ainsi la capitale avec le regard d’un musicien du XIXe siècle, la ville-monde la plus peuplée d’Europe du temps de Berlioz et la capitale mondiale de la musique où se bousculaient alors les Rossini, Cherubini, Bellini, Chopin, Liszt, Meyerbeer, Spontini, Donizetti, Paganini, Wagner, Pauline Viardot…  « Il faut sortir de Paris pour sentir son immense supériorité, avait affirmé Berlioz durant son court séjour Villa Medici à Rome. Et une fois en Italie, il faut renoncer à la plupart des jouissances intellectuelles qui font le charme de notre capitale. » Pourtant, en 1848, rentrant de retour de Londres après la Révolution, il écrira à son oncle que « Paris n’est plus la capitale intelligente, industrieuse, artiste, lettrée où toute l’Europe civilisée affluait ; c’est un club de fous et de drôles, hurlant, gesticulant, conspirant, écrivant, sans savoir ce qu’ils crient, ce qu’ils griffonnent, ce qu’ils menacent et ce qu’ils demandent. » Dans les dernières années de sa vie, Berlioz fréquente assidûment les cimetières : « Sachez seulement que ma promenade favorite, surtout quand il pleut, quand le ciel pleure à flots, est le cimetière Montmartre, voisin de ma demeure. J’y vais souvent, j’y ai beaucoup de relations » confie-t-il à l’amie de Franz Liszt la princesse Sayn-Wittgenstein. C’est dans ce cimetière qu’il repose à jamais, non loin du violoniste Joseph Artot, de Théophile Gautier, d’Alfred de Vigny, de Stendhal, d’Adolphe Sax, d’Ary Scheffer, de Pauline Viardot, du ténor Adolphe Nourri, du violoncelliste Franchomme, du luthier Vuillaume, du guitariste Fernando Sor, de Jacques Offenbach, d’Alphonsine Plessis (la Dame aux camélias), de Marguerite Gautier…

Bruno Serrou

1) Christian Wasselin, Le Paris de Berlioz. Editions Alexandrines, 130 pages, 10 €

 

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