Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Jeudi 2 mars 2023
L’Orchestre de Paris et son brillant
directeur musical Klaus Mäkeklä forment une entité d’exception. Cette semaine
encore, dans sa salle de la Philharmonie de Paris, ils ont porté haut
l’étendard de d’excellence, offrant un festival de couleurs, de son, de
virtuosité, d’unité, avec une première partie finlandaise et une seconde
française, le tout avec des effectifs croissant et à rebours de la chronologie
des œuvres et des compositeurs.
D’abord une œuvre minérale de Kaija Saariaho (née en 1952), Ciel d’Hiver donnée en l’émouvante présence de la compositrice. Cette partition est extraite d’Orion (2003) et arrangée en 2013 pour devenir un morceau à part entière créée le 7 avril 2014 par l’Orchestre Lamoureux Théâtre du Châtelet. Cette dizaine de minutes pour deux flûtes, flûte piccolo, deux hautbois, deux clarinettes, deux bassons (2e aussi contrebasson), cuivres par deux, tuba, timbales, célesta, piano, harpe et cordes (12-10-8-6-4) est d’une beauté évanescente, parfaitement évocatrice d’un ciel paisible, brumeux, léthargique, marmoréen. A la fin de l’exécution de cette page troublante dont les glacis pénètrent le corps de l’auditeur, Klaus Mäkelä a conduit le fauteuil roulant de sa compatriote finlandaise afin qu’elle puisse recueillir sa part des applaudissements du public.
S’en est ensuivi l’œuvre emblématique du fondateur de la musique finlandaise, dont Kaija Saariaho, comme tous ses compatriotes, se réclame, l’intemporel Concerto pour violon et orchestre Op. 47 de Jean Sibelius (1865-1957), la plus courue des œuvres du genre du XXe siècle. C’est la version définitive de cette œuvre composée en 1903-1904 et révisée en 1905, version créée à Berlin par Karel Halir sous la direction de Richard Strauss à la tête de son orchestre de l’Opéra d’Etat de Berlin dont il était le directeur général depuis 1898, qui a naturellement été retenue. La violoniste hollandaise Janine Jansen s’y est avérée époustouflante, donnant de ce chef-d’œuvre du répertoire violonistique une interprétation vertigineuse, saisissante par son dramatisme hallucinant, d’une densité et d’une maîtrise sonore et technique éblouissantes, la soliste se livrant à un véritable combat pour la vie, avec un orchestre(1) bouillonnant, rutilant de nuances et de coloris, la conception tragique emmenant l’auditeur au seuil de la suffocation. Violoniste remarquable d’aisance et de dynamique, à la technique infaillible au service d'une musicalité fabuleuse, imposant un plaisir des sons de chaque instant, riche d’un nuancier infini - ahurissantes transitions entre fortissimo/forte/piano/pianissimo -, l’extraordinaire artiste hollandaise a suscité un silence quasi mystique au public, qui en a eu carrément le souffle coupé par ce qu’il entendait et voyait. Authentique compagnon de route dans ce dialogue fusionnel avec la violoniste, Klaus Mäkelä a façonné pour elle un partenariat orchestral somptueux au tissu onctueux. Les quatre cors ont été éblouissants d’évocation et de carnation, donnant une incroyable profondeur de champs au chant du violon.
Malgré cette vision époustouflante du concerto de Sibelius, le public n’avait rien vécu encore… La Symphonie fantastique (1830) d‘Hector Berlioz (1803-1869) avec laquelle l’Orchestre de Paris (2) a été porté sur les fonts baptismaux par son fondateur Charles Münch en 1967, est dans l’ADN des musiciens, et la façon enlevée dont Mäkelä les a revigorés ce jeudi soir par une conception monumentale d’énergie, de mobilités, les gestes proprement chorégraphiques, le chef finlandais semblant chercher l’énergie jusqu’au tréfonds de l’orchestre (parmi tous les musiciens, je retiens ici le cor anglais Gildas Prado et la petite flûte Anaïs Benoît), avec une précision incroyable, engendrant un véritable bain de jouvence pour les yeux et pour les oreilles, tant le chef a réussi à susciter un incroyable tourbillon sonore, se laissant emporter lui-même jusqu’au vertige.
Bruno Serrou
1) La nomenclature de l’orchestre
du Concerto pour violon de Sibelius est la suivante : bois par deux, quatre cors, deux
trompettes, trois trombones, timbales, cordes (14-12-10-8-6)
2) Celle de la Symphonie fantastique compte deux flûtes
(la seconde aussi piccolo), trois hautbois (dont un en coulisse), cor anglais,
deux clarinettes (la seconde aussi petite clarinette), quatre bassons, quatre
cors, deux trompettes, deux cornets à pistons, trois trombones, deux tubas,
deux timbaliers, percussion (dont deux cloches d’église en coulisse), deux
harpes et cordes (16-14-12-10-8)
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