Considéré par les jeunes
générations comme le « pape de la musique électronique », ce qui le
flattait et l’agaçait à la fois, le mettant plus ou moins en porte-à-faux, Pierre
Henry a surtout été célébré comme l’un des initiateurs de la musique concrète, inventée
par Pierre Schaeffer. Il avait rejoint ce dernier en 1949 au Club d’essai qui
devint alors le Groupe de Recherche de Musique Concrète avant de prendre le nom
de Groupe de Recherche Musicale (GRM). C’est a contrario de la « musique abstraite », qui repose sur une
partition, que le terme « musique concrète » a été inventé, puisqu’il
s’agit de fixer un son et des séquences sonores sur une bande magnétique, à les
travailler sur divers supports et d’en écouter le résultat via des haut-parleurs.
Authentique musicien de formation
classique né le 9 décembre 1927 à Paris, Pierre Henry a commencé très tôt sa vie
de musicien. Entré à dix ans au Conservatoire de Paris dans les classes de piano,
de percussion et d’écriture puis de composition avec Nadia Boulanger, et
d’harmonie avec Olivier Messiaen, il disait s’être lancé dans la carrière de
percussionniste « en tapant sur tout ce qui se trouvait à [sa] portée,
toutes sortes d’ustensiles, les tables, les tambours, etc. ». Il avait,
rappelait-il, commencé enfant par
l’écoute du monde qui l’environnait, au dehors, dans le jardin, comme au-dedans
de la maison de ses parents. « J’en suis arrivé au moment de créer un
bruit, résumait-il, et je parvins à créer quelque chose d’entièrement nouveau,
un son inouï extrêmement complexe et extraordinaire. Au début, je voulais inventer
quelque chose d’étrange. » A vingt-deux ans, il rencontre Pierre Schaeffer,
qui, après avoir écouté la bande son qu’il avait réalisée pour le film Voir l’invisible, l’invite à le
rejoindre au Club d’essai de la Radio télévision française (RTF). Avec son
aîné, Il compose en 1950 Symphonie pour un homme seul, œuvre fondatrice de la musique concrète, et devient chef
des travaux du Groupe de
Recherche sur les Musiques Concrètes (GRMC). En 1953, au Festival de Donaueschingen, il crée Orphée,
premier opéra concret, écrit en collaboration avec Schaeffer.
Six ans plus tard, il rompt avec son mentor et fonde le premier « home studio »
indépendant de France, APSOME (Applications de Procédés SOnores
en Musique Électroacoustique) et, en 1982, Son/Ré, qui sera soutenu par le
ministère de la Culture et par la Ville de Paris. « Mes sons sont comme
des idéogrammes, constatait-il. Ils ont besoin de communiquer une idée, un
symbole. Dans mon travail, je suis souvent comme en approche psychologique.
C’est pourquoi je réalise une construction dramatique ou poétique, ou une
association de timbres, ou encore, tout comme en peinture, de couleurs. Les
sons sont partout. Pas besoin de bibliothèque ou de musée. L’infinie richesse
de la palette d’un son détermine une atmosphère. J’essaie d’élaborer une
« tablature de séries », devenant ainsi une sorte de sériel attardé.
Après une période de grande véhémence expressive, postromantique, je pense
entrer aujourd’hui dans une période conceptuelle. Ce qui me ramène à mes
travaux des années cinquante. » Avec la technique numérique, Henry estimait
le son digital contemporain très réaliste, mais aussi très impersonnel.
« Ce n’est pas un monde mais un atome, quasi virtuel. »
Pierre Henry a parcouru le monde
pour exécuter ses œuvres, avec la volonté de maîtrise complète de la
spatialisation. Novateur dans le domaine de l'exploration du son, défenseur
d'une esthétique ouverte, pionnier de la recherche technologique, il a ouvert
la voie à une multitude d’univers sonores. A partir de 1995, la jeune génération
des « musiques dites actuelles » se réfère à lui pour ses inventions,
reprises pour la plupart par les nouvelles technologies. Les musiques rock et
pop’ l’intéressent depuis les années 1960, époque où il travaillait avec le
groupe Spooky Tooth sur l’affable disque Ceremony
entrepris à la suite du succès de Messe
pour le temps présent en 1967. Pourtant, il ne s’est jamais reconnu de ce
monde. « Ma musique n’a jamais été vraiment électronique, mais
électro-acoustique. Si bien que cette reconnaissance me laisse un peu froid. Un
créateur ne recherche pas le succès immédiat. Je n’ai pas le temps de
m’intéresser à cette musique, et je m’en tiens à mes propres formules. Je pense
que cette musique est de plus en plus polluée, et je constate qu’elle ne se
fonde que sur un seul son ; un simple son, toujours et partout ; un
son standardisé. »
Admirateur
de Richard Wagner et du chorégraphe Maurice Béjart, qui a utilisé dès 1955 la Symphonie pour un homme seul composée
par Pierre Henry et Claude Schaeffer et avec qui il parcourra le monde comme
ingénieur du son et pour qui il composera quinze ballets, dont la fameuse Messe pour le temps présent, Henry
aimait la théâtralité de la musique, qu’il voulait allégorique. Outre Béjart,
il a travaillé avec les chorégraphes Georges Balanchine,
Carolyn Carlson, Merce Cunningham, Alwin Nikolaïs, Maguy Marin. Parmi ses musiques
de films, L’Homme à la Caméra de Dziga Vertov. Il a également réalisé
des performances avec les plasticiens Yves Klein, Jean Degottex, Georges
Mathieu, Nicolas Schöffer, Thierry Vincens. Jusqu’à la fin, il a poursuivi ses expérimentations au gré de créations comme
Objectif Terre (2007), Dieu à la maison
(2009), le Fil de la Vie (2012),
enfin, Continuo ou Vision d’un futur (2016), commande de la Philharmonie de
Paris. En septembre dernier, malade, il n’avait pu participer à la création à
Strasbourg de ses Chroniques terriennes,
où il fut remplacé le 23 septembre, durant le week-end d’ouverture du Festival
Musica, par son ami Thierry Balasse à la console. La mort le fascinait -
plusieurs œuvres évoquent le passage de la vie au trépas, le Voyage, le Livre des Morts
Egyptien, le Livre des Morts
Tibétains. « La mort, disait-il, est un grand sujet pour une œuvre. Je
préfère la naissance, mais, du point de vue artistique, je préfère la notion de
mort à celle de naissance. »
Pierre
Henry est mort à l’hôpital Saint-Joseph à Paris jeudi matin. Il avait 89 ans.
Bruno Serrou
La totalité de la musique de Pierre Henry est
disponible sur CD chez Philips/Universal
Article paru dans le quotidien La Croix daté vendredi 7 juillet 2017
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