Paris. Théâtre des Champs-Elysées. Mardi 4 octobre 2022
Christian Zacharias est l’un des
pianistes les plus élégants, nobles et sensibles qui se puissent trouver
aujourd’hui. Chacune de ses apparitions est une fête en soi. Surtout hier soir,
tandis qu’il se produisait à Paris dans ce qui devrait être son ultime récital
solo.
Christian Zacharias est chez lui,
au Théâtre des Champs-Elysées. Il y joue très souvent, et le public ne s’en
lasse pas, d’ailleurs, se montrant à son égard aussi fidèle que lui, se
bousculant à chacune de ses prestations. Mardi 4 octobre, le pianiste allemand
né en Inde (Jamshedpur) voilà 72 ans, disciple de Vlado Perlemuter au CNSMD de
Paris après avoir étudié le piano au Conservatoire de Karlsruhe auprès d’Irène
Slavine, outre son extraordinaire talent de pianiste, s’illustre dans les
domaines de la direction d’orchestre depuis 1992 et de festivals, ainsi que d’écrivain,
tout en avouant une passion pour la peinture, possédant une riche collection en
son domicile.
Avant de renoncer à sa carrière
de récitaliste pour donner la priorité à celle de chef d’orchestre - il est
notamment chef associé de l’Orchestre National d’Auvergne -, dirigeant aussi du
piano, et de concertiste, invité, Christian Zacharias a donné au Théâtre des
Champs-Elysées un programme qui lui va à merveille, lui permettant d’exposer
pleinement son lyrisme raffiné, ses sonorités envoûtantes, son toucher délicat,
sa profondeur spirituelle.
Depuis ses débuts à Genève en
1969 après avoir remporté le deuxième Prix du concours de la métropole
lémanique, Christian Zacharias accorde une importance particulière à la probité
du texte musical, s’attachant jusqu’aux plus infimes détails des partitions tout
en cherchant à aller au-delà des notes, ce qui le conduit à briller
particulièrement dans la musique de Scarlatti, Haydn, Mozart, Beethoven, Schubert,
Schumann, Debussy et Ravel, son répertoire de prédilection qu’il défend avec flamme.
Pour ce qui pourrait être sa dernière prestation solo à Paris, le pianiste allemand a choisi le brillant cycle Les Saisons op. 37a que Tchaïkovski composa en 1875-1876 qui semblent soudain de plus en plus courues en ce moment par les pianistes du monde, et l’une des sonates les plus réputées de Schubert, la célèbre « Gastein ». En authentique conteur, Zacharias prend l’auditeur par la main pour ne plus la lâcher du début à la fin des œuvres qu’il joue, offrant à son oreille mille et un sortilèges des partitions qu’il interprète, quelles que soient leur durée et le nombre parties, et ce jusqu’au plus infime détail. Son toucher aérien, la limpidité de ses phrasés, les sonorités argentines emplies de sortilèges, la délicatesse de son jeu donnent à entendre les infinies richesses des œuvres qu’il joue. Ainsi, les douze mois des Saisons de Tchaïkovski sont sous les doigts de Zacharias un véritable livre d’images (Au coin du feu, Le Carnaval, Chant de l’alouette, Perce-neige, Les nuits de mai, Barcarolle, Chant du faucheur, La moisson, La chasse, Chant d’automne, Troïka, Noël) délicieusement contrastées, d’une variété et d’une densité de couleurs chatoyantes qui illustre à la perfection les épigraphes que le compositeur met en exergue de chacune des pièces, à l’instar de Janvier, « Ce lieu de douceur et de paix, / La nuit l’a vêtu de pénombre ; / Le feu s’éteint dans la cheminée, / La chandelle charbonne. (Pouchkine) », ou de Novembre, « Ne contemple pas la route tristement. / Ne te hâte point de suivre la troïka. / La mélancolie dans ton cœur tapie, / Impose-lui le silence à jamais. (Nikolaï Nekrassov) »
De la Sonate pour piano n° 17 en ré majeur op. 53 D. 850 de Franz Schubert
qui s’est vue attribuer le sous-titre « Gastein » en raison du lieu (Bad Gastein, non loin de Salzbourg)
de sa composition, durant une villégiature de son auteur en août 1825, Zacharias
a donné toute la joie conquérante, la tendresse radieuse, la vitalité enjouée, le
pianiste ménageant des rythmes solaires d’une ardeur éclatante dès l’entrée de
l’Allegro vivace initial, tandis que
le jeu du pianiste s’avère d’une liberté surnaturelle dans les deux mouvements
centraux, véritables joyaux de l’œuvre, l’abandon du Con moto et ses exquises
harmonies, ineffable contemplation des mystères de la nature, exaltant les
rythmes pointés du Scherzo, les échos
cajoleurs et attendrissants de Ländler
ainsi que la rêverie de son trio et
son harmonie envoûtante, enfin le délicieux Rondo
final dont il souligne avec un naturel confondant la candide simplicité.
Comme hypnotisé par la beauté du
son égrené par les doigts de Christian Zacharias, le public n’a pas bronché
pendant une heure trente-cinq, ne serait-ce que d’un cil comme tétanisé par
tant de profondeur et de musicalité (exception faite de quelque alarme de téléphone
resté ouvert par mégarde et de retardés à l’issue de l’entracte faute de
sonnerie). Au point que Christian Zacharias s’est rapidement assis devant son
Steinway d’un soir pour se lancer dans une série de Variations du « jeune Beethoven », estimant à raison qu’il
était « impossible après un tel sommet de la musique [la Sonate de Schubert] de jouer des pages
majeures du répertoire ».
Bruno Serrou
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