Pianiste, chef d’orchestre, chambriste, pédagogue, directeur de festivals à la vaste culture et à la curiosité polymorphe, Jean-François Heisser est l’un des musiciens les plus complets de notre temps.
Né le 7 novembre 1950 à Saint-Etienne, où il a passé son enfance, profil d'ours mal léché mais à l'abord adorable, attentif, toujours fin et réfléchi, immense musicien, Jean-François Heisser a commencé le piano tout en apprenant à parler. « Si je n’avais pas fait de musique je serais devenu historien, dit-il, recherche, généalogie, contexte historique... J’aime présenter les concerts pour que le public en soit acteur. » A 14 ans, il décide de se consacrer à la musique après un récital du pianiste Vlado Perlemuter, disciple de Ravel. « Il était une bulle au sein du Conservatoire, des professeurs étant plus courus que lui. Il fallait s’accrocher pour travailler avec lui, se battre pour garder confiance en soi. » Heisser a également eu pour maître Maria Curzo. « Avec elle, j’ai eu le complément nécessaire pour développer un son, un phrasé. Ces deux enseignements m’ont permis de développer ma propre pédagogie. » Pédagogue réputé, animateur enthousiaste de l’Académie Maurice Ravel à Saint-Jean-de-Luz, Heisser compte parmi ses élèves les plus fameux du Conservatoire de Paris Jean-Frédéric Neuburger et Bertrand Chamayou, avec qui il dirige le Festival Ravel depuis 2020. Eminent Beethovenien, il excelle dans Chopin, Brahms, Bartók, le répertoire français qu’il se plaît à jouer sur instruments historiques, la musique contemporaine la plus complexe. Il est aussi l’un des très rares pianistes français à briller dans la musique espagnole.
Dans le cadre du trentenaire de la mort d'Olivier Messiaen, à la tête de son Orchestre de Chambre Nouvelle-Aquitaine qu’il dirige depuis vingt-deux ans, Heisser a enregistré Des Canyons aux Etoiles (1). Messiaen qu’il a rencontré adolescent au conservatoire de Saint-Etienne alors que le compositeur jouait Visions de l’Amen avec sa femme Yvonne Loriod. « Les Messiaen étaient très chaleureux, surtout elle, se souvient-il. Il était plus secret et elle plus expansive. Du haut de mes seize ans, je lui ai demandé pourquoi elle s’intéressait à moi, elle m’a dit qu’ils étaient en train de créer le Concours Messiaen qu’il me faudrait tenter. » Bien qu’il n’ait pas été l’élève de Loriod, Heisser a développé avec elle une relation de proximité, et elle n’a cessé de lui témoigner sa sympathie, lui mettant le pied à l’étrier pour la remplacer dans des concerts et au Conservatoire. C’est essentiellement l’œuvre pour orchestre de Messiaen qu’il joue depuis l’époque où il était pianiste du Philharmonique de Radio France dans les années 1980. « Pour le piano, j’ai donné des pièces séparées, jamais d’intégrales. En revanche, son orchestre m’a toujours fasciné. Pour moi Messiaen est dans la généalogie de Berlioz. » Comme je l’ai écrit dans mon compte-rendu du CD (voir https://brunoserrou.blogspot.com/2022/08/cd-compte-rendu-remarquables-des.html), ce que font Heisser et son orchestre dans Des Canyons aux Etoiles est captivant, un bain de jouvence polychrome, jouant sur le détail pour mieux en souligner l’unité et la puissance spirituelle.
Bruno Serrou
1) 2 CD Mirare
° °
°
Bruno SERROU : Quand avez-vous commencé le piano ? Vous souvenez-vous de ce qui a suscité votre désir de devenir musicien ?
Jean-François HEISSER : Je me suis mis très jeune au piano, à
Saint-Etienne où je suis né et où j’ai passé mon enfance sans savoir que je
deviendrai musicien. J’ai commencé vers sept ans, accompagnant tant bien que
mal mon père, excellent violoniste amateur et descendant d’une lignée de
musiciens venue d’Allemagne dans les années 1790 : c'est ainsi que je suis
devenu un bon lecteur. Un jour, Vlado
Perlemuter a donné un récital à la Bourse du travail. Avant de commencer, il a
dit « on m’a demandé de parler de Ravel, mais je ne suis pas conférencier »…
Il s’est pourtant lancé sans attendre dans sa présentation, et il s’est avéré
impossible de l’arrêter. Quand j’ai eu en main mon programme avec sa photo
qu’il a dédicacée, j’en ai été fier et heureux. J’avais quatorze/quinze ans.
Mon professeur, Paul Simonnar, le connaissait, et lorsque j’ai décidé de tenter ma chance au
Conservatoire de Paris, je suis allé le voir, avec l’opus 110 de Beethoven,
le Concerto italien de Bach, et Reflet
dans le vent de Messiaen. Il était très impressionnant. A l’époque, la
relation professeur-élève était très différente de celle d’aujourd’hui, il
émanait du maître un très grand magnétisme. Le revers de la médaille était sans doute un niveau d’exigence qu’il s’était
appliqué à lui-même tout au long de sa vie, une quête inlassable, qui pouvait
faire douter un jeune musicien de son aptitude à accéder à la « maitrise ».
Permuter était un musicien hors du commun empreint d’une grande humilité face
aux grands chefs-d'œuvre du répertoire. Il était connu pour ses Ravel, mais en
vérité toute la musique française était son domaine, Franck, Debussy, Fauré,
alors qu’il était lui-même d'un tout autre univers. Sa famille, issue de la
communauté juive de Vilnius en Lituanie, était arrivée en France au début du XXe
siècle, peu après sa naissance, avant la Première Guerre mondiale. Il est identifié
comme l’élève préféré d’Alfred Cortot, mais Il avait aussi travaillé avec un
professeur moins connu, Moritz Moszkowski, et plus brièvement avec Wilhelm
Backhaus. Son intégrale Chopin, enregistrée par la BBC, n’a inexplicablement
jamais été publiée au disque - il existe des enregistrements Chopin par
Perlemuter, mais cette intégrale est restée dans les tiroirs de la radio
publique britannique. Ces années dans sa classe du Conservatoire National
Supérieur de Musique de Paris ont été pour moi très impressionnantes. Cette
classe était un peu une bulle à l’intérieur du CNSM, qui comptait des
professeurs un peu plus show off,
comme Pierre Sancan ou Lucette Descaves, qui produisaient beaucoup de pianistes
très brillants, tandis que Perlemuter était resté sur une espèce d’introversion
avec une grande rigueur dans le bon sens du terme, et je suis convaincu qu’il
aurait pu sortir beaucoup plus de pianistes de renom. Comme il ne jouait pas
beaucoup en France, essentiellement connu pour ses Ravel, personne ne mesurait
quelle star absolue il était en Angleterre, au Japon, et il n’a été découvert
en France par les nouvelles générations qu’après son départ à la retraite du
CNSM. Nous étions alors à la fin de la carrière d’Arthur Rubinstein, après le
retour de Vladimir Horowitz, dans la grande période de Claudio Arrau, il y
avait aussi le phénomène György Cziffra… Pour nous, Vlado Perlemuter n’était
pas associé à cet univers-là. Mais grâce notamment à la série Piano****, je me
souviens de son dernier récital Salle Pleyel… Après le CNSM, Perlemuter et moi
avons développé une relation plus amicale. Un tel enseignement marque
profondément tout ce qui concerne l’approche de la musique ; la voie
tracée par une pareille personnalité a influencé la façon de me positionner
face au texte d’un compositeur, particulièrement ceux qu’il avait connus,
Fauré, Ravel, Dukas, comme aujourd’hui quelqu’un qui aurait travaillé avec
Messiaen, Boulez, Stockhausen… Je me souviens qu’il avait été très heureux que
je consacre mon premier enregistrement à l'œuvre pour piano de Paul
Dukas : un projet qu’il aurait souhaité lui-même entreprendre… Pour ma
part, je cherche constamment à revenir sur les œuvres phares de mon répertoire
tout en explorant de nouvelles partitions : je l’ai connu, par exemple,
apprenant toutes les Etudes de
Debussy alors qu’il approchait les soixante-dix ans.
B. S. : Vous-même, qui
avez plus de trente ans d’enseignant derrière vous, avez-vous des
stigmates de celui de Perlemuter dans son rapport à ses élèves ?
J.F.H. : J’ai eu la chance d’avoir un après-CNSM - quoique
relativement bref -, qui m’a conduit à travailler avec une grande professeure,
Maria Curcio, qui a eu pour élèves beaucoup de pianistes comme Pierre-Laurent
Aimard ou Rafael Orozco. Elle avait été une élève d’Arthur Schnabel en même
temps que Leon Fleisher, tous les deux étant les deux enfants spirituels du
maître allemand. En une quinzaine de cours avec elle, j’ai eu le complément
nécessaire pour développer une approche différente qui passait par l’analyse des
grands principes pianistiques, en relation avec le texte musical. De ce point
de vue, cette rencontre avec Curcio a été déterminante. Les deux maîtres
combinés m’ont effectivement aidé à développer par la suite ma propre approche
de l’enseignement auprès des étudiants, mais ce qu’il y a de frustrant est que
finalement l’on ne finit par être un très bon professeur qu’à l’approche de la
retraite du CNSM.
B. S. : D’où
l’importance des masters-classes…
J.F.H : Oui, je
parlais précisément de cela le mois dernier dans le cadre de l’Académie Maurice
Ravel, à Saint-Jean-de-Luz. Je fais de temps en temps des sessions à droite et
à gauche, par exemple en octobre à Arc-et-Senans, où les conditions de travail
sont excellentes, avec peu d’étudiants, quatre ou cinq au maximum, ce qui
permet de consacrer beaucoup de temps à chacun en une semaine. Les stagiaires
sont recrutés par le bouche à oreille, et nous les connaissons déjà plus ou
moins. L’Académie Ravel m’a permis depuis que j’ai arrêté le CNSM de garder un
contact étroit avec le milieu des jeunes musiciens émergents, pas seulement des
pianistes et des instrumentistes à cordes, mais aussi des instruments à vent, à
percussion. J’ai aussi mon fils Charles, qui, à vingt-deux ans, est pianiste à
la fois jazz et classique - il termine son master au CNSM. Ce qui me permet
d’être informé de ce qui se passe au sein de la jeune génération. Je pense que
l’on n’a pas vraiment compris où je voulais aller dans ce milieu traditionnel
voilà vingt ou trente ans. D’une part, il y a le fait que mon répertoire est
très large, ma nature curieuse m’éloignant des conventions qui veulent que l’on
creuse un répertoire spécifique plus ou moins limité, et d’autre part je me
suis intéressé à la musique espagnole pour laquelle il y avait un créneau qui a
guère l’attention de mes confrères.
B. S. : Votre sens de la pédagogie va jusqu’à vous conduire à
présenter vos programmes au public réuni dans les salles de concert…
J.F.H. : J’ai une grande appétence pour l’Histoire en
général… Si je n’avais pas été musicien, je serais devenu historien, sans aucun
doute possible. La recherche plus que l’enseignement. Les histoires de
généalogie, de contextes historiques me passionnent. J’aime de plus en plus
présenter les concerts, et le public le demande. Souvent, il entend des
programmes ou une œuvre pour la première fois, et je pense qu’une préparation
de l’écoute est toujours utile, pas seulement pour la musique contemporaine
mais aussi pour les œuvres du passé, et même pour le répertoire. Il convient de
donner au public l’impression d’être lui-même acteur du concert. Je passe par
ce que l’on appelle aujourd’hui une médiation, ce que je fais volontiers dans
le cadre de mon activité avec l’Orchestre de Chambre Nouvelle Aquitaine parce
que j’ai beaucoup travaillé sur ce que l’on dénomme les territoires, y compris
dans les milieux ruraux avec des gens de toutes les générations, et je prononce
quantité de conférences au piano. J’adore faire ça. Je le fais dans la plupart
de mes concerts. M’appuyer sur cette expérience pour une médiation tous publics
est extrêmement important. Ce doit être concis mais il faut donner des choses
qui vont faire tilt dans l’esprit des
gens qui arrivent à un concert, voient programmés des auteurs connus mais pas
forcément les œuvres et à qui il convient d’expliciter le sens de la
construction d’un concert, parce qu’aujourd’hui le concept passe avant le
contenu. Ce qui est souvent regrettable, en fait. L’idée de concept est bonne,
mais à condition qu’il y ait une force de programmation. Il y a une différence
aujourd’hui entre ceux qui savent faire une programmation, et ceux qui jouent
des morceaux et le public s’en débrouille.
B.S. : Comment choisissez-vous les compositeurs avec qui vous
travaillez ? Par affinités intellectuelles, musicales, amicales ?...
J.F.H. : Nous partageons vous et moi à peu près une proximité
avec les mêmes cercles de compositeurs. Néanmoins, j’ai fait un certain nombre
d’expériences avec des créateurs d’esthétiques totalement opposées aux miennes.
Je mets toutes mes forces pour les jouer avec le même engagement quelle que
soit l’école, mais il est vrai qu’il y a malgré tout chez moi le sens d’une
avant-garde qui n’est pas uniquement celle des années 1960 - il y a des œuvres
des années soixante, voire soixante-dix qui sont considérées aujourd’hui comme
appartenant au répertoire que je ne reprendrai peut-être pas, même chez de
grands compositeurs. Mais dans cette période-là, il y a des partitions qu’il
faut jouer et rejouer. C’était un peu le sens du concert de clôture du Festival
de Saint-Jean-de-Luz de début septembre dernier, avec Mantra de Stockhausen avec Jean-Frédéric Neuburger.
B. S. : Comment choisissez-vous vos partenaires de musique de
chambre, à commencer par le piano ?
J.F.H. : Bertrand Chamayou, Jean-Frédéric Neuburger, deux de
mes anciens disciples, sont d’éminentes personnalités, d’immenses pianistes. Il
y a aussi chez moi la notion de famille, avec notamment Marie-Josèphe Jude, qui
a été mon assistante au CNSM, tandis que Jean-Frédéric et Bertrand étaient dans
ma classe. Cette notion de famille à laquelle j’appartiens est importante, non
pas reliée à une tradition mais surtout à un positionnement par rapport aux
partitions, que ce soit du grand répertoire ou d’un répertoire plus récent - je
pense par exemple à Messiaen -, que ce soit aussi par rapport à la création,
une forme d’esprit qui nous est commune.
B.S. : Vous jouez beaucoup Messiaen, au piano comme à l’orchestre.
L’avez-vous connu ?
J.F.H. : Au Conservatoire de Saint-Etienne, j’étais un amateur
éclairé. En effet, mon père, qui, je le rappelle, était lui-même violoniste
amateur, m’a mis à l’âge de six ans au piano devant des sonates de Mozart. Je
faisais une note sur quinze puis, six mois plus tard j’en faisais deux, puis
quelques années après j’en jouais huit, et c’est ainsi que j’ai appris à
dévorer de la musique avec appétit. Perlemuter est venu donner ce fameux
concert dont j’ai gardé le programme, et peu de temps après, le directeur du
Conservatoire de Saint-Etienne m’a fait commencer l’harmonie. Ayant été dans la
classe de Paul Dukas avec Messiaen, il a invité ce dernier avec sa femme Yvonne
Loriod pour jouer les Visions de l’Amen
dans la salle du Conservatoire. Je revois encore le tableau. A l’issue du
concert, il a organisé une soirée chez lui où il a convié le couple Messiaen
qui s’est montré extrêmement chaleureux. Surtout elle - lui était plus secret,
tandis qu’Yvonne était très expansive. Du haut de mes seize ans, je lui ai
demandé pourquoi elle s’intéressait à moi, et elle m’a répondu :
« Nous sommes en train de créer le concours Olivier Messiaen, il faudra
vous y présenter. » Par la suite, nous avons développé une relation de
proximité, alors que je n’ai jamais été son élève. Mais pendant toutes mes
années de conservatoire elle n’a cessé de me témoigner de la sympathie. Puis
elle m’a mis le pied à l’étrier, me demandant souvent de la remplacer pour ses
concerts, et, plus tard, pour la remplacer dans ses cours au CNSM. J’ai dû
faire cinquante Turangalilâ Symphonie,
alors que je n’étais pas du sérail. J’ai entretenu une correspondance avec
elle, et j’ai reçu beaucoup de lettres d’elle.
B.S. : A quel âge avez-vous joué votre première œuvre de
Messiaen ?
J.F.H. : J’avais joué des Préludes, comme je vous l’ai dit plus haut… Chez Perlemuter nous ne le travaillions pas forcément, et j’ai vraiment commencé à le jouer après que j’aie été nommé pianiste à Radio France, à la sortie du CNSM, pour rassurer mes parents, qui désespéraient de ne pas voir de salaire se profiler à l’horizon. J’ai donc pris ce poste de pianiste à la refonte des orchestres de la radio, à la grande époque de Pierre Vozlinsky, un ancien élève de Lucette Descaves qui était alors directeur des programmes musicaux de Radio France.
B. S. : Pierre Vozlinsky était une éminente personnalité, un
authentique bâtisseur d’orchestres…
J.F.H. : En effet… Il est parti en 1981, à la suite de désaccords avec le nouveau gouvernement qui lui a vainement demandé de rester, mais il s’est buté et il est parti pour fonder le MIDEM Classique puis pour l’Orchestre de Paris, mais il n’était déjà plus le même. A Radio France, il avait subi la vindicte des syndicats des musiciens d’orchestre. Il n’en demeure pas moins que cette période a été extraordinaire. Il avait nommé Lorin Maazel directeur musical de l’Orchestre National de France, Leonard Bernstein y venait très souvent. Mais il lui a été reproché une baisse du cahier des charges dans le domaine de la création et le fait qu’il avait clairement maintenu sous le boisseau le Philharmonique car, pour lui, il y avait un orchestre de prestige, le National, et le Philharmonique, qui évidemment devait être le meilleur orchestre possible mais son cahier des charges était extrêmement délimité par rapport au National. Après son départ, la course a repris entre les deux formations pour qui serait le plus beau, le meilleur. Quelques décennies plus tard, la compétition entre les deux formations symphoniques est toujours d'actualité....
B. S. : En quelle année êtes-vous entré à Radio France comme
pianiste titulaire du Philharmonique ?
J.F.H. : En 1976… Deux ans plus tard, en 1978, pour les soixante-dix ans de Messiaen, Radio France a organisé de grandes festivités. Le Philharmonique devait jouer les Trois petites liturgies en direct à la radio, sous l’égide de l’UER (Union Européenne de Radiodiffusion), depuis les Invalides. L’orchestre m’a demandé de les jouer, et dans l’intervalle Messiaen a été hospitalisé pour une chirurgie. Le soir-même, je reçois un message de Messiaen qui me dit qu’il avait écouté le direct depuis sa chambre d’hôpital, et il s’est avéré que cette partition était l’une de celles auxquelles le couple était le plus attaché. Ce concert a été pour moi le premier retour très chaleureux de Messiaen et d’Yvonne.
B.S. : Avez-vous continué à entretenir des relations avec le couple Yvonne Loriod-Olivier Messiaen ?
J.F.H. : Avec Yvonne, oui. Avec Messiaen, personne n'entretenait vraiment de relations étroites. Parmi les pianistes, plusieurs générations se sont succédées. Michel Beroff, Pierre-Laurent Aimard, Roger Muraro… Aujourd'hui, Bertrand Chamayou offre une vision nouvelle... En vérité, Messiaen vivait très replié, une fois à la retraite du CNSM. Yvonne Loriod était le porte-flambeau du couple. J’étais aussi très proche de sa sœur Jeanne, l’ondiste professeur de Tristan Murail. Nous avons beaucoup voyagé ensemble, je l’adorais, elle avait un énorme respect pour son aînée, elle était la petite sœur… Nanou…
B.S. : Avez-vous joué tout l’œuvre pour piano de Messiaen ?
J.F.H. : Non. En revanche j’ai à mon répertoire la totalité de son œuvre avec orchestre. C’est une question de choix. Pour le piano, j’ai joué des Préludes, des pièces isolées, je n’ai jamais fait les intégrales des Regards sur l’Enfant Jésus, des Catalogues d’Oiseaux, mais j’ai joué l’ensemble des pages d’orchestre, c’est-à-dire Les Petites liturgies de la Présence divine, Turangalilâ Symphonie, Des Canyons aux Etoiles, Couleurs de la cité céleste, les 7 Haïkaï, le Réveil des oiseaux, Oiseaux exotiques… L'orchestration de Messiaen m’attirait davantage que son piano, et je suis plus ou moins resté sur cette position. Pour moi, la véritable dimension de Messiaen se situe dans la généalogie berliozienne : l’orchestration, les couleurs, les rapports de timbres.
B.S. : Le piano de Messiaen a aussi ses particularités…
J.F.H. : Mais elles m’ont moins touché. Je n’ai jamais joué
les Quatre Etudes de Rythmes. Mais
c’est aussi une question de temps. Le clavier de Messiaen était déjà fort bien
défendu. Le disque de Michel Beroff reste une référence en la matière, puis il
y en a eu beaucoup d’autres, comme Pierre-Laurent Aimard, Roger Muraro, aujourd’hui Bertrand Chamayou, qui propose une vision nouvelle. L’œuvre pour piano de
Messiaen requiert un engagement de plusieurs années. En revanche, ce que j’ai
fait avec Iberia d’Isaac Albéniz
rejoignait Messiaen dans la mesure où l’œuvre a été pour lui une Bible
pianistique. Ses Préludes, qui sont
dans la ligne de ceux de Debussy, font partie de mes œuvres pour piano de prédilection. S’il se trouve un cycle que je ferais
volontiers maintenant, ce sont précisément ses Préludes. Même si ces pages sont assez post-debussystes, ces œuvres
de jeunesse de Messiaen contiennent un enthousiasme, une fraîcheur que l’on
discerne aussi dans les cycles avec voix. Poème
pour Mi, Chants de Terre
et de Ciel, qu’il a écrits
pour la naissance de son fils… Il s’y trouve des choses assez uniques.
B.S. : Vous venez d’évoquer Albéniz à propos de Messiaen… Comment vous est venu votre amour pour la musique espagnole ?
J.F.H. : Quand j’étais élève dans la classe de Perlemuter, il
avait une assistante née dans les années 1890 qui avait pour nom Marcelle
Heuclin-Dubois. Elle a été le professeur de plusieurs générations de pianistes,
notamment de Michel Alberto dont elle a été la première enseignante, et elle était
une proche amie d’Alicia de Larrocha. Par son intermédiaire, j’ai écouté la première
version d’Alicia de Larrocha qui date des années soixante et était distribuée par le label
Erato qui, à mon avis, reste la meilleure. J’ai écouté cet enregistrement, qui
m’a subjugué. Il s'y trouvait des choses incroyables sur les plans du rythme, des
harmonies... Je vois encore le lieu où j’ai écouté ce disque pour la première
fois… J’étais étudiant, sortant du CNSM, je me suis rendu à l’Académie de
Saint-Jacques de Compostelle où enseignaient Federico Mompou, avec qui j’ai
travaillé, Alberto Ginastera, Andrés Segovia, tous les grands musiciens espagnols, qu'ils soient chanteurs, pianistes, guitaristes, ce qui m’a considérablement marqué. Après ce
fut la découverte de Manuel de Falla, Enrique Granados...
B.S. : Qu’est-ce qui vous a attiré dans la musique ibérique ?
La couleur ? Le rythme ? La lumière ?
J.F.H. : Une conjonction du tout… Bien sûr j’adorais Debussy et Ravel,
mais il y avait quelque chose dans la musique venue d’Espagne qui me
correspondait. Je suis incapable de dire pourquoi. Particulièrement Iberia d’Albéniz, puis Falla. Le premier
disque que j’ai enregistré était consacré à Falla, et Alicia de Larrocha, que
je ne connaissais pas encore, a voulu me rencontrer après avoir écouté ce
disque, disant à son agent, Maurice Werner qui était également le mien,
qu’elle voulait absolument me rencontrer parce qu’elle trouvait cette gravure
« formidable ». A l’époque, rares étaient ceux qui jouaient cette
musique : Rafael Orozco, Esteban Sanchez, Aldo Ciccolini, sans oublier
Leopoldo Querol, qui, dans les années 1930, faisait une note sur deux [rires], mais
l’esprit y était…
B.S. : Debussy admirait Albéniz…
J.F.H. : Ravel aussi. Albéniz a été à l’origine d’une gigantesque
détonation dans le monde pianistique pour la technique. Granados est davantage
un épiphénomène d’une intense émotion. Son piano est pure folie, avec une prise
de risques phénoménale. C’est très difficile à jouer. Ses Goyescas sont terribles. Je les ai joués très progressivement en public.
Et la découverte de Falla !... Il n’y a pas grand-chose chez lui pour le
piano, mais le peu qu’il y a, constitue d’authentiques chefs-d’œuvre. La Fantasia Baetica qu’il a écrite pour Arthur Rubinstein est pure merveille.
B.S : Malgré votre éclectisme, il se trouve des compositeurs que vous ne jouez pas, comme Ferruccio Busoni…
J.F.H. : Il y en a d’autres, bien plus importants que Busoni.
Comme Alexandre Scriabine. Ce n’est pas que je ne les aime pas, mais il me faut faire des
choix…
B.S. : Qu’en est-il de Mozart ?
J.F.H. : Je le joue de plus en plus. Au début, il me faisait
peur… Toujours pour des raisons d’instrument, de style. Or, il est possible de
jouer Mozart au piano. J’ai beaucoup donné ses concertos, mais le piano solo me
faisait un peu peur. L’orchestre m’a permis de m’engager davantage dans Mozart.
Par ailleurs, je me mets aujourd’hui à la musique pour piano de Robert
Schumann. Comme Mozart, Schumann m’a toujours effrayé, cela peut être à cause
de Perlemuter. Parce que travailler Schumann avec lui - déjà travailler Chopin était
dur -, était terrifiant. On ne dépassait pas la première page en une heure de
cours. Il essayait de tirer quelque chose qui correspondait précisément à ce
qu’il voulait. Curieusement, son Concerto
est le seul du grand répertoire que je n’ai pas encore abordé. J’ai joué
beaucoup de concertos rares comme ceux de Max Reger, Nikolaï Rimski-Korsakov,
tous les Tchaïkovski, les Prokofiev, mais jamais le Schumann. L’angoisse, … Je
me lance dans Schumann cette année, commençant par les Davidbündlertänze, cycle inouï, et à l’orchestre les Symphonies, trop souvent mal considérées
comme des symphonies de « pianiste ».
B.S. : Avez-vous une idée du nombre d’œuvres à votre répertoire ?
J.F.H. : … Il s’y trouve des œuvres emblématiques, comme les
trois dernières Sonates de Beethoven,
les Variations Diabelli, les Chopin,
certains Liszt… Elles sont toujours présentes.
B.S. : Chopin, qui semble beaucoup compter pour vous, où le situez-vous ?
J.F.H. : De façon un peu atypique. J’ai joué dans le cadre du
Festival Ravel l’intégrale de la musique
de chambre de Ravel sur mon piano romantique Chickering & Sons de 1868 qui
a fait l’unanimité du public pour sa
sonorité unique. J’ai donné récemment avec le même piano le cycle des sept
grandes Polonaises de Chopin en
tournée, avec l’idée de montrer l’évolution de la pensée de Chopin, de la forme
et de son génie pour aboutir à la Polonaise-Fantaisie,
qui est pour moi l’un des plus grands chefs-d’œuvre de l’histoire de la
musique, le tout avec des références en première partie de récital aux grandes
sources d’inspiration de Chopin, principalement Bach et Mozart, et en seconde
partie des compositeurs qu’il a profondément marqués, Debussy bien sûr, et
certains de nos contemporains. Chopin est omniprésent. Il y a quelque chose
dans cette musique d’inanalysable par rapport au génie. Il se trouve chez lui
un procédé qui continue à m’échapper d’une telle densité musicale où chaque
note est complètement… enfin il y a quelque chose d’unique, qui ne se perçoit
pas de la même façon chez Schumann, par exemple…
B.S. : Qu’en est-il de Johannes Brahms ?
J.F.H. : J’ai beaucoup donné Brahms. Jusqu’à ce qu’il y ait le
« déluge » Brahms, piano solo et musique de chambre, une période où
il remplissait les salles bien plus que Beethoven. Il y a d’abord eu Schubert,
qui, du jour au lendemain, s’est mis à remplir les salles avant Brahms, qui
d’un coup a suscité une véritable brahmsmania.
Je sais néanmoins que cette musique me va, peut-être plus naturellement que
Chopin, mais il me faut y revenir...
B.S. : Comment êtes-vous arrivé à la direction d’orchestre ?
J.F.H. : Cet attrait pour la direction m’est venu lorsque
j’étais pianiste du Philharmonique de Radio France. J’étais un jeune pianiste
qui ne savait pas trop ce qu’il voulait devenir… Comme je l’ai dit, j’étais
arrivé dans ce métier sur le fil du rasoir parce que dans ma famille j’avais un
oncle pianiste professionnel. Un jour, il est venu voir mon père, et il lui a
dit : « Ce petit-là, c’est quand même dommage… pourquoi
n’essaierait-il pas de faire de la musique ? » Mon père lui a
machinalement répondu : « Ah bon tu crois ? » Quant à ma
mère, la perspective de voir son fils partir à Paris, il n’en était pas du tout
question… Il y a donc eu une réunion de famille d’où la décision a été prise
qu’il me fallait tenter l’entrée au CNSM. Mon professeur de piano du
Conservatoire de Saint-Etienne n'était pas très enthousiaste disant « oui
mais s’il y a un échec, j’en porterais quelque part la responsabilité »…
Finalement, je suis parti. C’est pourquoi, effectivement, en sortant du CNSM,
je me suis dit qu'en ayant fait toutes les classes d’écriture traditionnelles
ainsi que la classe d’accompagnement d’Henriette Puig-Roget, le champ d’activité
était grand ouvert. Une opportunité de poste à la Radio s’est présentée, alors
qu’en fait cette période n’était pas à la frustration comme elle aurait pu
l’être en raison d’un décalage de quelques années par rapport aux pianistes de
mon âge qui avaient déjà entamé une carrière de soliste, tandis que je faisais
du piano d’orchestre et du célesta. En fait, je travaillais beaucoup mon piano.
Il y avait les services d’orchestre, peu nombreux pour les pianistes, mais à
l’époque la Radio laissait ses portes ouvertes vingt-quatre heures sur
vingt-quatre. J’y passais ainsi tout mon temps, jour et nuit. Ce serait impossible aujourd’hui. L’année de la création de l’Ensemble
Intercontemporain, je me suis présenté au premier concours de recrutement, mais
Pierre Boulez n’a pris personne. Il a attendu un an pour en organiser un autre,
mais entretemps j’étais entré à la Radio… Pierre Boulez et moi nous sommes
revus par la suite, nous en avons reparlé, finalement Pierre-Laurent Aimard aura
été le premier pianiste de l'Ensemble l’année suivante.
B.S. : Ne regrettez-vous pas de n’avoir pas intégré l’Ensemble Intercontemporain ?
J.F.H. : J’ai toujours joué beaucoup les musiques
contemporaines. Je ne regrette donc rien. Une œuvre qui m’a marqué que j’ai
jouée l’année dernière et que je vais reprendre à Perpignan en novembre, est la
grande pièce de Helmut Lachenmann Sérynade,
qui est, à mon avis, une page magistrale. En juin dernier, j’ai créé dans le
cadre du festival ManiFeste de l’Ircam Soli
pour piano et live electronic de Yan Maresz, qui est en
train de la développer parce que je la trouve un peu trop courte.
B.S. : Pour en revenir à la direction d’orchestre, en quelles
circonstances avez-vous abordé cette carrière ?
J.F.H. : J’ai commencé à diriger non pas comme un hobby, et je
me suis immédiatement pris au jeu. C’est le ministère de la Culture qui à
l’époque m’a demandé si je serais intéressé de reprendre l’Orchestre de Chambre
Nouvelle Aquitaine (OCNA), à l’époque Orchestre Poitou-Charentes, plus ou moins
sous l’aspect piano-direction artistique. Je n’ai jamais non plus tout
entrepris pour diriger, je le faisais à droite à gauche, restant peut-être trop
modestement à ma place entre ce que je fais en direction qui me plaît beaucoup,
ce que je fais au piano qui me plaît aussi beaucoup… J’essaye d’engager des projets
que je peux encore réaliser, voilà tout.
B.S. : Depuis combien de temps êtes-vous à la tête de l’Orchestre
de Chambre Nouvelle Aquitaine ?
J.F.H. : J’ai été nommé en 2000. Cet orchestre était fait pour
moi, qui n’étais pas chef. J’y fais de la programmation, j’invite beaucoup de
chefs malgré le peu de productions que nous programmons. J’en ai fait venir de
toutes les générations, et ils sont généralement très contents, car j’ai essayé
de porter cet ensemble au meilleur niveau. Ce qu’il est possible de mesurer à
l’écoute du CD Messiaen que nous venons de publier chez Mirare, Des Canyons aux Etoiles (1). Les
musiciens de l’orchestre sont de vraies pointures ! Ce qui me permet
d’imaginer des programmations de haute exigence, de voir comment une vie
d’orchestre peut s’organiser, être un outil de territoire complètement démarqué
de ce qui se pratique dans les grandes métropoles, et je suis content parce que
nous sommes arrivés à mettre en place quelque chose de exceptionnel.
B.S. : L’OCNA n’a pas encore été labellisé « National »
J.F.H. : Nous attendons que la Région Nouvelle Aquitaine
restructure l'équilibre des formations et ensembles qui y agissent, chacun avec
leur effectif et leurs répertoires spécifiques.
Notre discographie se démarque de ce qui se fait par ailleurs, avec
notre premier CD Falla qui avait très bien accueilli, réunissant les Tréteaux de Maître Pierre, la version primitive de L’Amour sorcier, puis le CD avec le Kammerkonzert
d’Alban Berg, un disque de musique américaine original, maintenant Messiaen, nous
avons gravé l’intégrale des Concertos
pour piano de Beethoven que j’ai dirigée du piano, un disque Ravel à paraître
l’année prochaine… Nous construisons ainsi un beau cheminement, toujours avec
le label Mirare.
B.S. : Le disque est-il pour vous un aboutissement ?
J.F.H. : Nous n’enregistrons que des œuvres que nous avons
jouées. Je ne fais pas de disques de circonstance. Nos gravures correspondent à
un vécu. Il s’agit donc du couronnement d’un travail de longue haleine, un état
des lieux de l’orchestre à un déterminé. Notre discographie démontre combien
l’orchestre a progressé, bien que je pense que les premiers disques - Falla,
Berg -, restent d’actualité.
B.S. : Avec votre enregistrement de Des Canyons aux Etoiles de Messiaen, œuvre que vous avez beaucoup
jouée et dirigée, on a l’impression que depuis que le CD était sur le point
d’être commercialisé, vous êtes invité à la jouer davantage…
J.F.H. : Oui, je l’ai en effet beaucoup dirigé. Mais pas
encore à Paris. Je ne sais pas si la Philharmonie voudra programmer cette
grande œuvre avec nous. Nous avons des concerts prévus dans les deux saisons
qui viennent pour lesquels nous avons notamment proposé le Messiaen.
B.S. : Le corniste soliste de l’enregistrement de Des Canyons aux Etoiles est extraordinaire...
J.F.H. : Japonais vivant à Paris, Takénori Némoto est le
corniste solo de l’orchestre. Il est aussi professeur de cor au Conservatoire
de Bordeaux, et il dirige notamment son ensemble Musica Nigelia, en outre il
est directeur d’un festival en Picardie…
B.S. : La programmation et le choix des artistes invités sont totalement de votre responsabilité. Combien de concerts donnez-vous chaque année avec l’OCNA ?
J.F.H. : Une petite trentaine pour cinq ou six grands programmes,
ce à quoi il convient d’ajouter des invitations dans les institutions et les
festivals, des enregistrements. La subvention est répartie entre l’Etat et la
Région. Nous avons une belle salle, mais ses disponibilités sont relativement
limitées vu son statut de Scène Nationale
à vocation généraliste. Nous nous y produisions quatre fois par an, mais
maintenant seulement trois fois... Le TAP est certainement l'une des salles
françaises les plus propices à la musique symphonique. Notre budget est d’à
peine deux millions d’euros, le plus modeste de toutes les formations en France
au regard de notre activité et de notre niveau. Je dirige aussi des orchestres
en région, ainsi qu'à l’étranger, ... J’ai un beau projet avec l’ONCA pour
l’année prochaine, la trilogie des films muets de Luis Buñuel mis en musique par
le compositeur franco-argentin Martin Matalon, L’Age d’or, Un Chien
andalou et Les Hurdes, et tant d’autres desseins qui me tiennent à cœur… Il
nous faut aussi enregistrer des œuvres du répertoire romantique. Nous n’en
avons jamais gravé, étant plutôt axés sur le XXe siècle. Nous allons
peut-être commencer par Schumann, puis ce sera Mendelssohn, qui nous va très
bien aussi.
B.S. : Et sur le plan pianistique ? Vous avez là aussi évoqué
Schumann…
J.F.H. : Oui. Je fais aussi beaucoup de musique contemporaine. Mais le répertoire, le piano historique m’intéressent particulièrement, particulièrement le piano romantique, pas le pianoforte ni même le piano de la première partie du XIXe siècle, c’est un autre métier. Mais je tiens à enregistrer sur mon piano de 1868, le Chickering & Sons d’Henriette Puig-Roget, dédicataire et créatrice des Préludes de Messiaen en 1931. J’ai envie de le faire dès 2023, et je suis en train de réfléchir sur le répertoire. Cet instrument correspond à l’émergence du piano moderne en même temps que ceux de la marque Steinway & Sons, mais avec un système de cordes parallèles, et toutes les personnes qui l’écoutent sont littéralement saisies. Franz Liszt en a eu deux, et il a été le piano de plusieurs compositeurs de l’époque. Très peu d’exemplaires ont été préservés en Europe en état d’être joués. Voilà cinq ans, la fille d’Henriette Puig-Roget me téléphone et me dit : « j’hésite à vendre ce piano parce qu’il a une valeur sentimentale, et en même temps il est regrettable qu’il ne serve pas. » Je suis allé le voir et je lui ai dit : « Ok, on y va ! » Depuis, le piano m’appartient, et il est chez moi. Je le joue souvent en concert, y compris à La Roque d’Anthéron, au Festival Ravel, Bertrand Chamayou l’a joué en duo avec Sol Gabetta au violoncelle. J’ai conçu un programme Ravel que j’ai notamment donné le 22 septembre au Festival de l’Orangerie de Sceaux…
Propos recueillis par Bruno Serrou
Paris, le 13 septembre
2022
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