Paris. Théâtre des Champs-Elysées. Lundi 3 octobre 2022
Orchestre en résidence du Théâtre des Champs-Elysées, l’Orchestre Philharmonique de Rotterdam (Rotterdams Philharmonisch Orkest) et son directeur musical Lahav Shani ont proposé lundi 3 octobre un programme placé sous la figure tutélaire de Johannes Brahms, une symphonie du maître de Hambourg étant mise en regard d’un concerto de l’un de ses protégés, Antonín Dvořák.
Plus classique et retenu que le Concerto pour violoncelle et orchestre en si mineur op. 104 de 1895, et surtout infiniment moins couru que ce dernier, le Concerto pour violon et orchestre en la mineur op. 53 composé par Dvořák en 1879 est plus rarement programmé. Composé pour le même violoniste que celui de Brahms et ceux de Bruch, Joseph Joachim à qui il est dédié et qui demanda à deux reprises des modifications à son auteur, en 1880 et en 1882, tant les difficultés d’exécution défiaient même la dextérité de son dédicataire, et qui continuent à refroidir quantité de violonistes aujourd’hui encore tant il requiert une excellente maîtrise technique du fait de nombreux procédés d’écriture, registre aigu, arpèges, octaves, tierces, trilles, doubles cordes, etc. Si bien que nombre de violonistes se refusent de le jouer, et pas des moindres, puisque même Joachim y renonça, si bien que l’œuvre dut attendre le 14 octobre 1883 pour être créée à Prague avec en soliste Ondříček František, futur violoniste de l’empereur austro-hongrois. Le violon intervient dès le début, l’orchestre n’entrant que plusieurs mesures plus tard, tandis que dans l’Adagio central l'instrument solo est tour à tour soliste et accompagnateur, et que l’Allegro giocoso final prend le tour d’une étude de rythmes et de danses tchèques.
Hilary Hahn, soliste invitée de l’Orchestre Philharmonique d’Amsterdam, possède indubitablement la technique, le souffle et la vélocité aptes à répondre aux exigences de la partition, ainsi que le son riche, généreux, fruité et l’ampleur du nuancier qui lui permet tout autant d’émerger des tutti de l’orchestre et de s’y fondre. Si l’on ne peut qu’admirer sa performance, il n’en demeure pas moins que l’on reste froid devant une telle virtuosité sans fioriture tant il y manque de musicalité, d’engagement, de sensibilité de la part de l’artiste états-unienne, que l’on finit par perdre le fil d’une œuvre certes d’esprit classique mais aussi d’essence romantique, donc expressive et, surtout, nostalgique. Performance virtuose mais distanciée qui aura néanmoins convaincu une large part de l’auditoire, et aura valu à la violoniste une longue ovation qui l’a conduite à donner trois bis, tous tirés des Sonates et Partitas de Jean-Sébastien Bach.
En seconde partie, l’Orchestre Philharmonique de Rotterdam a offert une Symphonie n° 1 en ut mineur op. 68 (1876) de Johannes Brahms au cordeau. Sous la conduite précise et brûlante du directeur musical de la phalange batave, l’œuvre du protecteur de Dvořák composée trois ans avant le Concerto pour violon de ce dernier a été vaillante, virtuose, énergique, d’une tension saisissante, souple, aérée, mais aussi terriblement dramatique. L’orchestre, avec un effectif de cordes plus léger que de coutume (14-12-10-8-6), a permis de distinguer de façon claire la variété des couleurs, les longues phrases caractéristiques du style de Brahms, l’élasticité des lignes, l’éclat des textures, la limpidité des voix, tout en soulignant la rondeur des graves qui constituent l’assise harmonique dont l’appui chez le compositeur allemand se situe au creux des timbales. Une interprétation de feu particulièrement séduisante, d’une profondeur de pensée impressionnante, fruit d’une osmose apparemment parfaite entre un jeune chef et un orchestre en très grande forme.
Bruno Serrou
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