Paris, Salle Pleyel, mardi 3 juin 2014
Jonathan Nott et le Bamberger Symphoniker. Photo : (c) Bamberger Symphoniker
En
cette année du cent cinquantenaire de la naissance de Richard Strauss les
occasions sont rares à Paris de plonger dans l’univers sensuel et
délicieusement mélancolique du compositeur le plus lyrique du XXe siècle. Considérant
ce que nous a donné à écouter Jonathan Nott à la tête de ses somptueux
Bamberger Symphoniker, l’on ne peut que regretter que son concert de mardi
n’ait pas été monographique.
Violeta Urmana. Photo : DR
En
effet, quoique Britannique, Jonathan Nott s’avère un brillant continuateur du
Bavarois Eugen Jochum qui se produisait très souvent avec la phalange bavaroise
dont il fut le directeur musical de 1968 à 1973. Nott, qui en est le
« patron » depuis quatorze ans, dirige en effet de façon pénétrante
la musique germanique, particulièrement austro-bavaroise. « Les Bamberger
Symphoniker sont fantastiques, se félicitait Jonathan Nott lorsque je le
rencontrais en 2005. Fondé en 1946, Philharmonie d’Etat de Bavière depuis 2003,
cet héritier de l’Orchestre Philharmonique Allemand de Prague jouit d’un
profond atavisme "Mittle Europa". S’il n’a pas la moiteur de ses
confrères germaniques ni les sonorités de diamant des américains, il est plus
engagé, ses couleurs sont plus chaudes, rondes et rutilantes, le son toujours
droit, et il est capable des nuances les plus fines. » Ouvert à un très
large répertoire, jusqu’au plus contemporain qu’il dirige avec une constante générosité,
ce que les Français ont pu apprécier lorsqu’il était directeur musical de
l’Ensemble Intercontemporain et comme peuvent en juger les discophiles avec
entre autres son intégrale chez Warner de l’œuvre pour orchestre de György
Ligeti, Nott s’est rapidement imposé parmi les grands chefs symphonistes d’aujourd’hui,
notamment par une remarquable intégrale des symphonies de Gustav Mahler, dont
une inoubliable Neuvième qu’il a
dirigée avec ce même orchestre bavarois dans cette même Salle Pleyel voilà
quelques années.
Richard Strauss (1864-1949). Photo : DR
Cette fois, c’est avec la Première Symphonie « Titan »
qu’il est venu à Paris dont il a offert une interprétation de tout premier
plan. Mais le héros de la soirée était non pas Mahler mais son grand
contemporain et confrère, le compositeur chef d’orchestre Richard Strauss, dont
un poème symphonique et six lieder constituaient la première partie du
programme. Un programme qui s’est ouvert sur une interprétation de feu du poème
symphonique Don Juan op. 20 de 1888, première
page que Strauss consacra au genre créé par Franz Liszt et qu’il allait porter
à son apogée. Jonathan Nott n’a pas tergiversé, portant cette page somptueuse
jusqu’à la fusion, la dirigeant en douze minutes alors que la partition indique
cinq minutes de plus. Ce qui n’a pas empêché les grands solos de violon et de
bois de sonner avec délectation et une sensualité exquise et émouvante. L’Orchestre
Symphonique de Bamberg, constitué d’une centaine d’authentiques virtuoses
sonnant comme un seul, avec un fondu de couleurs et de timbres moirés et
ductiles. Cette assise sculpturale a enveloppé quarante minutes durant la
voix charnue et étonnamment plus maîtrisée que dans ses dernières prestations à
l’Opéra de Paris. La voix est posée, la ligne de chant bien tenue, rien ne
paraît cette fois forcé et contraint. En fait, à l’exception de Verführung op. 33/1 avec lequel la
soprano lituanienne a ouvert la série de sept lieder avec orchestre de Strauss,
qui a laissé craindre que la cantatrice ait persévéré dans son chant criard et
relâché. Mais dès An die Nacht op. 68/1,
à l’écriture pourtant tendue et mettant l’orchestre en avant, la ligne vocale
s’est avérée bien tenue, le timbre rayonnant, l’interprétation généreuse, bien
que la diction ne soit pas toujours claire, voire défectueuse. Frühlingsfeier op. 56/5 et surtout les
quatre lieder de l’Opus 27 qui
comptent parmi les pages les plus célèbres de Richard Strauss, particulièrement
le premier, Ruhe, meine Seele, et le
troisième, Morgen, ont été délicieusement
chantés, soutenus il est vrai par un orchestre magnifique de sonorité et de
fluidité. Pour conclure cet hommage au plus grand mélodiste allemand du XXe
siècle, Violeta Urmana a offert en bis le bref mais ardent Zueignung op. 10/1.
Bruno Serrou
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