Paris, Opéra national de Paris-Bastille, lundi 2 juin 2014
La Traviata est l’un des opéras les
plus célèbres et ressassés du répertoire. Chef-d’œuvre incontestable et
incontesté, cet ouvrage créé à Venise en 1853 peut subir tous les traitements
imaginables il n’en garde pas moins son essence. Et c’est heureux, car l'on déchante à Bastille sept ans
tout juste après la remarquable proposition, ravageuse et décoiffante, de
Christoph Marthaler au Palais Garnier, qui, en juin 2007, suscita certes la
controverse – l’on se souvient de la tondeuse à gazon dans la ferme refuge de
Violetta Valery et Alfredo Germont –, mais qui avait le mérite de chercher
judicieusement à exalter la pérennité du drame inspiré de la Dame aux camélias d’Alexandre
Dumas fils – la pute au grand
cœur qui accepte son triste sort et se rachète dans la rédemption par l’amour –
remarquablement mis en musique par Verdi, le metteur en scène bernois signant pour la
circonstance une véritable mise en abîme du mythe de la mondaine au cœur
pur qui n’avait cependant rien d’une actualisation stricto sensu.
Giuseppe Verdi (1813-1901), La Traviata. Francesco Demuro (Alfredo), Diana Damrau (Violetta). Photo : (c) Opéra national de Paris/Elisa Haberer
La « nouvelle » production de La Traviata mise en scène par Benoît
Jacquot présentée cette fois à Bastille retourne à la tradition héritée du XIXe
siècle, respectant la volonté de Verdi de placer l’action à l’époque de la
composition, donc contemporaine de la genèse de l’œuvre, avec robes à
crinolines signées Christian Gasc, servante venue des colonies, lit géant
pour parties carrées demeurant vide de tout débat – la « Dévoyée »
ira jusqu’à agoniser puis mourir sur un étroit divan planté au pied de son
grand lit – escaliers monumentaux, chêne immense digne de celui à l’ombre
duquel saint Louis rendait justice, le tout se perdant sur le vaste plateau de
Bastille, au point que Sylvain Chauvelot scinde en deux son décor du deuxième
acte, l’action de chacun des deux tableaux se déroulant sur l’une des moitiés
de la scène, la maison de campagne de Violetta à jardin et l’appartement de l’amie
Flora côté cour, chaque moitié restant dans la pénombre durant le déroulement
de l’action de l’un puis de l’autre tableaux, ce qui vaut aux figurants du
second de rester une demi-heure debout ou assis (pour les plus chanceux) sans
broncher en attendant leur tour…
Giuseppe Verdi (1813-1901), La Traviata, Acte II, Tableaux 2. Photo : (c) Opéra national de Paris/Elisa Haberer
Il eut mieux valu d’ailleurs qu’il restent
ainsi, car lorsqu’ils se mettent à bouger, c’est pour voir apparaître une
guirlande noire de choristes serrés comme des sardines sur le praticable et le
grand escalier qui y accède, tandis qu’au pied de ce dernier, les inévitables
travestis qui « font si modernes » envahissent l’avant-scène réunissant
six bohémiennes barbues (merci Conchita Wurtz, vainqueur de l’Eurovision de la
chanson 2014) et autant de toreros aux courbes féminines.
Giuseppe Verdi (1813-1901), La Traviata. Diana Damrau (Violetta), Ludovic Tézier (Giorgio Germont), Acte II, Tableau 1. Photo : (c) Opéra national de Paris/Elisa Haberer
Dans les vastes espaces ainsi aménagés au sein d’éléments
de décors plus ou moins laids, les mouvements se font lourds et la direction d’acteur
se réduit forcément au service minimum. Les chanteurs font ce qu’ils peuvent,
noyés dans cette surface quasi sidéral, entrées et sorties leur demandant de
longues odyssées à travers le plateau. Cette production vaut principalement
pour son troisième acte, grâce à la belle performance dramatique et vocale de
Diana Damrau, bouleversante de bout en bout, certes, mais qui se libère peu à
peu au cours des actes comme si elle cherchait (judicieusement) à se préserver
pour l’acte final. A ses côtés, l’Alfredo manquant de charisme à la voix légère
et tendue mais manquant de chair de Francesco Demuro. Face au couple d’amants,
l’extraordinaire Germont-père de Ludovic Tézier, impérial dans ce rôle peu
flatteur pour la gente masculine auquel il donne noblesse et grandeur de sa
voix suprêmement chantante et gorgée de lumière.
Giuseppe Verdi (1813-1901), La Traviata, Acte II, Tableau 2. Photo : (c) Opéra national de Paris/Elisa Haberer
Les seconds rôles sont tenus
de façon idoine, particulièrement la Flora d’Anna Pennisi, l’Annina de Cornelia
Oncioiu, le Gaston de Gabriele Mangione et le Grenvil de Nicolas Testé. Les chœurs
sont bien tenus, et il convient de saluer l’absence de décalages – il faut dire que la mise en scène serre leurs rangs au
point d’en faire une entité pour le moins compacte. Si l’orchestre fait lui
aussi un sans-faute, bien coloré et ne couvrant pas les chanteurs, il
convient de l’en féliciter, car la direction de Daniel Oren – directeur musical
désigné de l’Opéra d’Israël, où il succède à David Stern – est envahissante, avec force gestes amples et appuyés jusqu'à la caricature, au
point de gêner l’écoute et rythmiquement molto
pesante, faisant excessivement ressortir les houm-pa-pa caractéristiques de la première maturité de Verdi dont La Traviata est l’un des joyaux.
Bruno Serrou
Avez-vous vu la version particulièrement glauque réalisée à Bruxelles en 2013 ? Avec les prostituées seins nus, la pédophilie à peine suggérée et la fellation dans un décor de containers ? Je crois que j'aurais de loin préféré l'Opéra de Paris !
RépondreSupprimer