L’altiste
est à la musique ce que le Belge est à la littérature. Les histoires d’altistes
sont aussi nombreuses et riches que les belges. Tant et si bien que rencontrer un altiste
est toujours un véritable bonheur. Il faut dire que, pendant longtemps, l’alto était
confiné au second rôle et avait de ce fait le loisir de rêvasser et d’imaginer
des histoires saugrenues avec l’objectif plus ou moins avoué de
déstabiliser ses voisins les plus proches au sein de l'orchestre, les violonistes et les violoncellistes, voire les bois… Au point d’ailleurs que les altistes sont
devenus avec une volonté clairement affirmée les bouc-émissaires favoris de leurs confrères. Il fallait bien un instrument, et c'est l'alto, généreux et altruiste, qui s’y est collé.
Or, comme les altistes ont justement un sens aigu de l’humour et de l’autodérision
hors norme, ce sont eux qui racontent le plus volontiers les blagues qui les concernent.
Petite annonce : excellent quatuor à
cordes cherche deux violons et un violoncelle… Et du quatuor à cordes dont il est l'assise, Jacques
Borsarello en a beaucoup fait. D’abord comme altiste du Quatuor Lowenguth, puis
au sein du Quatuor Razumowski, avant de réduire la voilure en fondant un Trio à
cordes Borsarello avec ses frères Jean-Luc (violon) et Frédéric (violoncelle). C’est
avec les Razumowski que je le rencontrais voilà vingt-cinq au cours d'un festival
dont j’étais cet été-là l’administrateur, l’Académie de Navarrenx dans le
Béarn, dont le siège est situé château d’Audaux où il était alors professeur avec ses
trois collègues du quatuor et dont il est désormais le directeur artistique…
Jacques Borsarello et deux de ses amis. Photo : (c) Bruno Serrou
Professeur d’alto au Conservatoire de Versailles,
directeur fondateur de l’association franco-européenne l’Alto.org, musicien free-lance
très apprécié des grands orchestres parisiens, particulièrement l’Opéra de
Paris, mais aussi l’Orchestre de Paris et le National de France, Jacques
Borsarello, en bon altiste qui se respecte, a une cinquième corde à son arc, l’écriture.
Sans affirmer, à contrario de ses confrères qui aiment à se moquer des
altistes, que c’est celle qu’il maîtrise le mieux, force est de constater que
cet excellent musicien manie la plume aussi bien que l’archet. Son art de
la narration est en effet digne d’un conteur occitan, il a réuni quinze nouvelles dans un
recueil qu’il a intitulé Concert
champêtre. Il y conte avec délicatesse et dans un style recherché mais coulant
avec aisance et naturel tant l'écriture ne reflète pas l’effort, ce qui semble
émaner de sa propre expérience ou de son observation de nombre de ses confrères
qu’il côtoie. Toutes ces tranches de vie exhalent le quotidien des musiciens et
des milieux artistiques, et touchent le lecteur par l’impression de vécu qui en
émane. Certaines nouvelles sont dignes de Pagnol, et l’on se surprend de les
lire avé l’assent.
Le lecteur ne peut qu’être souvent
bouleversé, comme avec cette histoire de métronome qui raconte sa vie, ses angoisses,
ses amours pour une jeune virtuose prénommée Marguerite, qui pourrait être
Mademoiselle Long, et son amitié avec un grand-queue Pleyel, celle de Sergio,
pianiste si génial mais que la vie a tant malmené qu’il finit piano-bar et que
le narrateur, son ami d’enfance moins talentueux qui a réussi à assurer sa
carrière, n’ose pas aller saluer de peur de le déstabiliser. Ou encore cet
arrière-petit-fils naturel du grand Paganini qui ressemble tant à son
arrière-grand-père que tout le monde dans son village d’Italie le croit le virtuose-revenant
alors que lui-même ne sait pas de qui lui vient cette admiration. Et ce professeur
qui passe les épreuves du Certificat d’aptitude, ou encore cette soirée en
quatuor donné en smoking blanc dans une somptueuse demeure du Champs-de-Mars que
tous les Parisiens peuvent facilement identifier (j’y passais moi-même souvent devant en promenant mon
adorable bobtail Fafner que les touristes japonais se plaisaient à photographier
comme s’ils voulaient le cloner une fois de retour chez eux) dont les hôtes ont
les oreilles titillées par une belle musique qu’ils n’identifient pas avant de voir
leur attention détournée par une nourriture plus terrestre. Ou encore cette
jeune fille qui, au beau milieu d’un stage d’été, apprend la mort de son père
et qui rapporte au narrateur l’histoire de ce musicien hors pair confronté à
une dictature qui le musela et le brisa...
Autant d’histoires d’âmes que Jacques
Borsarello écrit avec un sens du drame et de la construction qui font de
ces pages de véritables saynètes que l’on ne peut lâcher avant d’avoir
terminé le livre tant les nouvelles semblent authentiques. L’auteur réussit
sans crier gare la gageure d’émouvoir l’air de rien ses lecteurs parfois jusqu’aux
larmes. Un livre qui ne peut que faire aimer la musique et les musiciens, même
à ceux qui ont le cœur et l’oreille durs comme la pierre.
Bruno Serrou
Jacques
Borsarello, Concert champêtre. Nouvelles. Editions Symétrie (192 p.),
12,50 €
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