Genève (Suisse), Grand Théâtre, vendredi 28 février 2014
Giuseppe Verdi (1813-1901), Nabucco. Photo : Grand-Théâtre de Genève, DR
Quelques semaines après les
festivités du bicentenaire Giuseppe Verdi, le Grand Théâtre de Genève présente
une production de Nabucco venue d’Allemagne
mais retravaillée pour l’occasion.
Giuseppe Verdi (1813-1901), Nabucco. Photo : Grand-Théâtre de Genève, DR
Troisième opéra de Verdi, Nabucco est l’un des ouvrages lyriques
les plus populaires dans le monde. L’œuvre faillit pourtant ne jamais voir le
jour. En effet, en panne d’inspiration, écrasé par les coups du destin -, le
compositeur lombard venait de perdre à quelques mois d’intervalle ses deux
enfants et sa femme -, Giuseppe Verdi est au bord du gouffre lorsqu’il se voit
confier par son imprésario le livret d’un opéra titré Nabuchodonosor
qu’avait refusé de mettre en musique son confrère allemand Otto Nicolaï.
Sous le titre Nabucco, ce sera son
premier triomphe.
Giuseppe Verdi (1813-1901), Nabucco. Photo : Grand-Théâtre de Genève, DR
Créé le 9 mars 1842 à la Scala de
Milan où il est repris cinquante-sept fois en moins de trois mois avec un
succès considérable, tiré du Livre de
Daniel de l’Ancien Testament, Nabucco connaît dans les deux années qui suivent une cinquantaine
de productions différentes en Italie, avant de se propager rapidement à travers
le monde. « Ma carrière a vraiment commencé avec Nabucco », conviendra Verdi
quelques années plus tard. Ayant pris la ferme résolution de ne
plus jamais composer après le fiasco de l’opéra Un giorno di regno deux
ans plus tôt, Verdi, sous le choc de la lecture des vers de Temistocle Solera Va, pensiero, sull’ali dorate (Va, pensée, sur tes ailes dorées) qui
« formaient presque une paraphrase de la Bible, dont la lecture m’était
familière », revient sur sa décision et décide de se remettre au travail.
Inspirée du Psaume CXXXVII, cette
cantilène, sombre et élégiaque chantée par les Hébreux prisonniers à Babylone qui
débute sur un long unisson du chœur à mi-voix, devient très vite l’un des
passages les plus universels de la musique occidentale. Elle faillit même devenir
l’hymne de l’Unité italienne qui se libérait alors du joug autrichien. Va Pensiero a été́ repris
par un public en larmes à Rome en 2011 quand le chef Riccardo Muti avait dénoncé́
les lois de Berlusconi. Le
climat général de Nabucco est cataclysmique
et imposante, d’une redoutable efficacité psychologique, tandis que la partition
préfigure l’art entier du compositeur, de Macbeth
jusqu’à Otello.
Giuseppe Verdi (1813-1901), Nabucco. Photo : Grand-Théâtre de Genève, DR
C’est ce vers quoi tend la
direction de John Fiore, le chef new-yorkais ancre avec à-propos la partition
dans la généalogie verdienne, allégeant la rythmique, faisant chanter
l’orchestre tout en veillant à ne jamais couvrir les voix et lui instillant un
impact dramatique conquérant. L’Orchestre de la Suisse romande répond à ses
sollicitations avec dynamisme et onctuosité, tandis que le Chœur du Grand
Théâtre brille, ses timbres se fondant avec ductilité dans ceux des
instrumentistes pour brosser un Va,
pensiero remarquable, du pianissimo
le plus aérien au fortissimo le plus cinglant.
A l’instar de Pier Luigi Pizzi et Iannis Kokkos, deux scénographes devenus
metteurs en scène, et malgré la présence d’une collaboratrice à la mise en
scène, Andrea K. Schlehwein, Roland Aeschlimann signe une direction d’acteur excessivement
statique à la gestique engoncée dans une production plus esthétisante que
théâtrale conçue en 2001 pour l’Opéra de Francfort et entièrement repensée pour
Genève, concluant l’action sur le double suicide des filles de Nabuchodonosor,
l’enfant esclave Abigaille bel et bien prévue par Verdi, et la légitime Fenena,
qui devrait normalement convoler en justes noces hors scène avec son promis Ismaël. A l'avant-scène, un curieux rocher accroché à une énorme poulie pour le moins envahissante est présente du début à la fin du spectacle, tandis que le plateau est successivement occupé par un mur, celui des lamentations et du temple détruit par les Babyloniens, puis par un immense escalier en forme de pyramide, tandis que l'Etoile de David enserre les gorges des Hébreux.
Giuseppe Verdi (1813-1901), Nabucco. Photo : Grand-Théâtre de Genève, DR
La distribution genevoise est dominée par la mezzo-soprano franco-marocaine Ahlima
Mhamdi, touchante Fenena, et la soprano hongroise Csilla Boross, Abigaille
hallucinée à la voix d’airain mais détimbrant plus ou moins. Quoiqu’usée, celle
du baryton italien Lucio Gallo, Nabucco géant aux pieds d’argile, reste
séduisante, tandis que le ténor italo-américain Leonardo Capalbo un Ismaël
séduisant. Mais la basse italienne Roberto Scandiuzzi, Zaccaria en 1995 dans ce
même Grand Théâtre de Genève, n’a plus vraiment les moyens du rôle, et la basse
arménienne Knachik Matevosyan déçoit en Grand Prêtre.
Bruno Serrou
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire