Paris, Salle Pleyel, mardi 19 mars 2014
Sasha Cooke (mezzo-soprano), Michael Tilson Thomas, le San Francisco Symphony, le Chœur de l'Orchestre de Paris et la Maîtrise de Paris. Photo : (c) Salle Pleyel, DR
Entre un Rosenkavalier
de Richard Strauss présenté en version concertante par la troupe de l’Opéra d’Etat
de Bavière dirigée par Kirill Petrenko au Théâtre des Champs-Elysées dans le
cadre du cent-cinquantenaire de la naissance du compositeur bavarois, et une Symphonie n° 3 en ré mineur de Gustav Mahler
programmée Salle Pleyel, le choix s’avérait pour le moins ardu, mardi. Finalement,
après avoir littéralement joué à pile ou face dans les jours qui ont précédé la
date butoir, je me suis retrouvé à Pleyel…
Michael Tilson Thomas. Photo : DR
Et je n’ai pas eu à le regretter (même si un Chevalier à la rose n’eut pas été pour
me déplaire). Trois jours après d’impressionnants Gurre Lieder d’Arnold Schönberg dans cette même Salle Pleyel par
les forces de Radio France magistralement dirigées par le Finlandais Esa-Pekka
Salonen, retrouver la plus longue des symphonies de Mahler aux effectifs tout
aussi touffus et foisonnants (1) et d’une durée quasi similaire à la cantate de
Schönberg interprétée cette fois par l’une des grandes phalanges des Etats-Unis
et dirigée par le chef le plus payé au monde, s’annonçait porteur d’enseignements.
Gustav Mahler (1860-1911), en 1895. Photo : DR
Composée en 1895-1896, créée à Krefeld le 9 juin
1902, la Troisième Symphonie est la
plus développée de toutes les œuvres de Gustav Mahler, avec ses cent dix
minutes de musique déployées en six mouvements, le premier constituant à lui
seul la première des deux parties que compte la partition, ce mouvement ayant la
dimension et la structure d’une symphonie à part entière. Originellement conçue
en sept mouvements (le septième sera intégré à la symphonie suivante), cette œuvre
immense plonge dans la genèse de la vie terrestre, avec un morceau initial narrant
l’émergence de la vie qui éclot de la matière inerte, magma informe aux
multiples ramifications et en constante évolution. Cette partie liminaire de
plus d’une demie heure contient en filigrane les cinq mouvements de la seconde
partie, cette dernière évoluant par phases successives dans un cadre toujours
plus évolué de la Création, les fleurs, les animaux, l’Homme et les Anges,
enfin l’Amour. Le royaume des esprits ne sera atteint que dans le finale de la Quatrième Symphonie fondé sur le lied Das himmlische Leben (la Vie céleste) puisé dans le recueil de
chants populaires du Wunderhorn originellement
conçu pour conclure cette Troisième.
Photo : (c) Véronique Lentieul, DR
Du chaos originel jusqu’aux déchirements de l’Amour
qui concluent la symphonie sous forme d’apothéose sur des martèlements frénétiques
de quatre timbales comme autant de battements de deux cœurs humains épris l’un
de l’autre et transcendés par l’émotion, l’évolution de l’œuvre est admirablement
menée par Michael Tilson Thomas, même si les diverses séquences qui s’enchevêtrent
dans le Kräftig (l’Eveil de Pan) initial sont parfois trop âprement tuilés, ce qui introduit
un tour insensiblement haché, mais les élans insufflés par le chef californien
portent en germes l’extraordinaire expressivité des mouvements qui suivent.
Sasha Cooke (mezzo-soprano), Michael Tilson Thomas et le Sans Francisco Symphony. Photo : (c) Véronique Lentieul, DR
Cela dès le Menuetto
(Ce que me content les fleurs des champs)
où Tilson Thomas répond précisément aux intentions de Mahler, qui entendait ménager
ici une plage de repos après les déchirements et soubresauts qui précédaient.
Le somptueux Comodo scherzando (Ce que me content les animaux de la forêt) avec cor de
postillon obligé dans le lointain brillamment tenu du fond du second balcon par
Mark Inouye, trompette solo du San Francisco Symphony, a été d’un onirisme envoûtant
auquel répondaient avec une fraîcheur communicative des bois gazouillant tandis
que la section des cors, pas toujours sûre par ailleurs, le soutenait dans un pianissimo surnaturel. L’émotion atteignait
une première apnée dans le Misterioso
(Ce que me conte l’Homme) du lied O Mensch sur un poème extrait d’Ainsi parlait Zarathoustra de Friedrich Nietzsche, avec un orchestre grondant
dans le grave avec une délicieuse douceur enveloppant la voix délectable de la
mezzo-soprano états-unienne Sasha Cooke placée à la gauche du chef, et introduisant
à la joie des Anges - Lustig im Tempo und
keck im Ausdruck (gai dans le tempo et guilleret dans l’expression) -,
femmes et enfants mêlés tenus avec ferveur par des membres du Chœur de l’Orchestre
de Paris et par la Maîtrise de Paris. Enfin, l’adagio final, Langsam (Ce que me conte l’Amour), où Tilson Thomas retient son souffle et
son orchestre dans un crescendo à la conduite suffocante qui aura permis d’atteindre
le comble de l’émotion dans un moment confondant de beauté, tour à tour
contenue et exaltée, le chef ménageant un immense et magistral rinforzando qui aura conduit à la
plénitude de l’amour conquis entre doutes et passions mais dans l’assurance de
l’accomplissement.
la brillante séction des cuivres du SFS. Photo : (c) Véronique Lentieul, DR
Sonnant fier et moelleux (cordes disposées selon
la formule premiers violons, violoncelles, altos, seconds violons et
contrebasses dans le prolongement des premiers et des violoncelles - à noter l’impressionnant
alignement des neuf cors à travers le plateau entier), montrant de temps à autres
de petites imperfections dans les attaques et les ensembles révélant de légers décalages,
ce qui rassure dans le fait que les musiciens d’orchestre nord-américains ne
sont pas infaillibles mais restent toujours d’une singulière homogénéité,
autant dans l’ensemble du groupe que côté pupitres solistes, avec de
remarquables individualités comme le tromboniste Timothy Higgins, mais aussi le
corniste Robert Ward, le violoniste Alexander Barantschik, etc. Le San
Francisco Symphony démontre ainsi combien l’entente avec Michael Tilson Thomas,
son directeur musical depuis dix-neuf ans, est totale.
Bruno Serrou
1) 4 flûtes/2 piccolos, 4 hautbois/cor
anglais, 3 clarinettes en si bémol/2 clarinettes en mi bémol/clarinette basse,
4 bassons/contrebasson, 8 cors, 4 trompettes/cor de postillon, 4 trombones, tuba,
2 groupes de 3 timbales, 2 glockenspiels, tambourin, tam-tam, triangle, cloches-tubes,
cymbale suspendue, cymbales frappées, caisse claire, grosse caisse, 2 harpes, cordes
(16-14-12-10-8)
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