Paris, Salle Pleyel, jeudi 27 mars 2014
Giovanni Antonini. Photo : DR
Voilà une quinzaine d’années,
cherchant à ouvrir son répertoire à toute l’histoire de la musique orchestrale,
du XVIIe siècle à aujourd’hui, à l’instar de l’Orchestre du
Concertgebouw d’Amsterdam avec Nikolaus Harnoncourt, l’Orchestre de Paris avait
mis en résidence le flûtiste chef d’orchestre hollandais Frans Brüggen pour la
musique baroque et classique. L’expérience ne fut pas convaincante, et ne dura
finalement qu’un temps limité.
Si l’expérience fit choux blanc,
ce n’est de toute évidence pas la faute de l’Orchestre de Paris. En effet,
hier, l’alliage a de toute évidence pris, avec Giovanni Antonini. Le temps d’un
programme, et le jeu à l’ancienne, la vitalité et l’énergie propres au classicisme
viennois ont imprégné les musiciens qui ont associé à ces particularités que l’on
trouve dans les ensembles spécialisés leurs vertus techniques, leurs sonorités moelleuses,
leur homogénéité de jeu et leur cohésion de groupe. Le flûtiste chef d’orchestre
italien, actuel directeur depuis 1989 d’Il Giordono Armonico, directeur
artistique du Wratislavia Cantans Festival en Pologne, a une approche décapante
des partitions qu’il aborde. Ses tempi
sont enlevés et contrastés, le jeu instrumental qu’il instille est brillant et
volubile. Antonini a su transmettre en un rien de temps ses conceptions à un
Orchestre de Paris plus virtuose et équilibré qu’autrefois.
Effectifs réduits (dix premiers
violons dans la première partie, douze dans la seconde), cordes de velours et
vents onctueux et basses charnues, la phalange parisienne a permis de découvrir
dans des conditions optimales une Ouverture
Olympia qui introduit une musique de scène pour la pièce éponyme de
Voltaire composée en 1792 par le Bavarois Joseph Martin Kraus, né la même année
que Mozart et mort quelques mois après lui, mais qui demeure quasi inconnu, du
moins en France. Eclipsé par Mozart, et à l’instar de Haydn, Kraus est un
parfait représentant du style allemand Sturm
und Drang (Orage et Passion) qui à
l’époque de l’équilibre classique fait le lien entre les excentricités du
baroque et les tumultes du romantisme, autant en matière musicale que littéraire.
Giorgio Mandolesi. Photo : (c) Orchdestre de Paris
Plus limpide et léger de texture, archets moins collés aux cordes, l’Orchestre
de Paris a immédiatement mis en relief les différences entre les deux exacts
contemporains, en allégeant sa trame sonore dans le Concerto pour basson KV. 191
(1774) de Mozart dont le soliste a été son premier basson, l’Italien Giorgio
Mandolesi, également professeur de fagott baroque au Conservatoire de Paris, dont
les chatoyances sonores et le jeu au cordeau formaient contraste avec la tenue
dégingandée et burlesque sur le devant de la scène.
Sol Gabetta. Photo : (c) Orchestre de Paris
Avec la violoncelliste argentine vivant à
Bâle Sol Gabetta, qui faisait cette semaine ses débuts à l’Orchestre de Paris, l’entente
soliste/chef/orchestre s’est avérée parfaite. Moins couru que le premier
concerto qui le précède de quelques quinze ans qui fut redécouvert en 1961,
mais surtout plus technique et mélodieux, le Concerto pour violoncelle et orchestre n° 2 en ré majeur Hob. VIIb.2
op. 101 de Joseph Haydn compte
parmi les grands concertos pour cet instrument, qui en compte malheureusement
peu. Le jeu flamboyant de Sal Gabetta, les sonorités ouatées et charnelles de
son violoncelle G.B. Guadagini de 1759, qui manque néanmoins légèrement de
puissance, ont été assimilées par Antonini qui a instillé à l’Orchestre de
Paris des textures aériennes laissant percer sans jamais le couvrir l’instrument
soliste, qui s’est parfaitement intégré aux tutti.
C’est un Mozart âgé de 12 ans qui a conçu à
Vienne la Messe solennelle en ut mineur KV.
139 dite Messe de l’Orphelinat, contemporaine des opéras la Finta giardiniera et Bastien et Bastienne. Cette œuvre est
créée dans la chapelle de la Nativité de Notre-Dame sise dans un orphelinat parrainé
par l’empereur Joseph II. Bien qu’il s’agisse de la première messe de Mozart, l’on
y trouve déjà une maîtrise incroyable de la forme et de l’écriture, tandis que
l’esprit est à la fois radieux et pathétique, qui préfigure déjà la Grande Messe de 1783 et le Requiem de 1791, qui seront composés
dans la même tonalité d’ut mineur. La partition requiert un petit effectif de
bois réduit à deux hautbois, les cuivres quatre trompettes et trois trombones
sans cor, timbales, cordes et orgue, quatre voix solistes (soprano,
mezzo-soprano, ténor et basse) et chœur mixte à quatre voix. Avec un quatuor
vocal particulièrement harmonieux (Camilla Tilling, Kate Lindsey, Rainer Trost
et Havard Stensvold) et un Chœur de l’Orchestre de Paris fervent, Giovanni
Antonini a instillé à la fois humilité, humanité, grandeur simple et allant à
cette messe s’appuyant sur l’assurance et le bonheur simple de jouer d’un
Orchestre de Paris de toute évidence heureux de cette rencontre avec un chef
qui devrait assurément être réinvité.
Bruno Serrou
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