Lyon, Opéra national de Lyon, vendredi 21 février 2014
Gioacchino Rossini (1792-1868), le Comte Ory. Acte II. Dmitry Korchak (comte Ory), Désirée Rancatore (comtesse Adèle), Antoinette Dennefeld (Isolier). Photo : (c) Opéra national de Lyon, DR
Coïncidence singulière, trois
heures avant le lever de rideau vendredi à l’Opéra de Lyon sur une nouvelle
production mise en scène par un fidèle du lieu, Laurent Pelly, de l’un des
opéras bouffes les plus désopilants de Gioacchino Rossini, le Comte Ory, le directeur du deuxième théâtre lyrique de France
depuis 10 ans, le Belge Serge Dorny, apprenait par un communiqué de presse son
éviction du Semperoper de Dresde qui l’avait pourtant nommé en fanfare
Intendant voilà cinq mois. « Je n’ai pas pris au dépourvu la ministre de
la Culture de Saxe, Mme von Schorlemer, remarquait Dorny vendredi. Dès le
début, mon projet a été de mettre toutes les forces du Semperoper, orchestre,
opéra, ballet sur un pied d’égalité pour un objectif commun, le service de la
musique et du public. Contrairement à ce qu’affirme Mme Schorlemer, équipes
techniques et artistiques partageaient mes vues et souhaitaient travailler
ensemble avec la même force. Seul le directeur musical, Christian Thielemann,
s’y opposait, la réputation de la Staatskapelle de Dresde donnant à ses yeux la
primauté à l’orchestre sur tout le reste. Mes tentatives de rencontre avec la
ministre et de discussion avec M. Thielemann sont restées lettre morte. Si bien
que j’avais posé une date butoir : si le 26 février, rien n’avait été
arrêté, je donnais ma démission. Les tutelles saxonnes ont préféré ne pas me
donner de réponse et prendre les devants. »
Serge Dorny. Photo : DR
Thielemann reste donc le seul
maître à bord de l’un des théâtres lyriques les plus prestigieux au monde, ce
qui rappelle la mésaventure d’Henri Maier dans une ville voisine, lorsque, peu
après le renouvellement de son contrat à la direction de l’Opéra de Leipzig, le
directeur musical italien de l’Orchestre du Gewandhaus, Riccardo Chailly, eut
raison de lui avec l’appui des autorités qui venaient pourtant de rengager le
Français. Quoi qu’il en soit, voilà assurément une excellente occasion, espérons-le,
pour la ville de Lyon de garder l’un des plus brillants intendants d’Opéra
d’Europe…
Gioacchino Rossini (1792-1868), le Comte Ory. Acte I. Photo : (c) Opéra national de Lyon, DR
Les démêlés du directeur de
l’Opéra national de Lyon futur-ex-directeur de l’Opéra d’Etat de Dresde avec
les autorités saxonnes n’ont pas empêché la première du Comte Ory de Rossini de se dérouler joyeusement, ce qui se passait
sur le plateau ne prêtant en aucun cas à la morosité.
Affiche de l'Opéra national de Lyon
Composé en
1828, le Comte Ory est le premier
opéra du « Cygne de Pesaro » directement écrit en français. Ce
que l’on peut d’ailleurs regretter, le texte d’Eugène Scribe et Charles Delestre-Pirson
étant insipide et grivois. Pourtant, sur un ton guilleret et énergique, Rossini
entraîne vaillamment son public au cœur du moyen-âge dans le tourbillon des
frasques d’un comte libertin, qui, au fil de deux actes agrégeant farce et
lyrisme, tente vainement de séduire une vertueuse châtelaine dont l’époux est
parti aux croisades. Pour parvenir à ses fins, il se déguise en ermite,
s’introduisant ainsi sans encombre auprès de la belle. Démasqué, il se
fait passer pour une nonne. Tant et si bien que l’ouvrage en devient un joyau
d’humour primesautier, cet opéra
bouffe conçu pour l’Opéra de Paris réutilise nombre d’airs du Voyage à Reims
écrit en 1825 pour le couronnement de Charles X. Cette seconde mouture d’un ouvrage
de circonstance est en fait la pénultième partition scénique de Rossini.
Gioacchino Rossini (1792-1868), le Comte Ory. Acte I. Dmitry Korchak (comte Ory), Désirée Rancatore (comtesse Adèle). Photo : (c) Opéra national de Lyon, DR
L’action
qui ne cesse de rebondir donne à Rossini l’occasion de tirer parti du
travestissement et de nombreuses scènes de genre, avec ensembles et finales menés
tambour battant. Transposant l’action de nos jours, Laurent Pelly place le
premier acte dans un gymnase où est organisée une kermesse au cours de laquelle
le comte-ermite devenu fakir donne une conférence, tandis que le second acte se
déroule dans la demeure de la comtesse entourée de ses dames de compagnie dont
les appartements défilent sous les yeux du public, de la cuisine à la
salle-de-bain de la comtesse en passant par son salon, sa salle-à-manger et sa
chambre, où a lieu une nuit partie à trois dans le grand lit. Théâtre et chant se
combinent délicieusement, et le spectateur a du mal à reprendre souffle. Les
chanteurs s’en donnent à cœur joie. La distribution, qui s’avère excellente,
est menée rondement par Dmitry Korchak, ténor de gracia souple et solide qui campe un comte intrépide, Désirée
Rancatore, Adèle à la voix agile et inflexible jusque dans l’aigu le plus tendu,
Antoinette Dennefeld entreprenant Isolier rival d’Ory qui a tout d’un Oktavian
du Chevalier à la rose, et
Jean-Sébastien Bou, magistral Rimbaud acolyte d’Ory. Seule faille de cet
excellent spectacle, la direction de Stefano Montonari, au look de GI en marcel
- n’aurait-il que le style vestimentaire à sa disposition pour affirmer sa
personnalité ? - est brutale et raide,
alors que la musique de Rossini, la mise en scène et la scénographie de
Pelly sont enivrement et sensualité.
Bruno Serrou
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