lundi 17 février 2014

Les Wagner d’Anja Kampe et Robert Dean Smith sur une autre planète que ceux de l’Orchestre National de Lille et Jean-Claude Casadesus

Paris, Salle Pleyel cycle « Les Grandes Voix », samedi 15 février 2014


Robert Dean Smith (ténor) et Anja Kampe (soprano). Photo : DR

Le type de concert proposé par Les Grandes Voix samedi Salle Pleyel est assez frustrant. Surtout lorsqu’il s’agit d’opéras de Richard Wagner. Une troisième voix, voire une quatrième, auraient permis de moins « sabrer » dans les partitions, pourtant « retravaillées » par le chef d’orchestre de la soirée, le toujours jeune quasi-octogénaire mais un peu routinier Jean-Claude Casadesus. Chacune des deux parties de la soirée était consacrée à un ouvrage wagnérien parmi les plus « populaires » - terme guère adapté il est vrai à la musique du maître saxon -, Die Walküre avec le seul premier acte commencé par le prélude suivi directement des appels Wälse lancés à pleins poumons par Siegmund et de ce fait coupé de vingt minutes, le rôle de Hunding passant par pertes et profits, et Tristan und Isolde présenté dans un montage réalisé à partir du prélude du premier acte, le sublime duo d’amour de l’acte II avec les tendres hymnes la nuit de Brangäne étaient évoqués à l’orchestre seul, tandis que la scène se terminait abruptement sur des accords molto-pesante pour enchaîner directement sur le prélude du troisième acte s’effaçant pianissimo sur les appels du cor anglais pour fondre dans le premier accord de l’immolation d’Isolde… Quatre rôles confiés à deux chanteurs aux timbres fusionnant de façon quasi idéale, Anja Kampe et Robert Dean Smith.

Anja Kampe. Photo : DR

L’on se souvient de la somptueuse prestation d’Anja Kampe en Sieglinde dans Die Walküre au Théâtre des Champs-Elysées en avril 2012 avec les forces de l’Opéra de Bavière, mais aussi dans celle gravée au disque sous la direction de Valery Gergiev dans la production du Théâtre Mariinsky. L’on a retrouvé samedi ses immenses qualités, dans Sieglinde mais aussi déployés dans Isolde, personnage où la soprano italienne d’origine allemande est d’une aisance plus épanouie encore, son interprétation de feu et de passion y étant exacerbée. L’amante-jumelle fille de Wälse, l’amour dévorant du filtre d’Isolde acquièrent avec elle une densité et une vitalité prodigieuses. Cette incarnation extraordinaire repose à la fois sur une voix large, des graves sombres galvanisés par des aigus superbement projetés et une stature d’écorchée vive que l’affection de Siegmund et la passion dévorante de Tristan ont du mal à rasséréner. Sa scène finale de Tristan und Isolde, hallucinante, a tiré les larmes d’un public qui, tétanisé sur les profonds fauteuils de Pleyel, a longuement retenu son souffle avant de noyer son émotion sous des bordées d’applaudissements sans fin.

Robert Dean Smith. Photo : DR

De sa voix fluide, aérienne et d’une relative fragilité, le ténor états-unien Robert Dean Smith, qui s’était notamment illustré en 2010 dans la Ville morte de Korngold à l’Opéra de Paris où il sera en avril prochain Tristan aux côtés de l’Isolde de Violeta Urmana, rend ces personnages brûlés par l’amour que sont Siegmund et Tristan singulièrement touchants.

Jean-Claude Casadesus. Photo : DR

En regard de ces deux valeureux chanteurs, qui démontrent combien la tradition du chant wagnérien est loin d’être éteinte, même si la vaillance n’est plus ce qu’elle était jusque dans les années 1970, l’Orchestre National de Lille n’aurait pas démérité, s’il avait été dirigé par une baguette plus convaincue que celle de son directeur musical depuis trente-huit ans, Jean-Claude Casadesus. Il se trouve en effet du laisser-aller dans cette direction machinale, et, s’il est vrai que les effectifs de cordes n’étaient pas assez fournis, surtout côté basses (altos, violoncelles et contrebasses), ce qui aura le plus gêné ce sont les approximations des cuivres, une rythmique pesante, les nombreux décalages entre les pupitres et, surtout, entre l’orchestre et les voix, les premiers courant souvent après les seconds, les chanteurs, portés par leurs rôles, s’exprimant en apesanteur tandis que les instrumentistes étaient comme plaqués au sol. 


Orchestre National de Lille. Photo : DR

Il convient néanmoins de saluer de belles individualités, comme le violoncelle solo Grégorio Robino et le cor anglais Philippe Gérard. Mais l’Orchestre National de Lille n’a rien des couleurs et des alliages d’un orchestre wagnérien, sa direction est elle-même monochrome et sans relief, ce qui rend atone l’orage du prélude de La Walkyrie, les tensions sismiques de ceux de Tristan et la suavité des appels de Brangäne…

Bruno Serrou


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