Strasbourg, Opéra national du Rhin, mardi 28 janvier 2014
Richard Wagner (1813-1883), Der fliegende Holländer. Jason Howard (le Hollandais). Photo : (c) Alain Kaiser, DR
Quatrième partition scénique de
Richard Wagner, composée en 1843, Der
fliegende Holländer est le premier des dix opéras du maître saxon à avoir
été jugé digne par ses descendants d’accéder à la scène du Festspielhaus de
Bayreuth. Sa durée, comparable au seul Or
du Rhin dans la création wagnérienne qui, comme le prologue du Ring des Nibelungen, est aussi donné
sans entracte, et sa structure traditionnelle qui laisse déjà percevoir
la révolution formelle de Wagner, ainsi qu’un certain nombre de ses grands
thèmes, comme l’errance, le sacrifice, la rédemption par l’amour.
Richard Wagner (1813-1883), Der fliegende Holländer. Jason Howard (le Hollandais), Gijs Van der Linden (le Timonier), Kristinn Sigmundsson (Daland). Photo : (c) Alain Kaiser, DR
Quatre mois après l’extraordinaire interprétation concertante du chef
canadien Yannick Nézet-Séguin au Théâtre des Champs-Elysées (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2013/09/yannick-nezet-seguin-evgeny-nikitin.html),
il convient de saluer la prestation du slovène Marko Letonja dans la fosse de
l’Opéra de Strasbourg (2) avec des musiciens de l’Orchestre strasbourgeois plus
homogènes qu’ailleurs bien que moins aguerris que leurs collègues de l’Orchestre
de Rotterdam. Les tempêtes instrumentales, impressionnantes, ont
instillé une force dramatique conquérante, portant l’œuvre à ébullition, au
risque d’affecter les moments de poésie que recèle la partition. Si Jason Howard n’a pas la vaillance de son confrère russe Evgeny
Nikitin, l’on retrouve chez le baryton gallois l’être noble à la personnalité
complexe qui fit de lui un impressionnant Wotan dans ce même Opéra de
Strasbourg dans la brillante mise en scène de David McVicar en 2007-2009. A ses
côtés, la Senta toute en bravoure et en générosité de Ricarda Merbeth, et le
cupide Daland de Kristinn Sigmundsson non dénué d’humanité, tandis que Thomas
Blondelle campe un ardent Erik, et Eve-Maud Hubeaux une Mary au timbre de
velours.
Richard Wagner (1813-1883), Der fliegende Holländer. Jason Howard (le Hollandais), Ricarda Merbeth (Senta). Photo : (c) Alain Kaiser, DR
Côté
mise en scène, de vaisseau, l’on n’en est pas question. Seule la mer en
renvoie l’allusion. Daland est un commerçant ayant pignon sur rue, l’imposante
enseigne à son nom de son magasin écrase les protagonistes les deux derniers actes
durant. L’action sent les embruns, la tempête et l’iode, mais le Hollandais
vient de nulle part, tandis que ses matelots sont confinés dans un ascenseur en
plexiglas, où ils sont longuement entassés. Fondant dans un même bloc costumes
et accessoires années quarante et cinquante, se dispersant dans un décor unique
fait de poutrelles et de niches conçu par Raimund Bauer (décor) et Andrea
Schmidt-Futterer (costumes), tous deux signataires par ailleurs de la scénographie
kitsch de la Fanciulla del West actuellement
présentée à l’Opéra de Paris, le metteur en scène berlinois Nicolas Brieger se
tient systématiquement à l’écart de l’esprit de Heinrich Heine qui a inspiré le
compositeur au même titre que du mythe du juif errant pour plonger une fois de
plus dans une production d’un opéra wagnérien, à l’instar de trop de ses
compatriotes allemands de sa génération, dans la période nazisme et la Shoa.
Des incohérences ponctuent l’action, comme l’arrivée du Hollandais une valise
en carton à la main semblant sortir d’un train misérable, et, plus troublant
encore, la scène des fileuses qui, au lieu de rouets, poussent en cadence de
façon caricaturale telles des nurses de pacotille des landaus plus ou moins sortis
de chez Mary Poppins...
Bruno Serrou
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