Yannick Nézet-Séguin. Photo : DR
Il
est des soirées lyriques où l’on se dit qu’il vaut mieux un opéra concertant
plutôt qu’une réalisation scénique. Ce qui est souvent le cas des ouvrage de
Richard Wagner, dont l’orchestre foisonnant et souvent divisi est traité tel un personnage aux multiples aspects, tient la
place centrale. Chaque exécution en concert offre son lot de révélations, l’oreille
étant à chaque écoute sollicitée par une caractéristique plus ou moins
dissimulée de l’écriture wagnérienne, un alliage de timbre, une couleur, une
phrase, une respiration…
Il
en a ainsi été mercredi soir au Théâtre des Champs-Elysées. Depuis quelques
années, le théâtre de l’avenue Montaigne propose des opéras de Wagner en
exécution concertante. L’on se souvient notamment de remarquables Parsifal en 2011 et Walkyrie en 2012 par les forces de l’Opéra de Bavière et Kent
Nagano (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2012/04/die-walkure-de-wagner-danthologie.html
pour la Walkyrie). Cette fois, c’est
à Yannick Nézet-Séguin et à l’Orchestre Philharmonique de Rotterdam dont il est
le directeur musical qu’il a été fait appel. Le chef canadien, qui a été
l’élève entre autres de Carlo Maria Giulini et qui a fait ses débuts en Europe
en 2004 avec l’Orchestre national du Capitole de Toulouse, a dirigé Der fliegende Holländer avec une force conquérante, une vivacité épique, ne
ménageant pas son énergie ni celle de son orchestre, au risque de susciter d’évidents
dérapages, notamment parmi les cuivres, particulièrement les cors.
Jamais
pourtant le chef québécois n’a couvert les chanteurs, prenant au contraire soin
de les soutenir tout en préservant la place centrale dévolue à l’orchestre par
le jeune Wagner. Les tempêtes instrumentales, impressionnantes, ont été
remarquablement contrastées par de beaux moments de poésie et de rêverie, le
tout magnifié par une distribution de très haut vol. Evgeny Nikitin, qui avait
été remercié en juillet 2012 par le Festival de Bayreuth où il devait camper le
même rôle à cause de tatouages à connotation nazie, bien qu’il ait déclaré « répugner
profondément cette idéologie », est un magistral Hollandais. D’autant plus
convainquant qu’il évolue considérablement dans le cours de l’ouvrage, solide
et conquérant dans le premier acte, fourbu et détruit dans le troisième. Sa
voix, d’une solidité d’airain, se fragilise peu à peu pour finalement se révéler
vulnérable, ce qui donne au personnage une dimension humaine pour le moins
touchante. Voix d’une longueur éclatante, Franz-Josef Selig fait de Daland avec
a propos un personnage fourbe et calculateur prêt à vendre sa fille au plus
riche sous n’importe quelle condition. Emma Vetter est une blonde Senta d’une intensité
singulière, voix puissante au timbre lumineux, jetant ses aigus avec une clarté
et une franchise ahurissante, attrapant la note juste sans jamais crier ni
détimbrer. Frank van Aken est un Erik ardent à la voix idoine, malgré quelque
fléchissement dans le dernier ensemble. Agnes Zwierko est une Mary à la voix chaude que l’on
aimerait entendre dans un emploi plus développé. Campant un convainquant
Timonier, Torsten Hofmann parachève ce remarquable casting. Personnage aux
multiples facettes, le Chœur de l’Opéra de Hollande est d’une homogénéité et d’un
fondu sonore extraordinaire, participant amplement à la réussite de cette belle
soirée wagnérienne offerte une fois encore par le Théâtre des Champs-Elysées (1).
Bruno Serrou
1) L’Orchestre
Philharmonique de Rotterdam et Yannick Nézet-Séguin reviennent au Théâtre des
Champs-Elysées mercredi 24 mars 2014 avec en soliste la violoniste géorgienne Lisa
Batiashvili dans un programme Beethoven et Richard Strauss.
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