C’est
dans un climat d’intense émotion que s’est ouverte vendredi 6 septembre la
saison musicale parisienne 2013-2014, placée une fois n’est pas coutume sous le signe
de la création. Présenté par le remarquable Ensemble Court-Circuit - ses musiciens
sont d’une virtuosité à toute épreuve, réalisant infatigablement des sans fautes,
galvanisant des sonorités charnelles et somptueusement colorées -, avec le
soutien des Instituts Mickiewicz et Polonais de Paris, ce concert gratuit,
dédié à la mémoire du compositeur colombien Luis Fernando Rizo-Salom disparu
accidentellement le 24 juillet dernier (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2013/07/createur-de-talent-le-compositeur.html)
a attiré la foule des grands jours entourée
de nombreux compositeurs et interprètes, alléchée par la variété et la densité du
programme, qui comptait notamment une première exécution mondiale.
Luis Fernando Rizo-Salom (1971-2013). Photo : DR
C’est
sur l’ultime œuvre achevée de Luis Fernando Rizo-Salom que Court-Circuit a
créée en juin dernier dans le cadre du Festival ManiFeste de l’IRCAM (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2013/06/a-lircam-deux-uvres-phares-de-yan.html)
que s’est ouverte la soirée. Quatre
pantomimes pour six pour flûte, clarinette, cor et trio à cordes est apparu
plus forte et dense que lors de sa création, la séduction plus immédiate encore
tandis que les musiciens, qui en ont naturellement assimilé les traits et la
vélocité tant instrumentale que rythmique, ont mis en exergue les singularités
de la partition, la maîtrise de l’écriture, la richesse de l’inspiration, la
volubilité des timbres, le plaisir des sons qui disent combien la perte du
jeune compositeur colombien est irréparable.
Ensemble Court-Circuit, direction Jean Deroyer. Photo : (c) Bruno Serrou
Une pièce
aussi passionnante d’un jeune quadragénaire emporté en plein épanouissement par
le destin que celle qui allait conclure le concert, signée cette fois du plus grand
compositeur polonais de l’Histoire disparu en 1994, Witold Lutoslawski,
fondateur de l’un des principaux festivals de musique contemporaine au monde,
Automne de Varsovie, et qui aurait eu cent ans cette année. Composé voilà tout
juste trente ans pour orchestre de chambre de quatorze instrumentistes (bois,
cuivres et percussion par un, clavecin et quintette à cordes avec contrebasse),
Chain 1 et le premier volet du
triptyque Łańcuch (Chaîne)
conçu
entre 1983 et 1986, le deuxième étant pour violon et orchestre et le dernier
pour orchestre.
Witold Lutoslawski (1913-1994). Photo : DR
Un titre qui se réfère à
la façon dont la musique se structure à partir de segments plus ou moins
contrastés qui se chevauchent tels les maillons d’une chaîne. Il s’agit d’une œuvre
singulière, d’une brutalité fauve non dénuée d’humour (les vents se répondant
et se moquant les uns les autres dans la première partie de l’œuvre), la magie
rieuse du clavecin, l’élasticité des pizzicati
des cordes, la noblesse feinte du cor, etc.), mais aussi la poésie et le
lyrisme, les bruissements de la nature, notamment dans le passage où le compositeur
donne une liberté brillamment contrôlée aux musiciens de l’ensemble... En moins
de sept minutes, Lutoslawski donne à entendre l’univers entier. Les musiciens
de Court-Circuit, dirigés avec précision par Jean Deroyer, qui a su laisser suffisamment
la bride sur le cou à l’ensemble, ont pu donner cette impression de liberté
conduisant à la lisière de la cacophonie sans jamais y sombrer. Un final de concert
symptomatique des impressionnantes qualités de cet ensemble.
Elzbieta Sikora (née en 1943). Photo : DR
Mais c’est
une autre partition polonaise qui créait l’événement de ce concert, cadre de sa
première audition mondiale. Court-Circuit a en effet commandé une œuvre nouvelle
à la compositrice polonaise Elzbieta Sikora à l’occasion de son soixante-dixième anniversaire. Née
à Lwów le 20 octobre 1943, vivant à Paris depuis
1981, élève de Tadeusz Baird au Conservatoire de Varsovie avant d’étudier à
Paris auprès de Pierre Schaeffer, François Bayle et Betsy Jolas, auteur de plus
d’une cinquantaine d’œuvres dont trois opéras, le plus connu étant Madame Curie (1) créé à Paris le 15
novembre 2011, à l’UNESCO, Elzbieta Sikora a réalisé avec Twilling - Sonosphère 1 un concerto en trois mouvements s’enchaînant
pour hautbois, quintette à cordes avec contrebasse et électronique live. L’écriture
est virtuose, surtout celle de l’instrument soliste, qui use de tous les modes
de jeu, au point de prendre parfois la tournure d’un véritable catalogue,
tandis que la partie électronique, exécutée au Karlax® (2) par
Tom Mays, est à la fois discrète et complémentaire, jouant de façon onirique de
la résonance de l’instrument soliste - dextrement tenu par Hélène Devilleneuve
- dont on n’entend guère le jeu de clefs qui forme pourtant une sorte de pont
entre les parties de l’œuvre. Une œuvre qu’il conviendrait de réécouter tant
on y décèle de potentiel mais qui est apparue à la première écoute un peu
redondante dans un certain nombre de passages.
Wojtek Blecharz (né en 1981). Photo : DR
Autre compositeur polonais du programme, cette fois de la jeune génération,
Wojtek Blecharz. Né à Gdynia le 21 juin 1981, formé au Conservatoire de
Varsovie, élève de Philippe Manoury, Miller Puckette, Roger Reynolds et Steve
Schick à l’Université de San Diego en Californie, Blecharz est déjà l’auteur d’une
quarantaine de partitions, dont huit ballets. Composé en 2008 pour clarinette
basse, percussion, piano (semi-préparé) et violon, fruit d’une commande de l’Ensemble
Kwartludium, Torpor est mû par une pulsation d’une vigueur particulièrement communicative dont
l’énergie monte continuellement en forme de spirale jusqu’aux limites de l’asphyxie.
Bruno Serrou
1) Disponible en DVD chez Opera Baltyca Dux 9884
2) Contrôleur MIDI
C'est bien vrai tout ça et si merveilleusement décrit et commenté…
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