Première nouvelle production de
la saison 2013-2014 de l’Opéra de Paris, Alceste
du chevalier Christoph Willibald von Gluck a attiré tout ce qui compte dans le
monde du théâtre lyrique. C’est évidemment à Garnier et non pas à Bastille qu’est
proposé l’ouvrage dans lequel le compositeur et son librettiste Ranieri de Calzabigi
ont cristallisé en 1767 la réforme de l’opéra qu’ils avaient amorcée cinq ans
plus tôt dans Orfeo ed Euridice. Lors
de la publication en 1769 du livret d’Alceste,
Calzabigi définit les caractéristiques de sa réforme de l’opéra, écrivant
vouloir « limiter la musique à sa véritable fonction qui est de servir la
poésie avec expression, en évitant de l’étouffer par quantité d’ornements
superflus ».
Conçu en italien pour le
Burgtheater de Vienne, qui en a donné la création le 26 décembre 1767, Alceste est entré au répertoire de l’Opéra
de Paris le 23 avril 1776 dans une version française remaniée par
François-Louis Gand Le Blanc du Roullet. Les versions italienne et française
divergent de ce fait largement l’une de l’autre, les personnages n’étant pas
tout à fait identiques tandis que les scènes sont agencées différemment. Cette
version parisienne est considérée comme très supérieure à l’italienne au point
d’avoir été traduite en allemand, italien et anglais pour être jouée depuis le XIXe
siècle sur les principales scènes lyriques. Le personnage d’Alceste, toujours
présent et chantant constamment trois heures durant, requiert une cantatrice aux
qualités athlétiques exceptionnelles comparables dignes d’une Isolde.
Alceste conte le destin morbide de l’épouse du roi Thessalie, Admète.
Ce dernier est mourant. Mais les dieux promettent de l’épargner si une autre
personne accepte de mourir à sa place. Alceste consent à être cette personne,
et décide de se sacrifier malgré les supplications de son mari. Cependant, Hercule
parvient à les sauver tous les deux en descendant aux Enfers délivrer Alceste
tout en protégeant Admète, et leur permet ainsi de continuer à vivre, heureux.
La mort plane donc sur la
totalité de cette œuvre qui vante la fidélité conjugale conduisant au sacrifice
adaptée de la pièce éponyme d’Euripide. Ce qui, pour la première de ses quatre
nouvelles productions de l’année, dont une création mondiale à Genève, le
monodrame Siegfried de Michael
Jarrell, et la reprise de son Hamlet
d’Ambroise Thomas à la Monnaie de Bruxelles, a conduit Olivier Py à réaliser
une mise en scène en noir (ardoise, costumes, lumières) et blanc (craies, robe
d’Alceste, colombe d’Hercule) proche de l’oratorio évoquant la fugacité de l’existence.
D’où sans doute un certain dénuement, une économie de mouvements, des décors spartiates
qui évoquent la mélancolie de la vie qui s’éteint, à l’instar de cette
silhouette tracée à la craie du palais Garnier qui disparaît pour ouvrir sur
une porte d’église et une perspective maritime, une forêt d’arbres desséchés,
puis le rideau de scène de Garnier évocation du seuil des Enfers où Alceste
doit descendre à la place d’Admète. Ou plutôt qui s’efface, avec cette idée de
dessins réalisés à fresque façon street
art baroque en direct sur des tableaux noirs par quatre artistes qui les effacent
ensuite dans la continuité du spectacle, ce qui surprend et fascine tout d’abord
avant de susciter une certaine lassitude par leur systématisation. Seules
tâches de couleurs, un Apollon qui apparaît à la fin du troisième acte tel un
faune enluminé de pépites dansant les joyeuses retrouvailles du couple sauvé
par un Hercule prestidigitateur en frac tirant de son haut-de-forme une pluie d’or
et une colombe blanche.
Gluck, Alceste. Yann Beuron (Admète), membres du Chœur et de l'Orchestre des Musiciens du Louvre Grenoble. Photo : (c) Agathe Poupeney / Opéra de Paris
Fidèle à lui-même, Olivier Py et
son scénographe Pierre-André Weitz ont convoqué leurs éternels lit et chaise d’hôpital
et les aphorismes enfantins écrits à grands traits et à la volée par les
protagonistes, les allusions à la foi catholique (Cène, Eucharistie,
Résurrection) dont Py porte ostensiblement les signes jusque sur son propre
costume (une grande croix sertie de brillants), ce qui tire parfois la spiritualité
de l’ouvrage aux limites du caricatural. Curieusement, c’est dans la seconde
partie du spectacle que le théâtre s’impose vraiment, après que l’orchestre ait
été extrait de la fosse pour investir le plateau façon opéra en concert, l’action
se déroulant dès lors autant à l’avant-scène qu’au fond du plateau, tandis que
la direction de Marc Minkowski, qui connaît parfaitement cette musique et le fait
généreusement ressentir, même si on l’eût souhaité un rien plus onirique, se fait
plus vive et lyrique encore que dans la première partie, au contact direct des
chanteurs. Le Chœur, d’une belle homogénéité, et l’Orchestre des Musiciens du Louvre
Grenoble excellent, malgré des timbres que l’on aimerait plus charnels et moelleux.
Sophie Koch, Yann Beuron, qui
remplace favorablement Roberto Alagna originellement prévu, et Jean-François Lapointe
en Grand-Prêtre d’Apollon, sont tous trois à l’aise dans leurs rôles
respectifs. Pourtant, au début de la représentation, un vibrato excessivement
large et un timbre serré, l’on crut un moment la mezzo-soprano française
incapable de surmonter le personnage écrasant d’Alceste. Les limites étant
atteintes dans le fameux Divinité du Styx
dans lequel elle est apparue comme asphyxiée dans le grave de son registre. Mais
une fois cet air passé, la cantatrice, comme rassurée, s’est rapidement
libérée, retrouvant ses marques pour camper une héroïne émouvante et généreuse.
Voix solide au timbre de velours, vocalité éblouissante et aigus étincelants,
Yann Beuron campe un Admète de très grande classe. Jean-François Lapointe
est un impressionnant et glacial Grand-Prêtre d’Apollon, Franck Ferrari en fait
un peu trop en Hercule-illusionniste bienveillant. Confiés à la jeune génération
de chanteurs, les quatre Coryphées (Marie-Adeline Henry, Bertrand Dazin,
Stanislas de Barbeyrac, Florian Sempey) et François Lis (une divinité
infernale, l’Oracle) parachèvent une distribution de haut rang.
Bruno Serrou
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