Salle Favart, samedi 3 décembre 2011
La Création musicale serait-elle
condamnée à la portion congrue ?
Organisé par le réseau national
de la création musicale « Futurs composés », qui compte plus de cent
trente membres actifs (centres nationaux de création musicale, éditeurs et
labels, ensembles et compagnies, indépendants, structures de production, de
diffusion, d'information et de formation, compositeurs, interprètes, etc.), la
Journée de la Création musicale 2011 a investi samedi la Salle Favart pour deux
tables rondes et une série de trente mini-concerts, le tout de 9h30 à 23h, non
stop.
En cette période pré-électorale,
le sujet de cette édition était tout trouvé, tant la place de la création
musicale semble devoir se réduire comme peau de chagrin dans les enjeux des
politiques culturelles des nombreux candidats à la présidence en 2012 et des partis
politiques français. Nous sommes loin désormais pour la création de la période
faste de l’ère Pompidou et des premières années Giscard d’Estain, ce dernier n’ayant
pu aller à l’encontre des projets engagés par son prédécesseur. En revanche, depuis
les années 1980, la création musicale tend à être déconsidérée, victime de
préjugés et d’une diffusion qui la confinent presque au ghetto, s’il ne se trouvait
encore quelque figure musicale emblématique pour la porter à la connaissance du
grand public par le biais de quelques médias - et pas toujours ceux censés être
voué à la musique. L’un des premiers témoignages du désengagement de la
puissance publique aura été l’exclusion du projet prévu en liminaire de l’Opéra
Bastille, celui de salle modulable prévue pour favoriser l’expression de
nouvelles approches de l’opéra et de la création lyrique contemporaine. Ce qui
n’empêche pas groupes de recherche, ensembles et festivals de faire florès,
mais le plus souvent dans de précaires conditions.
Les deux débats auront attiré un nombreux
public de gens directement concernés, sous la voûte rococo du foyer de l’Opéra-Comique.
Le premier a permis à des chargés de missions culturelles des équipes de
campagnes de quelques-uns des candidats à la présidentielle de s’exprimer sur
leur sensibilité à la création, leurs points de vue sur la question et les
moyens que les partis et les candidats entendent déployer pour sa valorisation,
son audience et sa considération alors que les hommes politiques semblent toujours
plus sourds et cherchent non plus à cultiver et rehausser la curiosité et la
réflexion de leurs concitoyens mais à les divertir et à industrialiser les
filières culturelles, spectacle vivant inclus. Parmi les bribes du débat
entendues, je me limiterai à donner l’exemple caractéristique du représentant
du MoDem, qui, de toute évidence peu au faîte de ce qui se fait déjà, a
regretté que les créateurs restent dans leur tour d’ivoire au lieu de se
tourner vers la pédagogie en écrivant et composant pour les jeunes publics… Que
n’a-t-il cherché à s’informer sur les nombreuses actions menées par des
ensembles comme Ars Nova ou 2e2m, et à se documenter sur l’activité d’un
certain nombre de compositeurs, et non des moindres, comme Georges Aperghis ?…
Trop facile de se dédouaner de la sorte, et d’autant plus dommageable que c’est
contraire à la vérité, ce qui conforte le sentiment de méconnaissance totale d’un
sujet il est vrai fort peu porteur de voix aux élections, la « niche »
étant plus réduite que celle des chasseurs. La seconde table ronde aura
conforté la première, puisque la question centrale était « entre Etat
mécène et Etat facilitateur, quelles nouvelles modalités d’intervention du
ministère de la Culture ? » En fait, le débat s’est focalisé sur l’émergence
du nouveau Centre national de la musique, présenté par ses initiateurs comme l’équivalent
pour la musique de ce qu’est le CNC pour le cinéma, le CNM a été voulu par
Nicolas Sarkozy pour sauver du naufrage l’industrie de la musique, le président
se disant « très inquiet » pour l’industrie française du disque. Les
missions du CNM devraient être la défense de la propriété intellectuelle, l’encadrement
du streaming et l’émergence d’ « un instrument fort de défense des
intérêts communs de la filière [musicale] aux plans national, européen et
mondial ». En d’autres termes, il devrait permettre au politique d’encadrer
une industrie musicale à gros enjeux. Mais quid
de la création musicale « savante » ?... Elle est a priori la
grande oubliée, puisque de toute évidence exclue de la « musique » !
En fait, qu’est-ce que la musique, aujourd’hui ? Une industrie à
destination du plus grand nombre, donc la plus simple et la plus mondialiste
possible ? Cela quoi qu’en disent par ailleurs les « décideurs »,
y compris Jacques Toubon, qui se sera exprimé samedi après-midi d’une voix de
stentor mais de façon claire quoi que souvent alambiquée (il n’est pas homme
politique pour rien). Il est vrai que, outre ses casquettes d’ex-ministre de la
Culture, d’actuel président de la Fevis (Fédération des Ensembles Vocaux et
Instrumentaux Spécialisés) et membre de l’Hadopi, M. Toubon est un authentique
mélomane, ce qui est de plus en plus rare au sein de l’appareil politique. Malgré
les garanties qu’il semble identifier chez les membres du parti auquel il
appartient, l’UMP, il convient de douter de ce qu’il adviendra de la création et
des créateurs dans la nébuleuse CNM. Surtout si, comme il a été dit dans ce
débat, les subsides de l’Etat en faveur de la création sont dégagés de la
tutelle du ministère de la Culture et des autres guichets comme la Sacem, la Sacd,
la Spedidam et autres, pour être réunis sous le seul label CNM. Il est à
craindre, comme le disait un compositeur inquiet, que, sous prétexte de
simplification des démarches d’aide à la création, il devienne impossible de se
tourner vers des subsides de substitution à qui la CNM exprime une fin de non
recevoir, contrairement à ce qui se fait aujourd’hui lorsque l’un ou l’autre se
refuse à verser une aide. Laurent Petitgirard a fait part des doutes et des
craintes de la Sacem qu’il préside et qui, par le biais de sa fondation, dispose
d’un budget conséquent en faveur de la création musicale savante tout en
finançant sa diffusion notamment via le label discographique MFA (Musique
française d’aujourd’hui), annoncé passer sous la tutelle du CNM, d’autant plus
que le projet stipule que si, « dans le système actuel, les aides à la
création musicale s’organisent autour de différentes sociétés de perception et
de redistribution interne des droits, du type de la Sacem », à l’avenir,
le « CNM viendrait proposer un guichet unique et des assiettes de
subventions élargies. » Cela alors-même que les statuts dudit CNM ne
prévoient pas la présence d’un membre de la Sacem ni du moindre artiste
créateur au sein de son Conseil d’administration. Il est symptomatique d’ailleurs
que le rapport à l’origine de la création du CNM ait été élaboré par une équipe
ne comprenant aucun représentant de la musique, puisqu’il a été rédigé par Didier Selles (conseiller maître à la Cour des comptes),
Franck Riester (député UMP, ancien rapporteur parlementaire des deux lois
Hadopi, et membre du collège de la Haute Autorité), Alain Chamfort
(auteur-compositeur-interprète - de variétés), Daniel Colling (directeur du
Printemps de Bourges et du Zénith de Paris) et Marc Thonon (directeur du label
Atmosphériques et président de la Société civile des producteurs de phonogrammes
en France). Il est également significatif que la représentante de la Direction
de la Musique au ministère de la Culture se soit félicitée de la création du CNM
et ait assuré que l’Etat pérenniserait son soutien à la création. Au bout de deux
heures trente de débat, il était difficile de se faire une opinion sur la
nécessité du CNM et la façon dont il va intégrer ou avaler la création
contemporaine et ses créateurs...
Les deux
longues séries concerts qui ont ponctué la journée ont permis de faire
connaissance de plusieurs groupes, toutes tendances musicales confondues, de la
musique pop’ « d’essai », avec un équipe constituée de Yann Joussein,
Fanny Lasfargues et Nicolas Senty dans un Voyage d’Io de Thibault Walter sans autre intérêt que celui de crève-tympans, ou Mirtha
Pozzi et Isabelle Rivoal dans une pièce déclamée et dansée sans portée réelle,
tandis que Joël Versavaud proposait une pièce assez inventive de Lionel Ginoux,
Grimace pour saxophone baryton. Mais ce sont les ensembles Variances, avec un
remarquable Manoa de Thierry Pécou, et 2e2m dirigé par Pierre Roulier dans It de Frank Bédrossian, qui se sont imposés dans les deux heures de la première
série, tandis que le contrebassiste Olivier Sens a su convaincre dans sa propre
pièce qu’il semblait improviser, alors que l’improvisation qu’il a annoncée s’est
avérée plutôt coincée.
Bruno Serrou
Cet article résume bien un constat plutôt déplorable quand au soutien de la création en France.
RépondreSupprimerJe me permet quelques petites remarques qui ne cherchent nullement polémique, mais qui peuvent éventuellement étayer ce constat.
- Dans l'un de vos articles relatant un concert de John Cage il est question de son mécène. En France, depuis 1981, les mécènes sont partis, ou alors ils se cachent sacrément... l'état a mis son plein pouvoir sur la création, Mr Lang, le fit très certainement sous couvert de bonne conscience et en volonté d'aide (Sa fête de la musique n'a pas spécialement aidé, là non plus, ). Aussi, aujourd'hui, un créateur se tourne systématiquement vers l'état pour faire reconnaitre son art, comme si, la seule alternative était celle ci. Il y a bien quelques fondations issues d'entreprises, de banques, etc... qui aident dans des domaines spécifiques, mais le mécène d'ordre "privé" est rarissime. Alors que, dans d'autres pays, cela reste une tradition dans l'encouragement de la création.
Je me souviens de l'école de flamenco de Séville que j'ai visité lors d'un voyage à caractère pédagogique dans lequel j'encadrais des étudiants. Cette école est "mécénée" par une richissime américaine.
- Manque d'information de ces chers dirigeant. Il existe une maison d'édition à caractère pédagogique destinée à la création qu'elle soit contemporaine (et là, le catalogue est impressionnant de qualité et d'inventivité, tout comme de références...), ou couvrant d'autres esthétiques (musiques traditionnelles, actuelles, jazz, chanson...). Les MOMELUDIES. cf : http://www.momeludies.com/
- La création contemporaine si elle est importante et captivante manque cruellement d'une popularisation. Je suis enseignant et je ne manque pas de m'y référer régulièrement dans mes cours, mais au delà de tout cela, avez vous écouté l'approche quasi sectariste que propose, par exemple, un présentateur d'une œuvre sur france musique. Si l'on n'est pas féru, musicien, amateur éclairé, il y a de fortes chances que l'on tourne la fréquence et que l'on aille vers radio classique... Pour que la musique créative et contemporaine du domaine de l'écriture "sérieuse" soit ne serais ce qu'entendue peut être faudrait il, avant de se plaindre que celle ci ne touche qu'un minima de personnes, déjà minimalement concernées par la musique classique, que celle ci tente, par la communication et la pédagogie, de s'ouvrir un tant soit peu au monde des humains.
- Pour finir, l'Ircam, ce formidable institut étatique n'aurait t'il pas, en s'octroyant un pouvoir omnipotent à une certaine époque, freiné la multiplicité des créateurs contemporains en France par son modèle d'unitéralité ? Pour soudain se populariser à l'inverse en nous sortant une Emilie Simon, par exemple. Les autres créateurs, refusés en ces nobles murs, préférant partir, comme le fit Stravinsky... à l'étranger.
Cette situation actuelle et dommageable de l'état créatif musical en France n'est pas spécifiquement nouvelle. Il est malheureusement ancré dans la conscience de nos dirigeants que la création contemporaine est vue comme, quelque part, la recherche scientifique... sauf que défendre budgétairement la recherche scientifique peut paraitre plus vital à leurs yeux et que la recherche à but d'évolution de l'être reste en ces temps de disette culturelle gouvernementale, très accessoire.
Effectivement il serait temps de prendre le sujet à bras le corps et de trouver des solutions... les Conservatoires regorgent de professeurs et de leurs élèves tout prêts à œuvrer en ce sens. Si ces messieurs descendaient un instant de leurs piédestals respectifs, peut être qu'on pourrait imaginer une réflexion, non pyramidale, mais plus partenariale...