Composé en 1828 pour l'Académie royale de Musique de Paris, salle Le Peletier où il a été créé le 20 août de la même année, le Comte Ory est le premier ouvrage scénique du « Cygne de
Pesaro » directement écrit en français. Ce qu'il est d'ailleurs possible de regretter, tant
le texte d’Eugène Scribe et Charles Delestre-Pirson est fastidieux et graveleux. Pourtant,
sur un ton léger et hardi, Rossini emporte résolument son auditoire au cœur
du moyen-âge dans le sillage des frasques d’un comte libertin, qui, au cours de
deux actes agrégeant farce et lyrisme, tente en vain d'abuser une vertueuse
comtesse dont le mari est aux croisades. Peu présent à la scène,
cet opéra comique a cette saison le vent en poupe avec deux nouvelles productions,
puisqu’après celle de Genève une autre sera proposée par l’Opéra de Marseille en
mars prochain. Le Comte Ory genevois désappointe à plus d’un titre. Pourtant, les premières minutes du spectacle augurent plutôt bien de la suite, malgré une durée excessive qui dénature
l’ouverture pourtant aussi bien troussée que les autres pages du genre chez Rossini. Dirigé avec apathie par Paolo Arrivabeni à la tête d’un Orchestre de la
Suisse romande étrangement blafard, dans une mise en scène de Giancarlo Del
Monaco qui s'obstine à la vulgarité - voire l’obscénité avec la mime
exhibitionniste travestie qui, au second acte, face au public, ne cesse d’ouvrir
sa gabardine sur un faux corps d’homme nu chaque fois qu’une damoiselle fait son apparition -, et qui n’évite pas le cliché, comme ces chevaliers délurés, obsédés sexuels et
saouls déguisés en nonnes, entre autres), sans réelle direction d’acteur, le
spectacle aurait pu être transcendé par la scénographie d’Ezio Toffolutti. Les idées
de l'artiste vénitien sont en effet originales, surtout au début, avec ce grand
livre d’imageries médiévales en relief qui, introduit par ledit mime travesti qui
s’avère vite envahissant, érige, le temps de l’ouverture, un château
fort et un paysage champêtre. Ce décor est malheureusement mal mis en lumières, et les costumes sont moins
contrastés et diversifiés que ceux que le même Toffolini avait conçus pour l’Etoile d'Emmanuel Chabrier mis en scène en décembre 2009 par Jérôme Savary en ce
même Grand-Théâtre de Genève, mais réussit à évoquer un moyen-âge de pacotille. La distribution
est menée par les femmes, en premier lieu par la séduisante et douce comtesse de la soprano espagnole Silvia Vázquez et par le brûlant page Isolier de la mezzo-soprano italienne Monica Bacelli, dans
un rôle qui se situe entre le Chérubin des Noces
de Figaro et l’Octave du Chevalier à
la rose. Côté distribution masculine, seul le Rimbaud du baryton québécois Jean-François Lapointe est convainquant, avec sa voix solide, bien timbrée, et sa volubilté. Malade, le ténor new-yorkais Antonis Koroneos s’asphyxie rapidement dans le registre aigu de ce rôle difficile qu'est celui d'Ory, mais il aura sauvé la première de ce
spectacle.
Bruno Serrou
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