Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Vendredi 19 avril 2024
Le premier grand rendez-vous à la Philharmonie de Paris pour le
bicentenaire de la naissance du grand symphoniste de Linz Anton Bruckner
(1824-1896) est revenu à une phalange bavaroise, l’Orchestre Philharmonique de
Munich, que Gustav Mahler dirigea pour la création de ses Symphonies n° 4 (1901) et n° 8 « des Mille » (1910) - ainsi que Le Chant de la Terre en 1911 dirigé par Bruno Walter -, avant que la phalange crée les
versions originales des Symphonies n°6 et
n° 9 de Bruckner en 1932, qui a
offert une passionnante Symphonie n° 4 « Romantique » dirigée avec élégance, précision et
générosité par le chef britannique Daniel Harding, ex-directeur musical de l’Orchestre
de Paris, avec un phénoménal cor solo, Mathias Piñeira.
La Symphonie n° 4 en mi bémol majeur, qualifiée par son auteur de « Romantique », est avec les Septième, Huitième et Neuvième, l’une des symphonies les plus abouties d’Anton Bruckner (1824-1896). Pourtant, pour le compositeur autrichien, aucune œuvre ne pouvait être terminée, la musique étant chez lui en perpétuelle expansion vers l’infinitésimal. En effet, conçue en un peu plus de dix mois en 1874, profondément remaniée à trois reprises par la suite, jusqu’à ce que son auteur s’en déclare enfin satisfait un jour de 1888, la Quatrième semble pourtant couler de source, tant l’on n’y perçoit aucune contrainte, au point qu’elle est aujourd’hui l’une des pages les plus prisées de Bruckner.
A la tête
d’un orchestre forgé à la tradition brucknérienne par le compositeur autrichien
Ferdinand Löwe (1865-1925), disciple de Bruckner qui en fut chef permanent en
1897-1898 puis de 1908 à 1914, ayant opté pour un mix des versions de 1878 et
1880, Daniel Harding en a donné une interprétation au cordeau, toute en
tensions, extension et d’un lyrisme effervescent, tandis que les Münchner
Philharmoniker se sont montrés virtuoses, d’une homogénéité saisissante - Allegro initial ample et solennel, Andante mystérieux et épique, vélocité hallucinante du Scherzo, finale sonnant tel un orgue aux
couleurs mouvantes et luminescentes -, avec ses cuivres rutilants,
particulièrement le cor solo Mathias Piñeira, omniprésent, d’une sûreté à toute épreuve et
aux sonorités profondes et veloutées, ce qui lui a valu d’être chaudement
félicité par le chef à la fin de l’exécution, ainsi que par le public, qui
lui a réservé une ovationné debout lorsque Harding l’a invité à saluer -, tandis
que les bois se sont imposés par leur vélocité et leur sonorités soyeuses, et
que les cordes ont rivalisé de panache et de syncrétisme, altos,
violoncelles et contrebasses onctueuses, violons flamboyants, ce que l’auditeur
a pu plus largement apprécier dans le plaisir polyphonique, le quintette étant
réparti à l’allemande, premiers et seconds violons se faisant face, séparés par
violoncelles et altos, contrebasses derrière ces derniers.
En première partie de programme, les Münchner Philharmoniker ont donné la création française d’une commande conjointe de l’orchestre bavarois, qui l’a créée dans sa salle le 10 avril 2024, de la Philharmonie de Paris et de l’Elbphilharmonie de Hambourg au compositeur français Thierry Escaich (né en 1965) à qui la Fondation Reine Elisabeth de Belgique a commandé l’œuvre concertante en création de la finale du Concours Reine Elisabeth 2024 consacré au violon. Il s’est agi cette semaine du Concerto n° 2 pour violon et orchestre intitulé « Au-delà du rêve », œuvre de vingt-huit minutes écrite pour Renaud Capuçon, son créateur, dans lequel l'instrument solo est continuellement présent.
« Plongée dans un monde onirique en métamorphose permanente »
(Escaich), cette partition explore l’univers du rêve selon un processus en
constante évolution. Construite en trois mouvements continus porteurs d’un
discours organique cheminant à travers des paysages sonores particulièrement
animés alternant moments éthérés et de transe, fantasques et brûlants, et l’on
se laisse opportunément porter par une inépuisable énergie motrice qui gouverne
heureusement l’œuvre non exempte d’une certaine longueur, ne surprend à aucun moment,
demeurant sagement dans le domaine du connu, même lorsque le compositeur se
laisse porter à des effets « modernistes », comme l’usage du pizz. bartók aux contrebasses, tandis que le soliste, Renaud Capuçon, s’est
donné avec ferveur dans une partition qu’il a faite clairement sienne, la
défendant avec conviction au point de ne pas offrir de bis à son public pourtant fervent.
Bruno Serrou
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