Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Mercredi 17 avril 2024
Curieux programme cette semaine à
la Philharmonie de Paris de l’Orchestre de Paris brillamment dirigé par Andrés
Orozco-Estrada, avec deux ouvres formant un violent contraste, une courte
création française raffinée, « à la manière de » au lyrisme intense, Operascape d’Unsuk Chin qui a préludé à la l’agressive
et primitive cantate Carmina Burana de Carl Orff brute
de fonderie dont le succès demeure pour moi un mystère, mais vaillamment
exécutée par l’Orchestre de Paris et ses trois chœurs, et des solistes pleins
de panache
N’ayant personnellement aucune affinité avec Carl Orff, compositeur officiel du régime nazi qui lui commanda les trop célèbres Carmina Burana qui constituaient l’attraction du concert, j’avais décidé d’assister à ce concert dans le but de découvrir une œuvre nouvelle de la compositrice coréenne Unsuk Chin (née en 1961), invitée centrale du Festival Présences de Radio France 2023 programmée cette semaine par l’Orchestre de Paris. Ce dont je ne m’étais pas rendu compte, c’est que cette pièce ne durait que huit minutes et de ce fait ne faisait que préluder à la page de résistance, si je puis dire, de la soirée de concert plutôt courte puisqu’atteignant à peine quatre vingt dix minutes. Les huit minutes d’Operascape (Paysage d’opéra) de Chin, commande des Philharmonie de Paris - Orchestre de Paris, Bayerische Staatorchester, Fondacao OSESP, Esprit Orchestra et Tangyeong International Music Foundation créée le 6 novembre 2023 au Théâtre national de Munich par l’Orchestre de l’Etat de Bavière dirigé par Kent Nagano, sont passées à la vitesse d’un éclair empli de poésie, ne laissant pas même le temps de prendre la mesure du prégnant et délectable plaisir que suscite l’écriture foisonnante de la compositrice, avec son orchestration colorée, sensuelle, voire ensorcelante qui comble l’oreille et les sens de l’auditeur avec ses élans lyriques dont l’originalité est imprégnée de miroitements sonores originaux renvoyant néanmoins à l’histoire de l’opéra avec ses alliages et son expressivité puisant à ses sources. Les pupitres onctueux, précis et virtuoses de l’Orchestre de Paris dextrement dirigés par le chef colombien de 46 ans Andrés Orozco-Estrada qui de toute évidence s’est régalé dans la partition de Chun qu’il a fait saluer à la fin de l’exécution en présentant par deux fois au public le conducteur.
Le temps d’une pause nécessaire au départ de quelques pupitres de l’orchestre et à l’installation des impressionnants effectifs choraux, Andrés Orozco-Estrada lançait d’une baguette fièrement dressée comme un « I » avant de l’abaisser sèchement pour lancer musiciens et choristes dans le trop fameux « O Fortuna Imperatrix Mundi » (Ô Fortune, Impératrice du Monde) qui ouvre les Carmina Burana version Carl Orff (1895-1981) réalisée en 1936, l’année de la « Nuit de Cristal » et qui sera repris plus brièvement dans la conclusion de la partition après une heure de rythmes motoriques binaires, d’accords primitifs et de marches belliqueuses menées au pas de l’oie, loin en tout cas des élans chaudement profanes et érotiques des chansons à boire et à amer des originaux médiévaux découverts en 1803 par un bibliothécaire dans les archives du monastère de Benediktbeuern en Haute-Bavière. Ce premier volet du diptyque des Trionfi d’Orff illustre en effet vingt-quatre poèmes médiévaux tirés des Chants de Beuern (Carmina Burana). Le texte utilisé par Orff qui associe bas latin, moyen et haut allemand et vieux français traite de sujets universels, la fortune, la nature éphémère de la vie, la joie suscitée par la sève printanière, les plaisirs de la chair, le jeu, la luxure… Le succès sans faille de cette œuvre conçue pour flatter les instincts primaires quasi tribaux de ses auditeurs reste pour moi un mystère d’autant plus accablant que Carl Orff, personnage particulièrement opportuniste, composa expressément ses Carmina Burana pour répondre à l’attente des dirigeants nazis, n’hésitant pas à rebondir sur la vague brune pour faire carrière et s’imposer dans la Nouvelle Allemagne parmi l’élite des compositeurs qui comptaient, et, tandis que Richard Strauss, Hans Pfitzner et Werner Egk eurent droit à des procès en dénazification, Orff, quant à lui, bien qu’il fût assurément le plus corrompu de tous, parvint bizarrement à y échapper.
Bruno Serrou
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