Lorin Maazel (1930-2014). Photo : DR
Au terme de l’une des plus longues
et brillantes carrières de chef d’orchestre de l’Histoire, Lorin Maazel est mort
le 13 juillet 2014 des suites d’une pneumonie dans le ranch qu’il possédait
dans l’Etat de Virginie, aux Etats-Unis, et où il organisait le Festival de
Castleton depuis 2009. Le 28 juin 2014, il y avait dirigé pour la toute
dernière fois dans Madame Butterfly
de Giacomo Puccini.
Lorin Maazel dirigeant Anton Bruckner au Royal Albert Hall durant les Prom's de Londres 2013. Photo : DR
Chef réputé autoritaire et plus
préoccupé de battre la mesure au détriment de la musicalité et du phrasé, mais
aussi respecté et admiré pour sa profonde connaissance du répertoire romantique
et postromantique, Lorin Maazel n’en appartient pas moins à cette riche génération
de chefs d’orchestre nés au tournant des années 1920-1930 qui ont immédiatement
succédé aux Karel Ancerl, Leonard Bernstein, Sergiu Celibidache, André Cluytens,
Ferenc Fricsay, Carlo Maria Giulini, Herbert von Karajan, Rudolf Kempe, Kirill Kondrachine,
Rafael Kubelik, Evgueni Mravinski, Vaclav Neumann, Georg Solti, et qui compte
dans ses rangs des chefs comme Claudio Abbado, Pierre Boulez, Colin Davis, Bernard
Haitink, Carlos Kleiber, Zubin Mehta, Giuseppe Sinopoli…
A l’instar d’un Zubin Mehta, dirigeant toujours de mémoire, il aura compté parmi les chefs les plus populaires de sa génération, grâce notamment au cinéma, puisque Joseph Losey et Rolf Liebermann ont fait appel à lui pour diriger la bande son de leur Don Giovanni de Mozart en 1979 avec Ruggero Raimondi, José van Dam, Tereza Berganza et Kiri Te Kanawa, Francesco Rosi pour sa Carmen de Bizet avec Julia Migenes, Placido Domingo et Ruggero Raimondi en 1983, tous deux avec l’Orchestre National de France, et Franco Zeffirelli pour son Otello de Verdi en 1985 avec Placido Domingo et Katia Ricciarelli avec les Chœurs et l’Orchestre de la Scala de Milan. Trois bandes son qui ne sont pas parmi les meilleurs enregistrements de chacune de ces œuvres mais qui ont pour elles le fait de faire partie intrinsèque de trois opéras filmés en décors naturels et en cinémascope. Je me souviens pour ma part de deux somptueuses soirées d’été aux Chorégies d’Orange, un extraordinaire Requiem de Berlioz en 1974 qu'il a dirigé en smoking blanc à la tête du Chœur de Radio France et de l’Orchestre National de France, et d’un Otello de Verdi un an plus tard avec Jon Vickers et Teresa Zylis-Gara, toujours avec le National…
Joseph Losey, extrait du film Don Giovanni de Mozart (1979). Photo : DR
A l’instar d’un Zubin Mehta, dirigeant toujours de mémoire, il aura compté parmi les chefs les plus populaires de sa génération, grâce notamment au cinéma, puisque Joseph Losey et Rolf Liebermann ont fait appel à lui pour diriger la bande son de leur Don Giovanni de Mozart en 1979 avec Ruggero Raimondi, José van Dam, Tereza Berganza et Kiri Te Kanawa, Francesco Rosi pour sa Carmen de Bizet avec Julia Migenes, Placido Domingo et Ruggero Raimondi en 1983, tous deux avec l’Orchestre National de France, et Franco Zeffirelli pour son Otello de Verdi en 1985 avec Placido Domingo et Katia Ricciarelli avec les Chœurs et l’Orchestre de la Scala de Milan. Trois bandes son qui ne sont pas parmi les meilleurs enregistrements de chacune de ces œuvres mais qui ont pour elles le fait de faire partie intrinsèque de trois opéras filmés en décors naturels et en cinémascope. Je me souviens pour ma part de deux somptueuses soirées d’été aux Chorégies d’Orange, un extraordinaire Requiem de Berlioz en 1974 qu'il a dirigé en smoking blanc à la tête du Chœur de Radio France et de l’Orchestre National de France, et d’un Otello de Verdi un an plus tard avec Jon Vickers et Teresa Zylis-Gara, toujours avec le National…
Lorin Maazel a dirigé l'un des plus grands enregistrements de l'histoire du disque, l'Enfant et les sortilèges et l'Heure espagnole de Maurice Ravel. Photo : (c) Bruno Serrou
… Un Orchestre National de France qui
restera la phalange française qu’il aura le plus dirigée et le plus aimée, enregistrant dès 1960 pour DG avec cet orchestre qui portait encore le nom d’Orchestre
National de la RTF (Radiotélévision française) l’Enfant et les Sortilèges et, en 1963, l’Heure espagnole, les deux opéras de Maurice Ravel, deux
enregistrements qui restent plus d’une demi-siècle plus tard parmi les plus
grands disques de l’Histoire. Il sera premier chef invité de cet orchestre de
1977 à 1988 puis directeur musical jusqu’en 1990…
Lorin Maazel à l'âge de 10 ans. Photo : DR
Il faut dire que Lorin Maazel
excellait dans le répertoire français, comme si sa naissance à
Neuilly-sur-Seine, le 6 mars 1930, avait imprégné à jamais son sang d’enfant
des Etats-Unis. Petit-fils d’un violoniste juif russe émigré aux Etats-Unis qui
avait été premier violon au Metropolitan Opera de New York, il avait commencé
ses études de piano et de violon dès l’âge de 5 ans auprès de Karl Moldrem, et,
deux ans plus tard, avait abordé la direction d’orchestre à Pittsburgh avec
Vladimir Bakaleinikoff, alors chef associé de l'Orchestre Philharmonique de Los
Angeles. Enfant prodige, il dirige à New York à 9 ans pour la première fois en public
un orchestre d’étudiants puis partage la direction d’un concert avec Leopold
Stokowski à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Los Angeles. Moins de deux
ans plus tard, Arturo Toscanini lui confie son Orchestre Symphonique
de la NBC, et prend en charge les concerts d’été de l’Orchestre Philharmonique
de New York avec lequel il se produit devant huit mille cinq cents spectateurs
au Lewisohn Stadium à Manhattan. Hôte des plus grands orchestres des
Etats-Unis, Chicago, Cleveland, qui l’invite dès 1943, Los Angeles,
Philadelphie, San Francisco, il n’en poursuit pas moins de 1946 à 1950 ses
études générales à l’Université de Pittsburgh, en mathématiques, philosophie,
langues, et musicales (harmonie, contrepoint, composition).
Photo : (c) Roger Picard
Parallèlement, il
est violoniste de l’Orchestre de Pittsburgh et premier violon du Fine Arts
Quartet de Pittsburgh. En 1951 et 1952, Serge Koussevitzky l’invite au Festival
de Tanglewood, tandis que la Fondation Fulbright lui offre la possibilité de se
rendre en Italie, où il étudie la musique baroque. Résident à Milan, il fait
ses débuts de chef en Europe le 21 décembre 1952 au Théâtre Bellini de Catane,
où il remplace Pierre Dervaux, souffrant.
En 1955, il dirige un concert à la
Scala de Milan, un autre à Vienne, puis à Berlin en 1956. En 1960, pour ses
trente ans, Wieland Wagner l’appelle pour diriger Lohengrin au Festival de Bayreuth. Il devient ainsi à la fois le plus jeune
chef et le premier américain à se produire dans la fosse du Festspielhaus. La même
année, il fait ses débuts aux Prom’s de Londres avec le BBC Symphony Orchestra
dans la Symphonie n° 2 « Résurrection » de Mahler. En
1961, en Australie, et en 1962, aux Etats-Unis, il dirige les tournées de l’Orchestre
National de l’ORTF, et dirige Don
Giovanni de Mozart au Metropolitan Opera. En 1963, il débute au Festival de
Salzbourg dans les Noces de Figaro de
Mozart et au Japon. En 1964, il succède à Ferenc Fricsay à la tête de l’Orchestre
Symphonique de la Radio de Berlin, où il restera jusqu’en 1975, et en 1965, à
la direction du Deutsche Oper de Berlin, fonction qu’il assume jusqu’en 1971.
Lorin Maazel à 25 ans. Photo : DR
De
1970 à 1972, il est chef associé au New Philharmonia Orchestra de Londres auprès
d’Otto Klemperer, avant de succéder à George Szell, après deux ans d’intérim de
Pierre Boulez, à la direction de l’Orchestre de Cleveland avant de céder sa
place à Christoph von Dohnanyi en 1982. Parallèlement, il est premier chef
invité de l’Orchestre National de France, et, à partir de 1982, directeur de l’Opéra
de Vienne, fonction à laquelle il renonce au bout de deux ans dans un climat délétère,
en conflit avec les musiciens de l’orchestre. Il n’en dirigera pas moins
souvent l’Orchestre Philharmonique de Vienne qu’il dirige entre autres dans
onze Concerts du Nouvel An, entre 1980 et 2005. En 1984, il est nommé
conseiller musical de l’Orchestre Symphonique de Pittsburgh avec lequel il se
produit notamment au Théâtre du Châtelet dans le cadre d’un Festival
International d’Orchestres, et dont il est ensuite directeur musical de 1988 à
1996. Cette même année 1988, il occupe les mêmes fonctions à l’Orchestre
National de France jusqu’en 1990.
Lorin Maazel, directeur musical de l'Orchestre de Cleveland dans les années 1972-1982. Photo : (c) Cleveland Orchestra
En 1993, Lorin Maazel prend la direction de l’Orchestre
Symphonique de la Radio Bavaroise, puis, en 2002, il succède à Kurt Masur à la
tête de l’Orchestre Philharmonique de New York, qu’il dirigera jusqu’en Corée
du Nord dans le cadre d’une tournée en Asie, avant de céder sa place à Alan Gilbert
en juin 2009. Trois ans plus tôt, il avait fondé l’Orquesta de la Comunidad
Valenciana en Espagne dont il est le directeur musical, et, à partir de 2011,
il est directeur musical de l’Orchestre Philharmonique de Munich, deux orchestres
auxquels il est contraint de renoncer au printemps 2014 en raison de son état
de santé qui l’épuise.
Lorin Maazel aux saluts de la création de Un re in ascolto de Luciano Berio, à Salzbourg en août 1984, avec Theo Adam et Helmut Lohner (deuxième et troisième à partir de la droite de la photo). Photo : (c) Festival de Salzbourg
Lorin Maazel se sera ainsi produit avec deux
cents orchestres dans le monde, y compris les plus grands. Seul l’un d’entre
eux, et le plus grand de tous, le Philharmonique de Berlin se sera refusé à
lui. En effet, alors qu’il espérait succéder à Herbert von Karajan, les
Berliner préfèrent confier leur devenir artistique à Claudio Abbado. Vexé, le
chef américain décide de ne plus jamais se produire avec la phalange la plus
prestigieuse du monde.
Lorin Maazel aura dirigé plus de
sept mille concerts et représentations d’opéras, donnant jusqu’à la fin de sa
vie plus de cent programmes par an. Il aura également été un acteur de la
création musicale, dirigeant notamment les premières mondiales des opéras Ulysse de Luigi Dallapiccola et Un re in ascolto de Luciano Berio, dont il avait créé dès 1951 les Due Pizzi pour violon et piano, ainsi
que des œuvres de John Adams, Frank Michael Beyer, Rodion Chtchedrine, Jacob
Druckman, Detlev Glanert, Karl Amadeus Hartmann et Krzysztof Penderecki. Alors
qu’il était directeur de l’Orchestre National de France, il avait dirigé en
1985 la création du concerto pour violon et orchestre l’Arbre des songes d’Henri Dutilleux avec son dédicataire, Isaac
Stern. Il avait lui-même composé un opéra, 1984
d’après le roman de George Orwell, dont il avait dirigé la création au Covent
Garden de Londres le 3 mai 2005 dans une mise en scène de Robert Lepage et qui avait reçu les foudres de la critique britannique.
La dernière fois que j’ai vu diriger
Lorin Maazel, c’était au Théâtre des Champs-Elysées dans les Symphonies n° 5, 6 et 7 de Gustav Mahler à
la tête du Philharmonia de Londres. C’était en mai 2011. Maazel y avait chanté en
poète panthéiste du son, de la matière et de la pensée. Il avait dirigé le
geste concis et précis, partition ouverte mais qu’il ne regardait guère tout en
tournant toujours les pages au bon moment…
Pourtant, ses derniers
enregistrements mahlériens avaient particulièrement déçu, lourds, sans saillies
ni énergie, ses interprétations étaient gonflées de pathos, dégoulinants d’emphase.
Maazel n’en a pas moins à la tête d’une discographie qui compte quantité de
joyaux, à commencer par les deux opéras de Maurice Ravel avec le National, que
DG a réunis dans un même coffret enrichi du Capriccio
espagnol de Rimski-Korsakov avec le Philharmonique de Berlin et du Chant du rossignol de Stravinski avec l’Orchestre
Symphonique de la Radio de Berlin. Parmi ses plus grands disques, ceux qu’il a
réalisés pour DG entre 1957 et 1962 réunis en un coffret de 8CD avec entre
autres les Symphonies n° 5 et 6 de Beethoven, la Symphonie n° 3 de Brahms, les Symphonies
n° 2 à 8 de Schubert, les Symphonies n° 1, 28 et 41 de Mozart, les Symphonies n° 4 et 5 de Mendelssohn, les Pins de Rome de Respighi et Nuit sur le
Mont-Chauve de Moussorgski avec les Berliner Philharmoniker et le Young person’s guide to the orchestra de Britten avec l’Orchestre
National de la RTF.
Photo : (c) Bruno Serrou
Retenons aussi ses premières intégrales des symphonies de Sibelius (1963-1968) et de Tchaïkovski (1963-1965) avec l’Orchestre Philharmonique de Vienne parues chez Decca, Porgy and Bess de George Gershwin avec l’Orchestre
de Cleveland (Decca, 1975), la Symphonie
lyrique d’Alexandre Zemlinsky avec Julia Varady, Dietrich Fischer-Dieskau
et le Philharmonique de Berlin (DG, 1981), Un
re in ascolto de Berio (Col legno, 1999), et, surtout, sa remarquable
intégrale des opéras de Giacomo Puccini pour le label Sony Classical.
Bruno Serrou
Merci pour cet hommage.
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