lundi 14 juillet 2014

Lorin Maazel est mort dimanche 13 juillet 2014 des suites d’unepneumonie, qui met un terme à une carrière de trois-quarts de siècle dedirection d’orchestre

Lorin Maazel (1930-2014). Photo : DR

Au terme de l’une des plus longues et brillantes carrières de chef d’orchestre de l’Histoire, Lorin Maazel est mort le 13 juillet 2014 des suites d’une pneumonie dans le ranch qu’il possédait dans l’Etat de Virginie, aux Etats-Unis, et où il organisait le Festival de Castleton depuis 2009. Le 28 juin 2014, il y avait dirigé pour la toute dernière fois dans Madame Butterfly de Giacomo Puccini.

Lorin Maazel  dirigeant Anton Bruckner au Royal Albert Hall durant les Prom's de Londres 2013. Photo : DR

Chef réputé autoritaire et plus préoccupé de battre la mesure au détriment de la musicalité et du phrasé, mais aussi respecté et admiré pour sa profonde connaissance du répertoire romantique et postromantique, Lorin Maazel n’en appartient pas moins à cette riche génération de chefs d’orchestre nés au tournant des années 1920-1930 qui ont immédiatement succédé aux Karel Ancerl, Leonard Bernstein, Sergiu Celibidache, André Cluytens, Ferenc Fricsay, Carlo Maria Giulini, Herbert von Karajan, Rudolf Kempe, Kirill Kondrachine, Rafael Kubelik, Evgueni Mravinski, Vaclav Neumann, Georg Solti, et qui compte dans ses rangs des chefs comme Claudio Abbado, Pierre Boulez, Colin Davis, Bernard Haitink, Carlos Kleiber, Zubin Mehta, Giuseppe Sinopoli…

Joseph Losey, extrait du film Don Giovanni de Mozart (1979). Photo : DR

A l’instar d’un Zubin Mehta, dirigeant toujours de mémoire, il aura compté parmi les chefs les plus populaires de sa génération, grâce notamment au cinéma, puisque Joseph Losey et Rolf Liebermann ont fait appel à lui pour diriger la bande son de leur Don Giovanni de Mozart en 1979 avec Ruggero Raimondi, José van Dam, Tereza Berganza et Kiri Te Kanawa, Francesco Rosi pour sa Carmen de Bizet avec Julia Migenes, Placido Domingo et Ruggero Raimondi en 1983, tous deux avec l’Orchestre National de France, et Franco Zeffirelli pour son Otello de Verdi en 1985 avec Placido Domingo et Katia Ricciarelli avec les Chœurs et l’Orchestre de la Scala de Milan. Trois bandes son qui ne sont pas parmi les meilleurs enregistrements de chacune de ces œuvres mais qui ont pour elles le fait de faire partie intrinsèque de trois opéras filmés en décors naturels et en cinémascope. Je me souviens pour ma part de deux somptueuses soirées d’été aux Chorégies d’Orange, un extraordinaire Requiem de Berlioz en 1974 qu'il a dirigé en smoking blanc à la tête du Chœur de Radio France et de l’Orchestre National de France, et d’un Otello de Verdi un an plus tard avec Jon Vickers et Teresa Zylis-Gara, toujours avec le National…

Lorin Maazel a dirigé l'un des plus grands enregistrements de l'histoire du disque, l'Enfant et les sortilèges et l'Heure espagnole de Maurice Ravel. Photo : (c) Bruno Serrou

… Un Orchestre National de France qui restera la phalange française qu’il aura le plus dirigée et le plus aimée, enregistrant dès 1960 pour DG avec cet orchestre qui portait encore le nom d’Orchestre National de la RTF (Radiotélévision française) l’Enfant et les Sortilèges et, en 1963, l’Heure espagnole, les deux opéras de Maurice Ravel, deux enregistrements qui restent plus d’une demi-siècle plus tard parmi les plus grands disques de l’Histoire. Il sera premier chef invité de cet orchestre de 1977 à 1988 puis directeur musical jusqu’en 1990…

Lorin Maazel à l'âge de 10 ans. Photo : DR

Il faut dire que Lorin Maazel excellait dans le répertoire français, comme si sa naissance à Neuilly-sur-Seine, le 6 mars 1930, avait imprégné à jamais son sang d’enfant des Etats-Unis. Petit-fils d’un violoniste juif russe émigré aux Etats-Unis qui avait été premier violon au Metropolitan Opera de New York, il avait commencé ses études de piano et de violon dès l’âge de 5 ans auprès de Karl Moldrem, et, deux ans plus tard, avait abordé la direction d’orchestre à Pittsburgh avec Vladimir Bakaleinikoff, alors chef associé de l'Orchestre Philharmonique de Los Angeles. Enfant prodige, il dirige à New York à 9 ans pour la première fois en public un orchestre d’étudiants puis partage la direction d’un concert avec Leopold Stokowski à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Los Angeles. Moins de deux ans plus tard, Arturo Toscanini lui confie son Orchestre Symphonique de la NBC, et prend en charge les concerts d’été de l’Orchestre Philharmonique de New York avec lequel il se produit devant huit mille cinq cents spectateurs au Lewisohn Stadium à Manhattan. Hôte des plus grands orchestres des Etats-Unis, Chicago, Cleveland, qui l’invite dès 1943, Los Angeles, Philadelphie, San Francisco, il n’en poursuit pas moins de 1946 à 1950 ses études générales à l’Université de Pittsburgh, en mathématiques, philosophie, langues, et musicales (harmonie, contrepoint, composition). 

Photo : (c) Roger Picard

Parallèlement, il est violoniste de l’Orchestre de Pittsburgh et premier violon du Fine Arts Quartet de Pittsburgh. En 1951 et 1952, Serge Koussevitzky l’invite au Festival de Tanglewood, tandis que la Fondation Fulbright lui offre la possibilité de se rendre en Italie, où il étudie la musique baroque. Résident à Milan, il fait ses débuts de chef en Europe le 21 décembre 1952 au Théâtre Bellini de Catane, où il remplace Pierre Dervaux, souffrant.


En 1955, il dirige un concert à la Scala de Milan, un autre à Vienne, puis à Berlin en 1956. En 1960, pour ses trente ans, Wieland Wagner l’appelle pour diriger Lohengrin au Festival de Bayreuth. Il devient ainsi à la fois le plus jeune chef et le premier américain à se produire dans la fosse du Festspielhaus. La même année, il fait ses débuts aux Prom’s de Londres avec le BBC Symphony Orchestra dans la Symphonie n° 2 « Résurrection » de Mahler. En 1961, en Australie, et en 1962, aux Etats-Unis, il dirige les tournées de l’Orchestre National de l’ORTF, et dirige Don Giovanni de Mozart au Metropolitan Opera. En 1963, il débute au Festival de Salzbourg dans les Noces de Figaro de Mozart et au Japon. En 1964, il succède à Ferenc Fricsay à la tête de l’Orchestre Symphonique de la Radio de Berlin, où il restera jusqu’en 1975, et en 1965, à la direction du Deutsche Oper de Berlin, fonction qu’il assume jusqu’en 1971. 

Lorin Maazel à 25 ans. Photo : DR

De 1970 à 1972, il est chef associé au New Philharmonia Orchestra de Londres auprès d’Otto Klemperer, avant de succéder à George Szell, après deux ans d’intérim de Pierre Boulez, à la direction de l’Orchestre de Cleveland avant de céder sa place à Christoph von Dohnanyi en 1982. Parallèlement, il est premier chef invité de l’Orchestre National de France, et, à partir de 1982, directeur de l’Opéra de Vienne, fonction à laquelle il renonce au bout de deux ans dans un climat délétère, en conflit avec les musiciens de l’orchestre. Il n’en dirigera pas moins souvent l’Orchestre Philharmonique de Vienne qu’il dirige entre autres dans onze Concerts du Nouvel An, entre 1980 et 2005. En 1984, il est nommé conseiller musical de l’Orchestre Symphonique de Pittsburgh avec lequel il se produit notamment au Théâtre du Châtelet dans le cadre d’un Festival International d’Orchestres, et dont il est ensuite directeur musical de 1988 à 1996. Cette même année 1988, il occupe les mêmes fonctions à l’Orchestre National de France jusqu’en 1990.

Lorin Maazel, directeur musical de l'Orchestre de Cleveland dans les années 1972-1982. Photo : (c) Cleveland Orchestra

En 1993, Lorin Maazel prend la direction de l’Orchestre Symphonique de la Radio Bavaroise, puis, en 2002, il succède à Kurt Masur à la tête de l’Orchestre Philharmonique de New York, qu’il dirigera jusqu’en Corée du Nord dans le cadre d’une tournée en Asie, avant de céder sa place à Alan Gilbert en juin 2009. Trois ans plus tôt, il avait fondé l’Orquesta de la Comunidad Valenciana en Espagne dont il est le directeur musical, et, à partir de 2011, il est directeur musical de l’Orchestre Philharmonique de Munich, deux orchestres auxquels il est contraint de renoncer au printemps 2014 en raison de son état de santé qui l’épuise.  

Lorin Maazel aux saluts de la création de Un re in ascolto de Luciano Berio, à Salzbourg en août 1984, avec Theo Adam et Helmut Lohner (deuxième et troisième à partir de la droite de la photo). Photo : (c) Festival de Salzbourg

Lorin Maazel se sera ainsi produit avec deux cents orchestres dans le monde, y compris les plus grands. Seul l’un d’entre eux, et le plus grand de tous, le Philharmonique de Berlin se sera refusé à lui. En effet, alors qu’il espérait succéder à Herbert von Karajan, les Berliner préfèrent confier leur devenir artistique à Claudio Abbado. Vexé, le chef américain décide de ne plus jamais se produire avec la phalange la plus prestigieuse du monde.


Lorin Maazel aura dirigé plus de sept mille concerts et représentations d’opéras, donnant jusqu’à la fin de sa vie plus de cent programmes par an. Il aura également été un acteur de la création musicale, dirigeant notamment les premières mondiales des opéras Ulysse de Luigi Dallapiccola et Un re in ascolto de Luciano Berio, dont il avait créé dès 1951 les Due Pizzi pour violon et piano, ainsi que des œuvres de John Adams, Frank Michael Beyer, Rodion Chtchedrine, Jacob Druckman, Detlev Glanert, Karl Amadeus Hartmann et Krzysztof Penderecki. Alors qu’il était directeur de l’Orchestre National de France, il avait dirigé en 1985 la création du concerto pour violon et orchestre l’Arbre des songes d’Henri Dutilleux avec son dédicataire, Isaac Stern. Il avait lui-même composé un opéra, 1984 d’après le roman de George Orwell, dont il avait dirigé la création au Covent Garden de Londres le 3 mai 2005 dans une mise en scène de Robert Lepage et qui avait reçu les foudres de la critique britannique.


La dernière fois que j’ai vu diriger Lorin Maazel, c’était au Théâtre des Champs-Elysées dans les Symphonies n° 5, 6 et 7 de Gustav Mahler à la tête du Philharmonia de Londres. C’était en mai 2011. Maazel y avait chanté en poète panthéiste du son, de la matière et de la pensée. Il avait dirigé le geste concis et précis, partition ouverte mais qu’il ne regardait guère tout en tournant toujours les pages au bon moment…


Pourtant, ses derniers enregistrements mahlériens avaient particulièrement déçu, lourds, sans saillies ni énergie, ses interprétations étaient gonflées de pathos, dégoulinants d’emphase. Maazel n’en a pas moins à la tête d’une discographie qui compte quantité de joyaux, à commencer par les deux opéras de Maurice Ravel avec le National, que DG a réunis dans un même coffret enrichi du Capriccio espagnol de Rimski-Korsakov avec le Philharmonique de Berlin et du Chant du rossignol de Stravinski avec l’Orchestre Symphonique de la Radio de Berlin. Parmi ses plus grands disques, ceux qu’il a réalisés pour DG entre 1957 et 1962 réunis en un coffret de 8CD avec entre autres les Symphonies n° 5 et 6 de Beethoven, la Symphonie n° 3 de Brahms, les Symphonies n° 2 à 8 de Schubert, les Symphonies n° 1, 28 et 41 de Mozart, les Symphonies n° 4 et 5 de Mendelssohn, les Pins de Rome de Respighi et Nuit sur le Mont-Chauve de Moussorgski avec les Berliner Philharmoniker et le Young person’s guide to the orchestra de Britten avec l’Orchestre National de la RTF.

Photo : (c) Bruno Serrou

Retenons aussi ses premières intégrales des symphonies de Sibelius (1963-1968) et de Tchaïkovski (1963-1965) avec l’Orchestre Philharmonique de Vienne parues chez Decca, Porgy and Bess de George Gershwin avec l’Orchestre de Cleveland (Decca, 1975), la Symphonie lyrique d’Alexandre Zemlinsky avec Julia Varady, Dietrich Fischer-Dieskau et le Philharmonique de Berlin (DG, 1981), Un re in ascolto de Berio (Col legno, 1999), et, surtout, sa remarquable intégrale des opéras de Giacomo Puccini pour le label Sony Classical.


Bruno Serrou

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