Visite
du chantier de la Philharmonie de Paris à six mois de son ouverture. Paris, Philharmonie de Paris, vendredi 4 juillet 2014
Vue d'ensemble de la Philharmonie de Paris depuis l'entrée principale. Photos : (c) Bruno Serrou
A
six mois de son inauguration, la Philharmonie de Paris a encore l’aspect d’une
coquille vide et difforme. Ses entrailles ne sont en effet occupées que par un énorme squelette de
4500 tonnes de charpentes métalliques soutenues par de volumineux échafaudages aux allures de gigantesque châssis de dragon, un impressionnant Fafner de cinéma, en quelque sorte. Un plateau encore dans
les limbes, quelques traces de supports prévus pour recevoir les 2400
fauteuils appelés à recevoir le public, des fils électriques et des canalisations qui pendent un peu partout, des escaliers aux marches écornées, de grandes flaques d’eau jonchant un sol de
béton brut dénotent un chantier encore loin de la finition. Tout, pourtant, devrait
être terminé dans deux mois, au plus tard première décade de septembre, pour laisser place
aux acousticiens chargés des réglages et des tests grandeur réelle qui doivent être
réalisés avec des orchestres dans la perspective du premier concert, prévu le 15 janvier 2015, confié à l’Orchestre de Paris dont la Philharmonie sera à
partir de cette date à la fois le lieu de résidence et le siège social, à l’instar
de l’Ensemble Intercontemporain implanté dans l'enceinte de la Cité de la Musique voisine rebaptisée pour l’occasion
Philharmonie 2.
Escalators d'accès à la Philharmonie de Paris
Avec
cent cinquante concerts, cinquante-cinq pour cent de la programmation de la Philharmonie
sera réservée à la musique classique courant du répertoire baroque jusqu’à la
création contemporaine. Le reste du calendrier se répartira entre les « musiques
actuelles, amplifiées, jazz et du monde », à raison de soixante-dix
spectacles, soit vingt-sept pour cent du total, et autres « musiques urbaines »
auxquelles la maire de Paris, Anne Hidalgo, entend ouvrir les portes de la
Philharmonie, au grand dam de Pierre Boulez père spirituel de la Philharmonie de Paris, et aux activités pédagogiques, avec cinquante rendez-vous soit dix-huit
pour cent de la programmation consacrés à des productions qualifiées « familles,
participatives et jeunes publics ». Ce qui, avec une Salle Pleyel où la
musique classique sera bannie, l’Auditorium de Radio France, qui ouvrira en
novembre prochain où le classique ne représentera que cinquante pour cent de la
programmation, et le nouveau complexe dédié à la musique sur l’Île-Seguin à
Boulogne-Billancourt, trois complexes qui viennent s’ajouter au Zénith voisin de la Philharmonie, à l’Olympia, au Palais Omnisport de Paris-Bercy, au Cent-Quatre, à la Gaîté Lyrique, au Palais des Sports et au Stade de France, l’offre musicale s’avère dans sa globalité parisienne toujours plus favorable aux « musiques actuelles », terme largement répandu qui entend « ringardiser »
la musique qualifiée de « classique » et de « contemporaine » de
plus en plus déconsidérée (1) depuis une trentaine d’années par les édiles français dont le seul souci électoraliste
va à l’encontre de la créativité puisqu’il leur faut caresser leur électorat potentiel
dans le sens du poil, à l’instar du « panem
et circenses » (du pain et des jeux de cirque) des empereurs romains
dont le but clairement avoué était de flatter le peuple pour s’attirer sa
bienveillance…
Dessous de la Philharmonie de Paris
... Outre la diffusion de la musique
symphonique à des prix inférieurs de vingt à vingt-cinq pour cent à ceux
pratiqués par la Salle Pleyel, la Philharmonie entend encourager de nouvelles
pratiques musicales au service d’un public plus large, profitant de la
proximité d’une zone de chalandise qui avait jusqu’à présent peu accès à la
musique mais qui bénéficiait néanmoins de la présence depuis les
années 1990 des infrastructures de la Cité de la Musique et de la présence du
pôle pédagogique musical le plus exigeant de France, le Conservatoire National
Supérieur de Musique et de Danse de Paris.
Le grand escalier de la Philharmonie de Paris
Pour
en revenir au magnifique projet que constitue indubitablement cette nouvelle
salle qui permet à Paris de se placer au même niveau que Berlin, dont la
Philharmonie (1963) conçue par l’architecte Hans Scharoun a servi de modèle, Hambourg,
Londres, New York, Los Angeles, et nombre de mégapoles espagnoles, japonaises et chinoises,
alors que d’importants centres musicaux comme Vienne, Dresde, Prague, Milan,
Amsterdam, Leipzig se contentent de salles érigées au tournant du siècle
dernier il est vrai d’une qualité acoustique toujours inégalée, le volumineux
chantier implanté dans la partie sud-est du Parc de La Villette face à la
Grande-Halle entre la Cité de la Musique, future Philharmonie 2, et la Porte de
Pantin le long du boulevard périphérique intérieur en direction de la Porte de
la Villette semble loin d’être terminé, après cinquante-sept mois d’édification,
retardée par moult aléas financiers et mésententes entre les bailleurs de fonds que sont l’Etat (à hauteur de 45 %), la Ville de Paris (pour 45 %) et
la Région Île-de-France (les 10 % restants).
Point d'accès aux salles pédagogiques, salle de conférence et boutiques
L’on se souvient d’ailleurs de la
longue pause de plus d'un an qui suscita de nombreuses interrogations lorsque l’immense trou nécessaire
aux fondations du bâtiment resta à ciel ouvert sans le moindre signe de vie, au point que d’aucuns ont pu craindre que les pouvoirs publics transforment
le projet en parking…
Studio de répétition
Envisagée dès 2001 sur l’impulsion de Pierre Boulez
qui y voyait le moyen de parachever le pôle musical qu'il avait initié pour faire de Paris l’une des
grandes capitales internationales de la musique, programmée en 2002 concomitamment
par Jacques Chirac et Lionel Jospin, rivaux aux élections présidentielles, décidée
en octobre 2005 par le gouvernement Villepin, alors Premier ministre de la
présidence de Jacques Chirac, officiellement annoncée le 6 mars 2006 par le
ministre de la Culture Renaud Donnedieu de Vabres, le maire de Paris Bertrand
Delanoë et le directeur général de la Cité de la Musique Laurent Bayle le
jour-même de l’inauguration de la Salle Pleyel restaurée à grands frais pour être conforme aux normes acoustiques et de confort des grandes salles de concerts
européennes, confiée le 6 avril 2007, après un appel à candidature du 17
novembre 2006, à l’architecte français star Jean Nouvel là où l’on attendait
Christian de Portzamparc, déjà auteur du CNSMDP et de la Cité de la Musique et qui aurait dû finaliser dix ans plus tôt son projet avec la Philharmonie, la construction
de cette dernière a débuté en septembre 2009, avant d’être arrêtée entre février 2010 et
mars 2011 pour cause de désaccord entre les intervenants publics.
Studio de répétition
Ces
retards successifs ont conduit à reporter à deux reprises l’ouverture de la
Philharmonie. Initialement prévue en 2013, puis en 2014, l'inauguration devrait donc
se faire le mercredi 14 janvier 2015, prologue à un long week-end festif au cours duquel
seront présentées les diverses formes de concerts et de programmation, avec l’Orchestre
de Paris, le Chœur de l’Orchestre de Paris, l’Ensemble Intercontemporain, l’ensemble
baroque Les Arts florissants, des groupes de musique du monde, des séances d’éveil
musical (voir http://saison-2015.philharmoniedeparis.fr/agenda)… Outre l’Orchestre
de Paris et l’Ensemble Intercontemporain qui y ont sièges et bureaux, la Philharmonie sera la résidence de
l’Orchestre National d’Île-de-France et de l’Orchestre de Chambre de Paris.
Le grand studio de répétition
Le
bâtiment, dont le coût de construction a été multiplié par trois depuis l’évaluation
du premier devis estimé à 728 millions de francs (environ 110 millions d’euros)
en 2001 pour atteindre treize ans plus tard 381 millions d’euros, accueillera
les plus grands orchestres internationaux dans une salle de trente mille cinq
cents mètres cubes équipée d’un grand orgue de concert. L’acoustique, annoncée « inouïe », a été confiée à un Néo-zélandais, Harold Marshall, et à un
Japonais, Yasuhisa Toyota. La salle peut accueillir entre deux mille quatre cents et
trois mille six cent cinquante personnes selon la disposition de la scène,
centrale ou frontale. Le son devrait envelopper le spectateur,
rebondissant sur des nuages suspendus au plafond, réverbéré en fonction des réglages de volets latéraux et horizontaux, et circulant derrière les balcons
en lévitation, tandis que le chef d’orchestre ne sera séparé que de trente-deux
mètres du spectateur le plus éloigné. La grande salle sera également modulable pour permettre des configurations scénographiques multiples, les sièges étant en
outre amovibles afin de laisser le parterre libre et apte à recevoir un public
debout, à l’instar du Royal Albert Hall de Londres qui accueille dans ces conditions les fameux
Prom’s.
Le grand studio de répétition
L’édifice de la Philharmonie de Paris abritera également une salle d’exposition de huit cent mètres
carrés, une salle de conférence, rencontres, débats et tables-rondes de deux
cents places, deux grandes salles de répétitions, dont l’une aux dimensions de
la salle de concert, et cinq autres salles de répétition ou de formations de
cent à deux cent cinquante mètres carrés, un pôle pédagogique de deux mille mètres
carrés qui comprendra trois grandes salles de cours, deux salles d’éveil à la musique,
dix salles de pratique collective, un studio/atelier audiovisuel et une salle
de pique-nique, des locaux pour les orchestres résidents, dix studios de
travail pour solistes, chambristes, instrumentistes et compositeurs, dix loges
d’artistes, un studio d’enregistrement, des boutiques, deux restaurants dont un
panoramique, tandis que le toit du bâtiment sera ouvert au public qui pourra y déambuler à satiété sur des allées traversant des pelouses et y contempler la ville avant les
concerts et durant l’entracte.
Les gradins porteurs des fauteuils de la grande salle
Pour ce qui concerne l’accès, la Philharmonie
est dotée d’un parking souterrain de six cent dix places, la ligne de métro
M5 devrait voir ses cadences augmentées, ainsi que la ligne T3a du tramway, une gare du RER E est située aux abords du Parc
de La Villette du côté de la Cité des Sciences, et les marchands de merguez
plantés à la sortie du métro les soirs de concerts au Zénith devraient se voir
intimés l’ordre d’aller vendre leurs produits ailleurs.
Le mur réverbérant du fond de la grande salle
Il
convient d’ajouter à la Philharmonie de Paris les équipements déjà existants de la Cité
de la Musique, qui devient Philharmonie 2, et qui comprennent une salle de concert
modulable de neuf cents à mille cinq cents places, et qui accueillera concerts et récitals classiques et contemporains, et musiques amplifiées, un amphithéâtre
de deux cent cinquante places, deux grandes salles de répétition, dix loges d’artistes,
cinq espaces pédagogiques, une médiathèque, un restaurant et le Musée de
la Musique.
Le châssis du lustre central de la grande salle
Reste
à souhaiter que la date d’inauguration de ce gigantesque ensemble reste bel et
bien fixée au 14 janvier prochain…
Les combles
La grande salle
Le toit et le châssis du panneau porteur de la programmation
Les dessous du hall
Bruno Serrou
(Texte et photos)
Merci à Philippe Provensal qui a été mon guide patient et connaisseur tout au long de cette visite. Ses informations sont à la base de cet article.
1) Ainsi, le grand intellectuel-mélomane Laurent Joffrin, qui connaît si parfaitement la musique qu'il juge inutile d'assister au moindre concert, s'est exclamé doctement voilà quelques jours sur France Culture dans le cadre d'une émission animée par Alain Finkielkraut : « La musique atonale me paraît dans l'impasse. De toute façon personne ne l'écoute. En revanche, la modernité musicale s'est transportée dans la musique populaire. » (http://www.franceculture.fr/player/reecouter?play=4817596 à partir de 25mn).
1) Ainsi, le grand intellectuel-mélomane Laurent Joffrin, qui connaît si parfaitement la musique qu'il juge inutile d'assister au moindre concert, s'est exclamé doctement voilà quelques jours sur France Culture dans le cadre d'une émission animée par Alain Finkielkraut : « La musique atonale me paraît dans l'impasse. De toute façon personne ne l'écoute. En revanche, la modernité musicale s'est transportée dans la musique populaire. » (http://www.franceculture.fr/player/reecouter?play=4817596 à partir de 25mn).
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