Les Arcs, Bourg-Saint-Maurice / Savoie, Académie Festival de musique
des Arcs, dimanche 20, lundi 21, mardi 22 et mercredi 23 juillet 2014
Vue depuis Les Arcs 1800. Photo : (c) Bruno Serrou
Compositeur en résidence de la XLIe
édition du Festival de Musique des Arcs, station huppée de sports d’hiver qui,
l’été venu, se transforme en immense salle de concert, Martin Matalon suscite
la surprise et avive l’intérêt d’un public où se bousculent autant de fidèles que
de vacanciers occasionnels en présentant pour la toute première fois à 1800
mètres d’altitude des œuvres pour instruments avec électronique en temps réel.
Une vraie révolution qui conquiert un auditoire médusé qui tout en s’interrogeant
sur le fonctionnement de cette musique, est séduit par le résultat sonore qui
en résulte et le ressenti physique qu’il engendre. Après chaque concert, le
compositeur est sollicité de questions souvent judicieuses auxquelles il répond
à satiété de son accent gorgé de soleil.
Depuis neuf ans, l’Académie
Festival des Arcs met en effet un compositeur en résidence, sans exclusive
d’écoles, de styles et de nationalité. Seul critère, qu’il puisse nourrir
l’expérience musicale de festivaliers souvent profanes et toujours plus
nombreux, et de musiciens, vingt-sept professeurs et cent quatre vingts étudiants, en présentant des œuvres
chambristes et solistes programmées à chaque concert du soir. Installé en
France en 1993, Martin Matalon est à 55 ans un créateur à la maturité
rayonnante et à l’âme pédagogue, comme l’atteste sa classe de composition au
Conservatoire d’Aubervilliers. En outre, depuis 2002, il enchaîne les
résidences jusqu’en Norvège, ce qui lui permet d’être au contact de publics de
tous âges, de musiciens, étudiants, amateurs et professionnels, et de créer des
œuvres nouvelles.
Détente après concert. le compositeur Martin Matalon (né en 1958) et son épouse Eve Payeur, percussionniste. Photo : (c) Bruno Serrou
Compositeur
de grand talent, Matalon est un sorcier du son particulièrement inventif et
doué d’une riche musicalité. Sa venue aux Arcs constitue une petite révolution
pour les familiers de la station qui ont pour la première fois affaire à la
spatialisation de la musique via
l’informatique en temps réel, avec l’appui du GRAME, Centre de recherche
musicale de Lyon sur les plans logistique et outils de diffusion du son.
« Nous voulons faire découvrir à notre public une nouvelle façon d’écouter
la musique, propagée à travers l’espace pour envelopper l’auditeur et le saisir
jusqu’au tréfonds du corps », se félicite le violoniste Éric Crambes,
directeur du festival. « Présenter en deux semaines quinze de mes pièces
est une proposition à laquelle il est impossible de résister, s’enthousiasme
Matalon. D’autant que presque toutes sont interprétées par des musiciens avec
qui je n’avais jamais travaillé. Ce qui est formidable, car ma musique a des
chances nouvelles de se répandre plus largement par l’effet boule de neige initié
par ces rencontres d’artistes que je n’aurais pu côtoyer sans le
festival. »
Martin Matalon et son assistant informaticien Max Bruckert entouré d'enfants venus assister à la répétition de Traces II pour alto Centre Taillefer. Photo : (c) Bruno Serrou
Le compositeur, assisté de son informaticien du GRAME Max
Bruckert, présente notamment un cycle en devenir, Traces, dix pièces à ce jour qui sont autant d’études pour
instruments solo et informatique en temps réel, de l’accordéon au violoncelle,
en passant par l’alto, la clarinette, la contrebasse, le cor, la flûte, le
marimba, la voix. « D’autres suivront, prévient Matalon, Traces étant une suite d’œuvres de
chevet dont le genèse me suivra certainement ma vie durant. » Deux autres œuvres de Martin Matalon sont programmées, Del matiz al color pour huit violoncelles, qui réunira quatre professeurs et quatre de leurs élèves, et son second Concerto pour trompette et orchestre joué par son commanditaire, Romain Leleu.
Dimanche 20 juillet
Consacrée à la musique espagnole,
dont Martin Matalon, malgré ses origines argentines, est loin d’être un
héritier sa musique puisant en fait ses racines dans l’univers littéraire de
son compatriote Jorge Luis Borges (1899-1986), l’édition 2014 du Festival des
Arcs programme l’intégrale des Trio pour
violon, violoncelle et piano de Ludwig van Beethoven.
Les Arcs : deux enfants écoutent les Trios de Beethoven. Photo : (c) Bruno Serrou
Présentée dans la
salle de conférences de l’Hôtel du Golf, cette série attire une foule si
considérable que tous les concerts pourraient être doublés. Tant et si bien que
je n’ai pu personnellement assister qu’au premier d’entre eux, qui réunissait
les premier et huitième trios. Si le violoniste, Éric Crambes, et le
violoncelliste, Éric Levionnois, ont participé aux deux volets du programme,
cela n’a pas été le cas pour le piano, tenu dans le premier par Hervé N’Kaoua
et dans le second par Romano Pallottini. Sous le regard et les oreilles émerveillés
de deux jeunes enfants allongés sous le coffre du piano, le Trio n° 1 en mi bémol majeur op. 1/1, œuvre
d’un Beethoven de 23-25 ans déjà en pleine possession de son art, a été
interprété avec énergie sous la conduite des deux instruments à cordes, tandis
que le piano est apparu effacé et décharné. Ce qui n’a pas été le cas du Trio n° 8 en mi bémol majeur op. 38 de
1799-1800. Sous la Coupole d’Arcs 1600 pour le concert qui suivait, découragé
par une pluie violente, le public était rare. Pourtant, le programme était
attractif et varié.
Quintette de Luigi Boccherini. Photo : (c) Festival de Musique des Arcs
L’Espagne était bel et bien à l’honneur,
cette fois, malgré la présence au programme de l’Italien Luigi Boccherini (1743-1805)
et du Russe Mikhaïl Glinka (1804-1857). Du premier, Pablo Marquez (guitare), Éric
Crambes et Clémentine Bousquet (violons), Ludovic Levionnois (alto) et Bum Jun
Kim (violoncelle) ont donné du Quintette
pour guitare et cordes n° 4 en ré majeur « Fandango » G. 448 une
lecture vive et spontanée, enjolivée par les sonorités brillantes de la guitare
et par les couleurs brûlantes du violoncelle, tandis que la soprano Ruth
Rosique faisait une apparition surprise dans le finale jouant dextrement des castagnette
vêtue d’une robe noire de danseuse flamenco dont elle mimait les gestes avec justesse.
L’on retrouvait le guitariste argentin Pablo Marquez a joué trois pages
solistes d’autant de compositeurs d’origine ibérique, Luys de Narváez (1500-1555), Manuel de Falla (1876-1946) et Maurice Ohana
(1913-1992) auxquelles il a instillé éclat et poésie. En revanche, le Sextuor pour piano et cordes en mi bémol
majeur dit « Gran Sestetto
originale » composé en 1832 par Mikhaïl Glinka est apparu comme un véritable
pensum d’où seul ont émergé l’alto d’Isabelle Lequien et la contrebasse d’Eckhard
Rudolph. Mais c’est Traces VIII pour
violon et dispositif électronique en temps différé qui a été le moment fort de
ce programme. Composée en 2012, cette huitième partition du cycle Traces a été
créée le 5 mai 2012 à Radio France par Aisha Orazbayeva. De forme ouverte et
construite en cinq mouvements joués avec une sourdine spécifique, du son le
plus étouffé au son libre, et reliés par un détail commun parfois anodin, cette
pièce est constituée de plusieurs trames formelles, dont une qui régit l’amplitude
sonore, une autre le dévoilement progressif du timbre et du registre de l’instrument,
tandis qu’une troisième s’attache au timbre et au registre. Lyonel Schmit, qui apprécie
la création contemporaine, en a donné une interprétation précise et concentrée,
malgré une acoustique difficilement maîtrisable dans cette salle ou le son se
répand autour de la coupole sans passer par le centre, la coupole constituant
un véritable trou noir.
Lundi 21 juillet
Pierre Maurel, Président de l'Académie-Festival des Arcs et Eric Crambes, Directeur artistique. Photo : (c) Festival de musique des Arcs
Le Centre Taillefer est en
revanche parfaitement adapté à la propagation du son à travers les six
haut-parleurs prêtés par le GRAME de Lyon pour l’exécution des œuvres de Martin
Matalon. Traces III pour cor et
dispositif électronique forme un grand Nocturne élaboré en 2006. Vladimir
Dubois, cor solo de l’Opéra de Paris, en a donné toute l’essence, portant l’œuvre
dans l’univers du rêve et du cosmos. Interprétée dans un silence impressionnant
trahissant une écoute extrêmement attentive de l’auditoire d’une salle étant
quasi complète, l’œuvre de Matalon était précédée du court Trio pour
violon, violoncelle et piano « Circulo » op. 91 composé en 1942 par Joaquín Turina (1882-1949)
qui a réuni Léo Marillier (violon), Éric Levionnois (violoncelle) et Guillaume
Bellom (piano) pour un moment de bonheur pur. La seconde partie du concert
était moins convaincante, malgré l’interprétation attentionnée du contre-ténor
Robert Expert, qui en a peut-être un peu trop fait en lisant la traduction des
textes afin que tout le monde comprenne ce qu’il chantait, et du guitariste
Pablo Marquez, des Chansons populaires recueillies par le grand poète espagnol
Federico Garcia Lorca (1898-1936). Le Quintette pour deux
violons, deux altos et violoncelle en si bémol majeur op. 87 de Félix Mendelssohn-Bartholdy (1809-1847)
est apparu informe et peu homogène, comme si les interprètes n’avaient pas eu
assez de temps devant eux pour le travailler ensemble, où seuls les altos d’Isabelle
Lequien et de Ludovic Levionnois ont exaltés des sonorités fruitées et
chaleureuses.
Le rendez-vous de mardi au Centre Taillefer
proposait un programme attractif dont le morceau de choix était le sublime Quintette
avec piano de Brahms. Auparavant,
devant une salle comble malgré un très épais brouillard, la Suite
espagnole op. 47 d’Isaac Albéniz
(1860-1909) a déçu dans sa transcription pour hautbois et piano de D. Walter,
malgré les beautés du hautbois de Frédéric Tardy soutenu avec délicatesse par
le piano de Jennifer Fichet. Sous-titré
« la cabra », commande du
Musée du Louvre et de La Muse en Circuit, créé à la Maroquinerie le 6 juin 2005,
Traces II pour alto de Martin Matalon
est élaboré autour du
principe de multiplicité et de son contraire, l’unicité, de façon parfois
inverse, parfois parallèle, qui façonnent l'idée musicale tout au long de la
pièce. Vinciane Béranger, qui a travaillé l’œuvre dans la perspective du
Festival des Arcs, en a exalté les sonorités feutrées et brûlantes, jouant en
outre avec un plaisir communicatif. Autre altiste, mais passé pour l’occasion à
la viole d’amour, Pierre Henri Xuereb a donné cinq Préludes pour cet instrument d’une
douceur infinie et d’un moelleux inouï d’Henri Casadesus (1879-1947) dont
Xuereb a rappelé qu’il est en fait l’auteur des Concertos pour violoncelle attribués
à Jean-Chrétien Bach joués par les élèves des conservatoires lors des concours.
Attendu par les festivalier, le Quintette pour piano, deux violons, alto et violoncelle en
fa mineur op. 34 de Johannes
Brahms (1833-1897) n’a pas donné tout ce qu’on en attendait. Justement confié à
un quatuor à cordes constitué, ici le jeune Quatuor Akilone formé de quatre
jeunes-femmes, dialoguant avec un pianiste virtuose mais sachant se fondre à un
groupe, cette fois Romano Pallottini, ce chef-d’œuvre de Brahms est resté loin
de l’expressivité à fleur de peau qui en émane pourtant clairement, les longues
phrases brahmsiennes d’une sublime beauté s’essoufflant étonnamment, le son du
premier violon restant accroché au corps de sa titulaire, et ce qui en émanait
manquant de luminosité et de sensualité, le second violon apparaissant excessivement
discret. Seul, une fois encore, l’alto a séduit, à l’instar du violoncelle. Le
pianiste est resté quant à lui à l’extérieur du discours.
Mercredi 23 juillet
Pierre Fouchenneret. Photo : (c) Festival de Musique des Arcs
Présenté de nouveau Centre Taillefer devant un
public moins nombreux que la veille en raison de fortes pluie, le programme du
23 juillet s’est ouvert sur le Quatuor à cordes n° 3 en mi bémol majeur de Juan Crisóstomo de Arriaga (1806-1826) interprété avec ferveur par le remarquable
Fine Arts Quartet de Chicago. Traces IV pour marimba de Martin Matalon est attaché aux deux
volets qui l’entourent, Traces III pour cor et Traces V « levedad » pour clarinette. Dans chacun des volets de ce
triptyque, les échos des deux instruments, dont aucune note n’est pourtant
reprise, entrent en résonance avec celui auquel l’œuvre en question est dédiée, tous les traitements
électroniques que subit ce dernier étant modélisés par les deux autres
instruments. Epouse du compositeur, membre de l’Ensemble Court-Circuit, Eve
Payeur en a exalté les infinies beautés sonores, portant l’œuvre à l’onirisme. Pierre
Fouchenneret et Jean-Michel Dayez ont porté la Sonate pour violon et piano que
Francis Poulenc (1899-1963) a dédiée à la mémoire de Federico Garcia Lorca au
rang de partition majeure de la musique de chambre française. De moindre
envergure que celui de Brahms entendu la veille, le Quintette pour piano, deux violons, alto et violoncelle en sol mineur
op. 49 d’Enrique Granados (1867-1916), qui ne cède pas ici à la tentation d’espagnolades
de trop de ses compatriotes et contemporains, a été brillamment interprété par
un quintette constitué pour l’occasion formé de Richard Schmoucler et Léo Marillier
(violons), Pierre Henri Xuereb (alto), Fabrice Bihan (violoncelle) et
Jean-Claude Vanden Eynden (piano).
Bruno Serrou
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