Paris. Théâtre des Champs-Elysées. Vendredi 12 mai 2023
A l’instar de l’Orchestre de Chambre
de Chambre d’Europe (Chamber Orchestra of Europe), entendu notamment à Paris, Salle
Pleyel, en novembre 2014, dirigé par Bernard Haitink, l’Orchestre de Chambre de
Paris a porté son dévolu sur l’orchestre brahmsien aux larges effectifs.
Loin de l’ampleur sonore et du large panel de couleurs des grandes phalanges symphoniques, avec un tapis de cordes réduit de moitié, passant de soixante archets à trente à vingt-neuf, les textures de l’orchestre de Brahms se font naturellement moins charnelles et sombres, mais aussi plus aérées et claires, ce qui remet évidemment en question certitudes et clichés quant à la surabondance de l’écriture de Johannes Brahms.
Pour le premier des trois concerts du cycle Brahms qu’il a programmés au Théâtre des Champs-Elysées, l’Orchestre de Chambre de Paris avait réuni sous la direction de Philipp von Steinaecker trois œuvres de la maturité du maître de Hambourg, pour une interprétation allant crescendo dans la réussite, le programme réunissant des œuvres nées en un quart de siècle, entre 1862 et 1887. Composées en 1873, les Variations sur un thème de Haydn op. 56a se tournent vers Padoue et son saint patron. Le thème utilisé par Brahms est en effet le Choral de saint Antoine, thème populaire ancien attribué par erreur à Haydn et qui figure dans un Divertimento du XVIIIe siècle. Les variations sont au nombre de huit, auxquelles s’ajoute un finale en forme de passacaille. Certaines d’entre elles mettent au premier plan des techniques d’écriture, d’autres l’orchestration. L’Orchestre de Chambre de Paris y a sonné de façon étriquée, dans une acoustique terne et sèche, donnant nettement la désagréable impression d’un orchestre peu en place.
Composé durant l’été 1887, créé le 18 octobre de la même année à Wiesbaden par l’Orchestre du Gürzenich de Cologne dirigé par Brahms, Joseph Joachim, dédicataire du Concerto pour violon avec qui le compositeur entendait alors se réconcilier, et Robert Hausmann (1852-1909), violoncelliste du Quatuor Joachim qui en est l’instigateur et avec qui Brahms se plaisait à se produire en musique de chambre, le Double concerto pour violon, violoncelle et orchestre en la mineur op. 102 est l’ultime œuvre pour orchestre de Brahms. Clara Schumann écrira dans son journal que « le Concerto est une œuvre de réconciliation. Joachim et Brahms se sont reparlé ». Conçu avec le concours de ses deux créateurs pour un orchestre formé de bois par deux, quatre cors, deux trompettes, timbales et cordes, le concerto se fonde sur le motif la-mi-fa (A-E-F), qui représente la devise personnelle de Joachim, Frei aber einsam (Libre mais seul), trente-quatre ans après avoir participé à une œuvre collective utilisant le motif F-A-E, la Sonate « F.A.E. » composée en octobre 1853 par Robert Schumann, son élève Albert Hermann Dietrich et le jeune Johannes Brahms que Schumann venait de découvrir. Cette œuvre réunit des éléments du concerto grosso baroque, son groupe soliste (concertino) qui s’oppose à l’orchestre, avec la forme du concerto classique. Les deux solistes ne sont des individualités contrastées mais doivent attester d’une réelle capacité de vivre et de dialoguer ensemble pour exposer un matériau abondant, puissant et varié. Ainsi, ce concerto, d’une extrême expressivité, requiert la participation de deux solistes d’une égale musicalité virtuose capables d’associer jusqu’à la fusion leurs sonorités. Or, c’est précisément ce que la fratrie Christian Tetzlaff au violon et Tanja Tetzlaff, au violoncelle, qui clairement se connaissent fort bien, tant ils ont offert un Double Concerto d’une rare collusion dans les parties solistes, alors que l’Orchestre de Chambre de Paris s’avérait trop peu étoffé, jusqu’à l’attaque du Vivace non troppo finale solaire et sonnant enfin vaillamment, dans un échange avec les deux solistes ardent et enjoué, plus homogène et coloré.
La Symphonie n° 1 en ut mineur op. 68 connut une genèse de plus de vingt ans. Il n’en émane pas moins un sentiment de plénitude, malgré des moments plus sombres comme l’Andante sostenuto. Pourtant, il ne se trouve rien de tragique et surtout pas une once de pathos, mais au contraire de l’héroïsme romantique et une radieuse sérénité. Là, le chef violoncelliste allemand, élève de Christophe Coin et membre fondateur du Mahler Chamber Orchestra et de l’Orchestre du Festival de Lucerne, Philipp von Steinaecker a su mettre en évidence le fait que chacun des mouvements de la symphonie ne semble jamais naître mais être là de toute éternité, l’auditeur ayant le sentiment d’immiscer son oreille au beau milieu d’un discours dont il n’a pas entendu le début mais qui le saisit dès l’abord, comme le fera plus tard Richard Strauss dans son lied … Morgen… op. 27/4. L’Orchestre de Chambre de Paris s’est d’un coup fait rutilant, vivant et contrasté, sonnant fier malgré l’effectif réduit du quintette des cordes (huit-sept-six-cinq-trois) qui ont joué debout (à l’exception des violoncelles) dans la seule symphonie, ce qui a assurément aidé à la propagation et au fondu du son, mettant de ce fait en valeur les structures particulièrement élaborées du finale, tandis que le thème solennel au cor repris à la flûte sur un tremolo de cordes était exposé avec ductilité.
Bruno Serrou
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