Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Mercredi 10 mai 2023
Étincelant concert une fois de plus de l’Orchestre de Paris à la Philharmonie de Paris dirigé par Klaus Mäkelä, son directeur musical, consacré à deux compositeurs russes du XXe siècle aux destinées fort distinctes, Serge Rachmaninov (1873-1943), qui choisit l’exil aux Etats-Unis au lendemain de la révolution bolchévique, et son cadet de trente ans, Dimitri Chostakovitch (1906-1975), qui décida de rester au risque d’être muselé et de subir les pressions du régime soviétique…
Certes, pour le cent-cinquantenaire de la naissance de Serge Rachmaninov, il eût été bienvenu de programmer une œuvre plus conséquente choisie parmi symphonies, concertos, cantates, oratorios et opéras, mais la Rhapsodie sur un thème de Paganini en la mineur op. 43 qu’il composa en 1934 ne démérite pas, bien au contraire. Il s’agit en effet d’une œuvre parmi les plus significatives du genre. Ecrite sur le thème de l’ultime et plus fameux des 24 Caprices pour violon de Niccolo Paganini (1782-1840), l’œuvre est construite en un seul tenant. Il s’agit en fait d’une suite clairement découpée en trois mouvements, conformément à un concerto constitué de vingt-quatre variations, chiffre correspondant au numéro d’ordre du morceau dans lequel le thème a été puisé par Rachmaninov, qui en jouera la partie piano à la création à Baltimore avec l’Orchestre de Philadelphie sous la direction de Leopold Stokowski le 7 novembre 1934. Comme il l’a fait à six reprises, le compositeur-pianiste exploite ici pour la septième fois la séquence médiévale du Dies Irae qui évoque la colère divine intégrée dans la messe des morts de rite catholique, le virtuose compositeur Rachmaninov rendant ainsi clairement hommage au virtuose compositeur Paganini connu sous le sobriquet de « violon du diable ». Béatrice Rana, transcendante, à la fois virtuose, aérienne, poétique, souple, généreuse, brillante et confondante d’aisance, d’élégance, de naturel, se situe sur des cimes comparables à celles d'une Marta Argerich au même âge…
En bis, la pianiste italienne a offert le dense onzième (Allegro assai en si majeur) des vingt-quatre Prélude op. 11 d’Alexandre Scriabine qui met à l’épreuve la main gauche, et la mobile Etude n° 5 « Pour les huit doigts » extraite du Livre II des Etudes de Claude Debussy.
Qualifiée de « symphonie de
guerre » aux côtés des Huitième et
Neuvième, composée en cinq mois en juillet-décembre
1941, en partie à Leningrad tandis que le siège de la ville de Pierre-le-Grand
commençait, la Symphonie n° 7 en ut
majeur « Leningrad » op. 60 est la plus développée des quinze partitions
du genre laissées par Dimitri Chostakovitch avec ses soixante-quinze minutes.
Elle a la teneur d’un véritable hymne à l’humanité héroïque. Il s’agit en effet
d’un immense cri de douleur et de révolte contre les terreurs et les atrocités
de l‘invasion de l’Union soviétique par les hordes du IIIe Reich ajoutées
à celles de la sanglante dictature stalinienne alliée de l’Allemagne nazie
jusqu’au 22 juin 1941, date du début de l’« opération Barbarossa ».
« Tout le monde avait peur de tout le monde, écrira Chostakovitch, le
chagrin nous oppressait et nous suffoquait ». « Depuis Beethoven,
constatera le chef d’orchestre et mécène russe exilé aux Etats-Unis Serge
Koussevitzky patron du Boston Symphony Orchestra depuis 1924, aucun compositeur n’a su parler aux plus larges couches
d’auditeurs avec une telle force de suggestion. »
La Septième est la symphonie la plus populaire de son auteur. Elle doit sans doute son renom au succès fulgurant qu’elle connut aux Etats-Unis, où elle a été donnée pour la première fois le 19 juillet 1942 à New York sous la direction d’Arturo Toscanini et diffusée en direct sur les ondes de la NBC. Conçue en juillet 1941 sous forme de poème symphonique, achevée pendant le siège par l’armée allemande de la ville de Leningrad où vivait Chostakovitch et où l’activité culturelle continuait à s’épanouir malgré les bombes et la famine, constituant un soutien moral aux habitants. C’est ainsi que cette partition prit la dimension de symbole de la résistance soviétique contre le nazisme, Chostakovitch se gardant de toute allusion déclarée à la tyrannie communiste. L’Allegretto initial est d’ailleurs la traduction sonore d’une invasion guerrière avec ce rythme de marche qui broie tout sur son passage, y compris le thème initial qui semble carrément passer au laminoir. Néanmoins, dans ses Mémoires, le compositeur précisera que l’œuvre n’est pas dédiée au Leningrad de la guerre mais à celui des purges staliniennes qui ont précédé. Plus badin, le deuxième mouvement marque une pause au cœur de la tempête avec son caractère lyrique et suave, et ses nombreux solos instrumentaux qui semblent se délecter d’une polyphonie sautillante d’où sourdent des relents de bataille avec quelques fanfares belliqueuses. Ouvert sur un choral qui fait songer à Bach et à Stravinski, l’Adagio est une sorte de prière plus ou moins laconique entrecoupée de menaces de l’envahisseur jusqu’au retour vers la sérénité qui débouche sur le choral exposé au début du mouvement. Introduit par un thème hésitant ébauché aux cordes, le finale a d’abord le caractère sombre d’une marche funèbre qui ramène au climat du mouvement initial conduisant à l’apothéose triomphale qui aura longuement hésité à s’imposer.
Bruno Serrou
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