samedi 3 mars 2018

Jesús López Cobos, mort d’un grand d’Espagne,


Jesús López Cobos (1940-2018). Photo : (c) Jesús López Cobos

Le chef d’orchestre espagnol Jesús López Cobos est mort vendredi 2 mars 2018 à l’aube des suites d’un cancer. Il avait 78 ans.

Mort à Berlin, après avoir dû renoncer en janvier à diriger Tosca de Puccini à l’Opéra d’Etat de Vienne, où il devait retourner en avril pour Aïda de Verdi, Jesús López Cobos est avec Rafael Frühbeck de Burgos disparu le 10 juin 2014 (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2014/06/le-chef-dorchestre-espagnol-rafael.html) l’un des deux grands chefs espagnols les plus influents et de notoriété mondiale de sa génération. Homme d’une grande culture, d’une grande humanité, être exquis, d’une gentillesse et d’une courtoisie, véritable gentleman, Jesús López Cobos était d’une grande noblesse, et il considérait les musiciens d’orchestre avec égard et comme ses semblables.

Photo : DR

Né le 25 février 1940 à Toro (Castille-et-León) où il sera enterré, Jesús López Cobos était venu à la direction d’orchestre assez tardivement. S’il baigna dans une atmosphère musicale dès sa petite enfance dans une famille de mélomanes avertis, il se destinait tout d’abord à la philosophie, qu’il étudia à l’université de Madrid, l’Espagne franquiste n’ayant que fort peu de considération pour la musique et les musiciens. Néanmoins, à six ans, il chante dans la maîtrise de Malaga où se sont installés ses parents, se faisant notamment remarquer dans le chant grégorien au petit séminaire dont il est élève de 10 à 16 ans. A l’Université de Madrid, où il étudie la philosophie, il dirige le chœur d’étudiants, mais n’entendra son premier concert symphonique qu’à 18 ans. Son doctorat en poche, il se tourne vers la direction d’orchestre, qu’il étudie avec Franco Ferrara en Italie puis, en 1966, avec Hans Swarowsky à Vienne, le tout selon les conseils de Claudio Abbado qu’il avait rencontré en 1965. Trois ans plus tard, il remportait le Concours de Besançon et faisait ses débuts professionnels au Teatro La Fenice de Venise dans la Flûte enchantée de Mozart, tandis qu’il suivait depuis un an le chef suisse Peter Maag, qui, ce jour-là, était tombé malade.  

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Dès lors, sa carrière se déploie en Europe et aux Etats-Unis, où il fait ses débuts en 1972 à l’Opéra de San Francisco. Il dirige régulièrement l’Orchestre Symphonique de Los Angeles et l’Orchestre Philharmonique de Londres dont il devient chef titulaire pendant six ans à partir de 1981. Parallèlement, il est nommé Directeur général du Deutsche Oper de Berlin, poste qu’il occupera dix ans, jusqu’en 1990. A Madrid, il est Directeur musical de l’Orchestre National d’Espagne de 1984 jusqu'en 1988, après d’insoutenables tensions avec l’institution madrilène. Suite à cette relation traumatisante, López Cobos a refusé de revenir diriger le moindre concert de l’ONE - il a même prétendu qu'il ne serait plus jamais responsable de quoi que ce soit - et l'orchestre est devenu orphelin pendant près d'une décennie, avec l'intérim de trois ans d'Aldo Ceccato, avant que Josep Pons s'impose.

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Pourtant, López Cobos occupe finalement les mêmes fonctions de 1986 à 2001 à l’Orchestre Symphonique de Cincinnati, qu’il emmène dans des tournées internationales, en Asie en 1990, en Europe en 1969 et 1995, et dont il est jusqu’à sa mort Chef émérite. Entre 1998 et 2004, il dirige l’Orchestre Français des Jeunes, cadre dans lequel j’ai eu personnellement plusieurs échanges avec lui, et il est régulièrement invité à diriger à l’Opéra de Paris. De 2003 à 2008, il est directeur musical du Teatro Real de Madrid : « Aujourd'hui, maître, vous nous laissez un grand vide, mais aussi le vivant souvenir de tant de moments magnifiques » écrit celui qui l’appela à ses côtés à l’Opéra de Madrid, Antonio Moral, qui en était alors Directeur général. Séduit par le projet de Moral, remis de son traumatisme au National,  il a accepté de remplacer son collègue Luis Antonio García Navarro dans la fosse, en échange d’un orchestre et d’un chœur à demeure, mettant en résidence l’Orchestre Symphonique de Madrid pour résoudre la situation précaire que le théâtre entretenait avec la formation. Mais l’arrivée de Gérard Mortier le conduisit à la démission, par fidélité à son prédécesseur.

Photo : (c) Jesús López Cobos

De 1990 à 2000, il est également Directeur musical de l’Orchestre de Chambre de Lausanne, qu’il dirige autant en concert qu’à l’Opéra, et qui l’invitera souvent par la suite. En 2010-2011, il est Premier chef invité de l’Orchestre Symphonique de Galice. Dès 1978, il est l’invité des grandes institutions musicales, Philharmonique de Berlin, Philharmonique de Vienne, Concertgebouw d’Amsterdam, Philharmonique d’Israël, NHK de Tokyo, Symphonique de Londres, Orchestre de la Suisse romande, Covent Garden de Londres, Metropolitan Opera de New York, La Scala de Milan, Opéra de Paris. Il a été le premier à diriger au Japon le cycle entier du Ring des Nibelungen de Wagner lors d’une tournée de l’Opéra allemand de Berlin.

Photo : (c) Jesús López Cobos

La riche discographie de Jesús López Cobos se déploie à la fois dans le répertoire lyrique et symphonique pour les labels Philips, London/Decca, Angel/Warner et Sony/RCA Victor. Pour Telarc, il a réalisé de nombreux enregistrements avec le Symphonique de Cincinnati, commençant en 1987 par le Tricorne de Manuel de Falla nommé « Record of the Year » par le magazine Stereo Review. Viennent ensuite les Symphonies n° 4, 6, 7, 8 et 9 de Bruckner, un disque Richard Strauss. Il a également gravé Lucia di Lammermoor de Donizetti (Erato), Il Corsaro (Philips/Decca), Luisa Miller (Philips/Decca) la Messa da Requiem (BBC Records) de Verdi, le Barbier de Séville, le Comte Ory (DG), Otello (Philips/Decca) et l’Italienne à Alger (Teldec) de Rossini, Manon et Werther (Orfeo) de Massenet, la Vie brève (Telarc) de De Falla, des Lieder et les Symphonies n° 3, 9 et 10 de Mahler (Telarc), Une Faust Symphonie, la Dante Symphonie, les Préludes et Prometheus de Liszt (Decca), Der Cornet de Frank Martin… 

Photo : (c) Jesús López Cobos

En 1981, âgé de 41 ans, Jesús López Cobos avait reçu le Prix Prince des Asturies dont il est le premier récipiendaire et, en 2000, il reçoit la Médaille d’or du mérite des Beaux-Arts par le ministère de l’Education, de la Culture et des Sports espagnol. 

Bruno Serrou

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