Richard Strauss (1864-1949) devant son piano dans sa maison de Garmisch-Partenkirchen. Sur le pupitre, la partition de Parsifal de Richard Wagner qu'il a dirigé au Festival de Bayreuth 1933. Photo : (c) Richard Strauss Archiv
Epris de littérature et de
théâtre, orchestrateur sans pareils, Richard Strauss composa peu pour le piano,
le dédaignant même après ses vingt ans, à l’exception notable de sa création la
plus personnelle, le lied. Pour Strauss, chef d’orchestre de renom, violoniste
de formation, familier du cor dont son père était un virtuose de renommée
internationale, le piano sera pourtant le compagnon de sa vie.
Strauss en posséda plusieurs, ses
modèles de prédilection restant cependant les pianos à queue Blüthner dont il reçut
son premier exemplaire dès 1874. La première pièce qu’il dédia à cet instrument
qu’il commença à étudier sérieusement dès l’âge de quatre ans est une Schneiderpolka (Polka du Tailleur), qu’il composa à moins de six ans, en 1870. Conçue
avant même qu’il n’aille à l’école, cette pièce d’environ deux minutes, écrite
dans la tonalité de mi majeur, compte trois parties (Introduction lente, Polka
allegro et Trio). Ne pouvant la transcrire
lui-même sur le papier, il en confia la rédaction à son père, comme le révèle
la note de sa mère portée au bas du manuscrit...
Quelques mois plus tard, pour les
fêtes de Noël 1870, il signe son premier lied, un Weihnachtlied, dont il « représente » les notes plus
qu’il ne les écrit. Durant toute son enfance, il enchaîne lieder et pièces pour
ou avec piano pour le cercle familial et les concerts privés donnés au cours de
séances de Hausmusik (musique
domestique) organisées par ses parents dans lesquelles il aime à se produire en
soliste, le moins possible cependant : « Je demeurai un mauvais
élève, se souvenait Strauss, vu que les indispensables exercices ne m’ont
jamais vraiment amusé. En revanche, je déchiffrai volontiers, car je pouvais
ainsi étudier quantité de partitions. C’est pourquoi je n’ai jamais eu de
véritable technique (surtout à la main gauche). Mais j’étais un bon
accompagnateur de mélodies, et l’on me donnait la réputation d’avoir un bon
toucher. Par ailleurs, dans la musique de chambre, mon jeu était correct.
Confrontés aux œuvres plus exigeantes de Chopin et de Liszt, mes doigts malhabiles
n’en pouvaient mais. »
Richard Strauss au piano en 1902. Photo : (c) Richard Strauss Archiv
Mais dès cette époque, le génial
orchestrateur en devenir transcrit pour orchestre la moindre de ses pages pour
piano, jusqu’à son incunable Schneiderpolka.
Parmi la cinquantaine d’œuvres pour piano seul laissées par Richard Strauss,
toutes écrites dans sa jeunesse, citons Cinq
Petites Pièces (1873), huit Sonatines
(1873-1874), deux Sonates
(1877-1879), Douze Variations (1878),
un Scherzo en si mineur (1879), un Feuillet d’album (1882), des marches
militaires... S’ajoute à ce cursus la flamboyante Burleske pour piano et
orchestre composée en 1886 pour Hans von Bülow et créée quatre ans plus
tard par Eugen d’Albert. Mais cet ensemble de pages pour piano auquel Strauss concède
une existence officielle est des plus réduit : trois numéros d’opus ! Cinq Klavierstücke op. 3 (1881), la Sonate en si mineur op. 5 (1881) et les
cinq pièces du Stimmungsbilder op. 9
(1881-1883)[1].
De la main d’un musicien de dix-sept ans, le premier opus fut dûment transmis à
Bülow, excellent pianiste et chef d’orchestre génial que Strauss essayait alors
de séduire, et qui allait bientôt prendre son cadet sous son aile, malgré
l’opinion défavorable qu’il exprima à la réception de ce premier envoi : « Elles
manquent de maturité, estimera le maître, et, en même temps elles montrent une
habileté bien au-dessus de l’âge du compositeur. Je n’y trouve aucune jeunesse
d’invention. Je suis absolument convaincu qu’il n’y a là aucun génie, tout au
plus du talent, dont soixante pour cent vont à l’effet de l’extérieur. »
Ce premier cahier en effet est davantage d’un admirateur de Mendelssohn et de
Schumann que de l’apôtre de Wagner que Strauss allait bientôt devenir, et
manque singulièrement d’originalité, au point qu’il est impossible d’y
percevoir l’avenir. Des quatre mouvements de la Sonate, seul le finale est à retenir, un Allegretto vivo dont la fébrilité juvénile fait oublier la
convention.
Les Stimmungsbilder (Evocations)
sont en revanche une authentique réussite. Véritable chef-d’œuvre pianistique
de Strauss, ce recueil fait regretter que son auteur n’ait pas voulu persévérer
dans la création pour piano seul. En effet, dans ce petit cycle entrepris à
Munich en 1881 et achevé à Berlin deux ans plus tard, Strauss restitue une
suite de fugaces atmosphères naturalistes et sentimentales que suggèrent les
sous-titre de chacun des cinq morceaux : Andante
(Sur le sentier tranquille de la forêt)
; Lento (Près de la source solitaire)
; Allegretto (Intermezzo) ; Andantino (Rêverie) ; Lento ma non troppo (Dans les bruyères).
S’il ne renonce à aucune influence (Mendelssohn, Schumann, Brahms...), le jeune
Strauss, dans un discours fluide et un raffinement de sonorités qui allaient
embraser son œuvre entier, prend ici ses distances avec ses modèles.
Mais, en dépit de ce fructueux
essai, c’est dans l’accompagnement de deux cent quatre vingt dix huit lieder
que s’impose le piano de Strauss, qui, comme interprète, aimait à improviser
dans ses récitals de mélodies cadences et ornementations, au grand dam de ses
cantatrices préférées, notamment de sa femme, la soprano Pauline de Ahna.
Bruno Serrou
[1]
Ces trois partitions ont été publiées aux Editions Aibl, fonds racheté par la
suite par Universal Edition
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire